Les laboratoires pharmaceutiques n'exploitent pas encore tout le potentiel des mégadonnées. "La vitesse de maturation des laboratoires pharmaceutiques dans le big data n'atteint pas celle du secteur des assurances", explique à La Tribune Alexandre Templier, cofondateur de la société française Quinten spécialisée dans le big data, et travaillant notamment pour les industries pharmaceutiques, les sociétés de parfumerie ou encore les entreprises financières.
Le big data n'a cependant rien d'abstrait pour l'industrie pharmaceutique. Quinten lui-même travaillait déjà avec des laboratoires pharmaceutiques lors de sa création, il y a 7 ans. Les géants pharmaceutiques utilisent largement le big data pour analyser les résultats de leurs molécules sur les patients en phase d'étude clinique (d'abord quelques dizaines en phase I, puis quelques milliers en phase III). Et ce, pour comprendre qui répond ou non aux traitements, quels patients développent des effets indésirables, ceux qui peuvent ou pas être traités. Ainsi, comme l'explique le laboratoire Merck à La Tribune, le big data permet de rendre "les traitements plus sûr et moins chers lors des essais cliniques" en ciblant et choisissant mieux les patients.
Les big pharmas utilisent aussi largement les mégadonnées pour concevoir de nouvelles molécules. L'analyse des données permet de comprendre comment optimiser la molécule, en rajoutant ou enlevant des atomes par exemple, pour la rendre plus efficace et réduire les effets indésirables pour le patient.
Alliance avec les géants de la high tech
Aujourd'hui, le cofondateur de Quinten assure sentir "que les laboratoires sont de plus en plus conscients de la valeur des données dont ils disposent sur leurs traitements, et du potentiel que cela représente pour eux". Désormais,les géants pharmaceutiques renforcent leur présence dans l'observance. Grâce aux médagonnées, les laboratoires pharmaceutiques cherchent à mieux connaître le comportement des patients lorsqu'ils utilisent leurs molécules quand celles-ci sont déjà sur le marché. Avec pour objectifs de comprendre l'efficacité ou la non efficacité des médicaments, les problèmes lors des suivis de traitements, pourquoi ceux-ci sont abandonnés ou au contraire suivis assidument par les patients. Les labos pharmaceutiques essaient également d'accompagner les personnes suivant les traitements. Les données recueillies sont tant d'informations qui leur permettront de fidéliser ou de perdre moins de patients.
Les big pharmas ont multiplié ces derniers temps les partenariats avec les géants du web avec pour credo d'exploiter le potentiel des objets connectés et applications mobiles à recueillir les précieuses données et à servir d'intermédiaire avec leurs patients.
"Beaucoup de patients atteints de diabète de type 2 sont soit non diagnostiqués, soit mal contrôlés", explique le cabinet de conseil IDEA Pharma à La Tribune. Ainsi ce type de partenariat permet d'accélérer dans "la collecte données utiles pour,comprendre la maladie et les grandes tendances dans les populations. Ils peuvent être capables de construire une relation avec le patient qui utilise leur médicament afin de lui donner l'accès à une meilleure gestion de ses traitements".
- Novartis a annoncé en janvier, lors du CES 2016, son association avec Qualcomm. Ce dernier va connecter les inhalateurs intelligents de Novartis à sa plateforme Life's2net et au smartphone du patient, le modèle Breezhaler. Un système destiné aux patients souffrant du BPCO, une maladie pulmonaire. Le lancement de l'objet de santé connectée est espéré en 2019. Les données rassemblées sur un cloud permettront de voir combien de fois utilise l'objet connecté. Ce genre de nouvelle technologie médicale est conçu pour permettre aux patients de garder une trace de leur consommation de médicaments sur leurs smartphones ou tablettes et pour leurs médecins d'accéder instantanément à des données sur le Web pour surveiller leur état, précisent les deux sociétés.
- En décembre, Novo Nordisk a fait part de sa collaboration avec IBM pour "rassembler de nombreuses informations sur la façon dont ses patients gèrent leur diabète pour trouver des méthodes plus efficaces de lutte contre la maladie". Le partenariat prévoit la création d'un logiciel censé donner des conseils de traitement pour les patients diabétiques, notamment pour le dosage d'insuline (domaine dans lequel le laboratoire pharmaceutique danois est le numéro 1).
- En septembre Johnson & Johnson déclarait également travailler avec IBM pour comprendre le résultat de ses traitements sur les patients grâce à la création d'applications. Apple contribuera au développement de celles-ci. Le géant pharmaceutique annonçait en outre l'arrivée d'applications de coaching virtuel pour les patients utilisant ses prothèses chirurgicales, notamment pour la chirurgie du genou.
- Le 20 janvier, GSK à son tour a annoncé être en discussion avec Qualcomm pour former un joint venture à un milliard de dollars, selon Bloomberg. Les contours du partenariat restent toutefois encore flous.
Pressions économiques
A l'heure où la croissance des big pharmas dans le médicament est inférieure à la moyenne, devancée par celle des biotechs et des labos spécialisés, les géants pharmaceutiques jugent le big data indispensable. Roche, qui utilise les mégadonnées dans l'oncologie notamment, explique à La Tribune qu'il s'agit d'un "élément crucial pour soutenir de bout en bout la chaîne de valeur de la société".
Car les industriels du médicament s'inquiète d'une pression accrue avec un modèle de plus en plus axé sur le remboursement au résultat, c'est-à-dire des traitements couverts chez les patients chez lesquels les ils seront efficaces.
"Nous savons que les payeurs vont évaluer la valeur de nos produits par rapports aux autres traitements sur le marché pour les décisions de remboursement", expose ainsi Novartis à La Tribune.
En France, par exemple, le service médical rendu (SMR) est là pour mesurer "l'efficacité et l'utilité des médicaments vendus en France" en prenant également en compte la gravité de la maladie. Il est évalué par la Commission de transparence de la Haute Autorité de santé (d'efficacité majeure à insuffisante en passant par modérée) déterminant le taux de remboursement de la molécule ou son non remboursement. Mais les autorités de santé pourraient bien serrer la vis à l'avenir. Un rapport d'une des conseillères de la direction de la Caisse nationale d'Assurance maladie préconise un taux de remboursement unique. Certains médicaments peu remboursés (15 et 30%) risque de ne plus l'être dans le futur.
Et aux Etats-Unis, "les mutuelles sont en train de fusionner, comme le rappelle Marc-André Audisio, associé responsable du secteur Sciences du Vivant au sein du département Transaction Advisory Services chez EY, elles font pression sur le remboursement des produits".
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