Quand le BTP ne va pas, tout ne va pas si bien

Entre les nouvelles contraintes budgétaires et l'échéance des municipales paralysantes pour la construction neuve, les professionnels du bâtiment et des travaux publics tirent la sonnette d'alarme sur le risque d'un fort ralentissement du secteur.
César Armand
La Fédération française du bâtiment prévoit un recul de 27.000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20.000 de moins en 2018 par rapport à 2017.
La Fédération française du bâtiment prévoit un recul de 27.000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20.000 de moins en 2018 par rapport à 2017. (Crédits : iStock)

Suppression de l'APL accession, entrée en vigueur de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), maintien du prélèvement à la source... 2018 a été marquée par des perturbations fiscales qui ont nui au secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Elle a été « une bonne année » mais « c'est la fin du cycle actuel de croissance », estime Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB).

L'analyse n'est pas partagée par le ministère de la Ville et du Logement : « Il y aura certes une tendance au ralentissement en 2019, mais les différentes mesures vont soutenir la construction. Il est en outre trop tôt pour dire qu'on est à la fin d'un cycle de croissance. »

Un coup de frein sur les projets

Le projet de loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), promulgué le 23 novembre dernier, est censé simplifier et soutenir la construction, mais il ne peut contraindre les élus locaux qui refusent d'accorder des permis de construire. Or, à l'approche des élections municipales de 2020, ils freinent déjà certains projets. « Soit les maires refusent les permis, soit les promoteurs sont dissuadés de déposer les demandes », témoigne la présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Alexandra François-Cuxac.

Un autre texte gouvernemental, sur la refonte de la fiscalité locale, doit d'ailleurs préciser comment sera compensée la suppression de la taxe d'habitation après 2020. « Si nous n'avons pas les rentrées d'argent correspondantes, il sera difficile de construire de nouveaux logements », estime Caroline Cayeux, présidente de l'association d'élus Villes de France.

« Si les collectivités ne connaissent pas le mode d'emploi de leur fiscalité de demain, je crains une chute des investissements », renchérit le patron de la FFB, Jacques Chanut.

« Les élus nous ont fait remarquer qu'ils seraient moins enclins à lancer de nouvelles opérations », confirme-t-on au ministère de la Ville et du Logement. C'est pourquoi les services de Julien Denormandie envisagent la "descente" de la taxe foncière perçue par les conseils départementaux vers le bloc communal ou la création d'une aide pour les élus-constructeurs afin de financer écoles et équipements publics. « Oui, accompagnons les élus pour bâtir de la qualité ! Il faut soutenir les collectivités pour soutenir le privé », réclame Alexandra François-Cuxac de la FPI. « L'État doit écouter les territoires et leur donner les moyens. En contrepartie, les élus locaux doivent aussi respecter la vision du gouvernement : construire plus, mieux et moins cher. »

À cet égard, la FFB n'est guère optimiste, prévoyant un recul de 27.000 logements mis en chantier en 2019, après plus de 20.000 de moins en 2018 par rapport à 2017.

« Certes, certains nous disent que nous sommes au-dessus de la moyenne sur vingt ans, mais nous perdons plus de 50.000 logements en deux ans », regrette son président Jacques Chanut.

La suppression au 1er janvier 2019 du dispositif de défiscalisation Pinel dans les zones "détendues" (là où l'offre est supérieure à la demande) rend dubitatif les promoteurs. Il permettait aux investisseurs de bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu variable selon la durée de location de leur bien. Alexandra François-Cuxac plaide pour la « densité qualifiée » contre l'étalement urbain. « Mettre des gens à 40 kilomètres de leur travail n'a jamais été une solution, regardez la crise des "Gilets jaunes" », souligne-t-elle avant de préciser aussitôt :

« Mais il y a zones détendues et zones détendues, la fin du Pinel dans des agglomérations dynamiques, en Bretagne ou en Alsace par exemple, soulève de vraies difficultés. »

Créations d'emplois en baisse

Dans le même temps, un nouveau dispositif est né au début de cette année : le "Denormandie dans l'ancien". Les investisseurs pourront profiter d'une déduction de 12% à 21% de leur impôt sur le revenu selon que leur bien est loué six, neuf ou douze ans. La condition : réaliser un montant de travaux représentant 25% du total de l'opération (dans la limite de 300.000 euros) et cela dans les 222 communes du dispositif de revitalisation "Action cœur de ville". « Cela facilitera les travaux de rénovation et soutiendra donc l'activité. La réintroduction du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) dans les fenêtres permettra aussi de conserver une dynamique », assure le ministère de la Ville et du Logement.

La FFB, dont le volet amélioration-entretien représente 53% de son activité, estime, pour sa part, que cette niche fiscale se déploiera dans 43.000 logements et que le retour du CITE pour le remplacement des simples vitrages constituera un marché à 100 millions d'euros.

Toutes ces perspectives devraient créer de nouveaux emplois, mais là encore, le pessimisme règne. La FFB anticipe en effet leur nombre à « seulement » 5.000 contre 30.000 en 2018 dont 24.000 en CDI.

« En 2020, il y aura un impact négatif, vu comment c'est parti. Dès que l'activité baisse, l'emploi suit », estime son président, Jacques Chanut.

« L'embauche et la formation sont des sujets cruciaux insuffisamment traités, or cela pèse sur les délais, et donc sur les coûts et la qualité », remarque Alexandra François-Cuxac de la FPI. « Tâchons de nous emparer collectivement de ces sujets pour les résoudre. »

Du flou dans la fiscalité et la réglementation

Par ailleurs, le projet de loi de finances 2019 a supprimé, pendant un temps, le taux réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), notamment sur le gazole non routier (GNR) utilisé comme carburant par les engins de chantier, avant que le gouvernement ne décide de maintenir cet avantage fiscal en 2019 suite à la crise des "Gilets jaunes".

« La hausse des prix serait une excellente manière de nous pousser à innover », estime néanmoins Orso Vesperini, directeur général adjoint du groupe NGE chargé des grands projets nationaux et de l'innovation. Pour anticiper cette suppression du GNR, qui se produira un jour ou l'autre, « nous allons réduire de 50% les ralentis de nos flottes, ces temps de démarrage-redémarrage où les moteurs des machines tournent pour rien ».

Dépendants des incitations financières et réglementaires qui fluctuent au gré des "Gilets jaunes" et des élections, les acteurs du BTP peinent à voir l'avenir avec confiance. Par exemple, la transformation de bureaux en logements, réaffirmée par la loi Élan, pourrait mobiliser toutes ces parties prenantes, mais il semblerait en réalité que ce soit une fausse bonne idée. Elle pourrait constituer une révolution urbanistique, en ce sens qu'elle oblige à réaménager un lieu, mais ces immeubles vides sont souvent situés dans des « zones éloignées de tout ».

César Armand

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Commentaires 6
à écrit le 04/02/2019 à 17:53
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Bonjour, Si les collectivités ne sont plus un vecteur de croissance pour les entreprises du BTP, il serait temps que les entreprises (Petites ou moyennes) cherchent ailleurs du business... Répondre à un appel d'offres est devenu si banal et administ...

à écrit le 16/01/2019 à 0:47
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Il faut revoir entièrement la législation et la fiscalité sue l'immobilier, et mettre un terme à la gabegie et aux incohérences.

à écrit le 15/01/2019 à 9:13
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Il y a qqes jours vous avanciez le contraire, vous ne savez pas croiser vos sources ni analyser de manière correcte ou seulement lire le prompteur de l' afp ..? https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/biens-d-equipement...

à écrit le 15/01/2019 à 9:04
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Les maires sont dans l'incertitude car ils ne savent pas comment sera compensée la suppression de la taxe d'habitation pour 80% de la population ? Bah c'est pourtant simple, il suffit de la multiplier par 4 ou 5 pour les 20% des riches (ceux qui gagn...

à écrit le 15/01/2019 à 8:55
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le BTP est gave de subvention et il faudra bien les sevrer un jour. On peut pas indefiniment maintenir une politique du logement cher a coup de PTZ et de Pinel/Denormandie. Il est temps de couper le robinet a subvention et que les prix du logement so...

à écrit le 15/01/2019 à 8:45
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Les logements sont beaucoup trop chers à l'achat et à la location, les agences immobilière étant là pour tenir les prix élevés de ce fait ces prix sont devenus bien trop élevés empêchant une dynamique homogène dans ce secteur. Par ailleurs les co...

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