Apple restructure sa chaîne de valeur pour rester numéro un… ce qui n'est pas sans risque

Fidèle à la « doctrine Tim Cook », la marque à la pomme entend assurer elle-même la conception d’un nombre croissant de composants intégrés dans ses produits, dans une optique de différenciation et de résilience. Une stratégie qui, si elle semble pour l’heure s’avérer payante, est également coûteuse et pourrait pâtir d’une dégradation de la conjoncture.
La « doctrine Tim Cook » est une stratégie à long terme qui vise à posséder et contrôler chaque technologie primaire qui se trouve derrière les produits Apple, une volonté d'intégration, de contrôle et d'autonomie que l'entreprise a longuement mûrie au fil des années, et qu'elle continue d'approfondir. (Photo: à la Conférence des développeurs, San José, le 6 juin 2022)
La « doctrine Tim Cook » est une stratégie à long terme qui vise à posséder et contrôler chaque technologie primaire qui se trouve derrière les produits Apple, une volonté d'intégration, de contrôle et d'autonomie que l'entreprise a longuement mûrie au fil des années, et qu'elle continue d'approfondir. (Photo: à la Conférence des développeurs, San José, le 6 juin 2022) (Crédits : Reuters)

En 2019, pour justifier le rachat de la division modem mobile d'Intel, Tim Cook affirmait que son entreprise avait pour « stratégie à long terme de posséder et contrôler les technologies primaires qui se trouvent derrière les produits que nous fabriquons ». Une phrase qui résume ce que l'on surnomme désormais la « doctrine Tim Cook », une volonté d'intégration, de contrôle et d'autonomie que l'entreprise a longuement mûrie au fil des années, et qu'elle continue d'approfondir.

Lancé en 2010, l'iPhone 4 a été le premier smartphone d'Apple a être équipé d'un processeur maison, lequel équipe également le premier iPad, lancé la même année. Dix ans plus tard, c'est au tour des ordinateurs de la marque d'être équipés de puces M1 conçues par Apple, basées sur l'architecture ARM et manufacturées par TSMC.

Des microprocesseurs maison

Ce passage sur des puces conçues à domicile constitue une sorte de retour aux sources pour l'entreprise, qui de 1991 à 2005 disposait de ses propres microprocesseurs PowerPC, conçus en partenariat avec IBM et Motorola, pour ses ordinateurs. Jusqu'à ce qu'en juin 2005, lors de la conférence développeurs annuelle d'Apple, Steve Jobs, davantage préoccupé par le design que par les composants, annonce la transition vers des processeurs Intel.

Cette parenthèse est aujourd'hui bel et bien refermée, et l'ensemble des appareils de la société, montres connectées comprises, sont désormais équipées de puces au design maison. Mi-janvier, Apple a dévoilé sa nouvelle ligne de MacBook Pro et Mac mini, tous deux équipés de sa toute nouvelle puce M2 Pro, avec la possibilité, pour le MacBook Pro, d'opter pour la M2 Max, plus puissante. Désormais, le groupe à la pomme cherche également à développer ses propres puces wifi et Bluetooth (pour lesquelles elle s'approvisionne aujourd'hui chez Broadcom) ainsi que des puces 5G maison, comme alternative au Snapdragon 5G de Qualcomm qui équipe aujourd'hui l'iPhone.

Mais Apple ne se cantonne pas au silicium. Le géant américain travaillerait également sur ses propres écrans microLED, qui pourraient équiper l'Apple Watch à partir de 2024, puis l'iPhone et Reality Pro, le futur casque de réalité mixte de la marque à la pomme, qui recourt aujourd'hui à des écrans OLED acquis auprès de Samsung et LG. Les ingénieurs d'Apple s'efforcent ainsi de réduire, pas à pas, la dépendance de leurs produits à des composants extérieurs. Une stratégie qui offre plusieurs avantages.

Une question de performance

Un gain en matière de performances, d'abord. « L'intégration fait partie de l'ADN d'Apple depuis plusieurs années », note Antoine Chkaiban, analyste chez New Street Research, un cabinet d'intelligence de marché spécialisé dans les nouvelles technologies.

« La raison pour laquelle ils ont réussi à se différencier dès les premières moutures de l'iPhone, par exemple, c'est notamment parce qu'ils ont intégré les composants qui permettaient de proposer un écran tactile capacitif, ainsi que les drivers qui génèrent l'image sur l'écran, ce qui offrait à l'utilisateur une réponse quasi-instantanée quand il bougeait le doigt sur l'écran, là où les smartphones de la concurrence présentaient un petit décalage qui rendait ça déplaisant à utiliser.

Plus tard, concevoir leurs propres processeurs plutôt que de recourir à l'offre disponible sur le marché leur a également permis d'optimiser le design de ceux-ci pour répondre exactement à leurs besoins et ainsi d'améliorer les performances de leurs appareils. »

Au moment de lancer ses propres puces sur ses MacBook, la marque a ainsi affirmé vouloir répondre aux plaintes de nombreux utilisateurs qui affirmaient que leur ordinateur avait tendance à surchauffer, et accroître l'autonomie des appareils. Apple indique ainsi que ses nouveaux MacBook Pro équipés de la puce M2 Pro offriront une autonomie stellaire de 22h, une performance inégalée sur le marché. Apple, dont les produits sont globalement plus chers que ceux de la concurrence, peut ainsi continuer à justifier cet écart de prix en vantant la qualité et la fiabilité de ses produits par rapport au reste de l'offre.

Cap sur la personnalisation

Ce qui nous amène au second avantage de cette stratégie d'intégration pour Apple, à savoir la personnalisation, qui lui permet de distinguer encore davantage ses produits de ceux de la concurrence. En concevant elle-même une partie toujours plus large des composants qui équipe ses appareils, Apple dispose d'une marge de manœuvre plus large pour les personnaliser et sortir du lot. Développer ses propres écrans pourrait par exemple lui permettre de jouer sur les couleurs et les contrastes pour créer une expérience utilisateur unique.

Construire une chaîne de valeur plus résiliente

Alors que la pandémie, puis la guerre en Ukraine ont créé des perturbations majeures dans les chaînes de valeurs mondialisées, sa stratégie d'intégration permet également à Apple de limiter les risques susceptibles de provoquer des goulets d'étranglement dans la production et des retards de livraison.

Durant la pandémie, les confinements à répétition dus à la politique zéro Covid de la Chine, où Apple produit ses smartphones, combinés à la pénurie de semi-conducteurs, ont ainsi à plusieurs reprises provoqué des cauchemars logistiques pour la marque à la pomme et causé des délais dans la sortie de ses produits. Face à ces difficultés, ainsi qu'aux tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine, Apple a du reste commencé à délocaliser une partie de sa production en Inde et au Vietnam afin de réduire les risques.

Certes, sur un marché comme celui d'Apple, l'autonomie totale est impossible à atteindre et la société sera toujours dépendante de ses fournisseurs, eux-mêmes vulnérables à la conjoncture locale, comme TSMC, qui manufacture ses puces, ou encore Foxconn et Pegatron, qui fabriquent ses smartphones. Reste que, dans un monde instable, même un contrôle légèrement accru sur sa chaîne de valeur peut représenter beaucoup.

Les risques de l'intégration

Cependant, même pour une entreprise comme Apple, une stratégie d'intégration peut-être délicate à mener. Ainsi, l'entreprise avait prévu de se passer des puces wifi de Broadcom dès cette année, mais, du fait de la complexité de la tâche, le lancement devra finalement attendre l'année prochaine, certains analystes affirmant même que le délai pourrait être encore bien plus long. Le lancement de ses propres puces 5G accuse également des retards par rapport à l'emploi du temps prévu au départ.

En outre, cette stratégie s'avère extrêmement coûteuse : « Le coût de développement d'une puce dernière génération se chiffre en centaine de millions de dollars », note ainsi Antoine Chkaiban. Des sommes qu'Apple peut facilement débourser dans les périodes fastes, mais à l'heure où le marché des ordinateurs et des smartphones (Apple tire encore 50% de son chiffre d'affaires des ventes d'iPhone) est en plein marasme, l'entreprise pourrait être tentée de rationaliser ses dépenses et de repousser les projets les plus coûteux.

D'autant qu'Apple a également des soucis sur d'autres fronts, avec, outre divers actions lancées en France et dans l'Union européenne, une enquête anti-monopole ouverte à son encontre par le Département de la Justice américain (DoJ), qui a pris de l'ampleur cette semaine lorsque le Wall Street Journal a rapporté que Jonathan Kanter, pape de l'antitrust américain, pourrait être chargé du dossier.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 21/02/2023 à 17:43
Signaler
Et pendant ce temps là, ils vendent des trucs 1400EUR, qu'ils ont payé moins de 500, aux assembleurs... "Canards sans tête" dites vous ?...

à écrit le 21/02/2023 à 12:04
Signaler
Faudrait pas nous prendre pour des canards sans tête ! Apple relocalise en Inde par ce que les couts, les salaires des petites mains chinoises, augmentent !! que la chine ne s'en laisse pas compter et monte en gamme pour reprendre une plus grande par...

le 21/02/2023 à 12:44
Signaler
@ la pomme d'Adam la différence entre la Chine et l'Inde est que la première est une dictature Stalino Communiste alors que la seconde est une démocratie (dont on peut penser ce qu'on veut, mais qui n'est pas ouvertement une dictature). Contenir la C...

le 21/02/2023 à 16:07
Signaler
Ce n'est pas pour autant que les US vont bien financièrement parlant, cf nombreux "fiscal cliff", mais ça personne n'en parle et c'est pourtant une réelle menace pour toutes les économies. Et même si le renseignement américain mène des études très po...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.