Le Qatar a bel et bien obtenu l'engagement de la France que Qatar Airways disposera de droits de trafic supplémentaires entre Doha et la France. Une volte-face du gouvernement dont certains membres du gouvernement martelaient il y a encore quelques semaines qu'aucune nouvelles autorisations ne seraient accordées tant que les conditions d'une concurrence équitable avec ces compagnies n'étaient pas établies.
«Concernant les compagnies du Golfe, je serai très clair : plus aucun droit de trafic n'est aujourd'hui accordé par la France aux compagnies du Golfe". », déclarait en effet le 5 février au Sénat le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies. (en vidéo ici)
Or, selon nos informations confirmant celles du "Monde" lundi, l'engagement a été pris pour accorder des vols supplémentaires à la compagnie qatarie vers Nice et Lyon à raison de trois vols hebdomadaires. Ceci en plus des 21 vols par semaine dont disposent la compagnie du Golfe, tous utilisés sur la ligne Doha-Paris. Une réunion de négociations aéronautique entre la France et le Qatar, nécessaire pour actualiser l'accord aérien entre les deux pays, devra être fixée prochainement. La décision a été prise au plus haut niveau de l'Etat dans un ultime arbitrage.
Hollande affirmait, lundi, "qu'il n'y avait pas eu de contreparties"
Lundi, en déplacement à Doha pour la signature de la commande par le Qatar de 24 Rafale, François Hollande a affirmé « qu'il n'y avait pas eu de contreparties à ce contrat » en ajoutant néanmoins des discussions étaient engagées dans d'autres domaines avec le Qatar pour l'attribution de lignes aériennes, pour que nos aéroports puissent avoir encore davantage d'offres".
"Je pense à l'aéroport de Nice, de Lyon, mais ça n'a pas de rapport avec ce que nous faisons ici. Mais il est assez légitime que nous ayons des discussions, des négociations pour que des lignes aériennes puissent être ouvertes en faveur de pays qui permettent aussi d'acheminer un grand nombre de touristes, et nul doute que les villes de Nice et de Lyon sont particulièrement demandeuses de ce type d'attributions", a précisé François Hollande.
"Cela ne va pas augmenter plus de passagers dans ces aéroports, cela va tout simplement en prendre à toutes les compagnies utilisées jusqu'ici comme Air France, Lufthansa, Swiss...", raille-t-on à Air France.
Alain Vidalies allait dans ce sens en février : "octroyer de nouveaux droits de trafic aux compagnies du Golfe ne créerait pas de nouvelles destinations pour les voyageurs, les aéroports régionaux étant déjà très bien reliés aux hubs européens comme CDG ou Francfort, qui desservent le monde entier".
En tout cas les grands aéroports régionaux seront satisfaits. Ils ne cessaient de demander au gouvernement d'accorder plus de vols aux compagnies du Golfe.
Pas de lien entre droits de trafic et contrats commerciaux (en théorie)
Officiellement, les règles de l'OACI (organisation internationale de l'aviation civile) qui régissent le transport aérien mondial, interdissent de lier l'attribution des droits de trafic à des considérations commerciales. En théorie seuls les flux de trafic « point-à-point » entre les deux pays concernées doivent être examinées pour accorder de nouvelles autorisations. En pratique, avec certains pays comme ceux du Golfe, ces négociations aériennes font au contraire partie d'un cadre plus large englobant des considérations diplomatiques et commerciales. En 2011, lors des dernières réunions sur les droits de trafic avec les Emirats les dossiers portant sur des centaines d'Airbus, une soixante de Rafale (qui n'ont toujours pas été achetés...), un gros contrat d'approvisionnement en uranium pour Areva...étaient au cœur des motivations de Paris pour accorder des nouveaux droits de trafic à Emirates et Etihad.
Face au contrat Rafale et aux excellences relations entre la France et les pays du Golfe en général et le Qatar en particulier, le sort d'Air France ne pèse pas lourd aux yeux de l'Elysée et du Quai d'Orsay. Les nouveaux vols de Qatar Airways vers Nice et Lyon ne vont pas mettre Air France par terre. On le reconnait même en interne. Mais c'est l'accumulation de tous ces « quelques vols supplémentaires» qui finit par faire très mal à Air France. Car, demain les Emirats arabes unis obtiendront eux aussi gain de cause, surtout s'ils achètent des Rafale.
Jean-Marc Ayrault n'avait pas cédé
Il n'empêche, ces nouveaux droits à Qatar Airways traduisent un revirement de la position du gouvernement de "protéger" Air Francer et de créer un environnement favorable permettant à la compagnie française de sortir de ses difficultés.Il y a deux ans, quand le Qatar faisait pression sur le gouvernent avec un courrier spécifique (et menaçant) du premier qatari à jean-Marc Ayrault sur la question des droits de trafic, la France n'avait pas cédé.
Aujourd'hui la question se pose : alors que jusqu'ici la France avait un rôle moteur au sein de l'Union européenne pour que les Etats membres mandatent la Commission pour aller négocier des règles de concurrence «équitables» avec les pays du Golfe, la France va-t-elle vraiment faire le forcing pour aller chercher des noises à des pays amis ?
Vidalies avale des couleuvres
Lundi, le jour de la mise en ligne de l'article du Monde concernant les nouveaux droits de trafic de Qatar Airways, dans son discours de clôture d'un colloque organisé par la DGAC sur le thème ... «d'une concurrence réglementée à une concurrence loyale», Alain Vidalies était beaucoup plus nuancé dans son propos qu'il y a trois mois devant les sénateurs. Alors qu'il n'hésitait pas en février à dénoncer, (sans preuve), « les compagnies qui bénéficient de subventions de la part des Etats qui les contrôlent, d'un accès au carburant à un prix modique, d'un coût réduit d'accès aux infrastructures et de conditions aéroportuaires et de conditions sociales et fiscales avantageuses », il a fait état, ce lundi, d'une «concurrence dont on a vu aujourd'hui qu'elle n'était pas entièrement loyale». Ceci en prenant soin de ne pas employer une seule fois le mot «subvention», préférant celui « d'aides publiques ».
«Certains d'entre eux auraient bénéficié et continueraient à bénéficier d'aides publiques », a-t-il dit lundi. Le gel des droits de trafic lui, n'apparaissait davantage dans son discours. Au contraire il était remplacé par la possibilité pour les compagnies du Moyen-Orient, en cas d'accord entre l'UE et les pays du Golfe, d'avoir un «libre accès» à l'Europe.
Pour les salariés d'Air France, il s'agit d'une trahison de la part du gouvernement, premier actionnaire d'Air France-KLM. A l'heure où la direction va leur demander une nouvelle couche d'efforts, ils ont pris un coup derrière la tête. Pas plus tard que lundi, leur PDG, Alexandre de Juniac avait en effet rappelé que tous les efforts en interne ne seront pas suffisants sans une évolution du cadre réglementaire national, européen et international.
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