« Il ne faut pas baisser les bras sur le gaz car la transition énergétique prendra du temps » (Dominique Mockly, PDG de Teréga)

ENTRETIEN. Teréga et GRTgaz, les deux gestionnaires du réseau de transport de gaz en France, présenteront lundi les perspectives de l'hiver gazier 2023-2024. En avant première pour La Tribune, Dominique Mockly, le PDG de Teréga qui opère dans le quart Sud-Ouest du pays, décrit un système bien plus musclé que l'hiver dernier et de bonnes conditions de marché. Il souligne toutefois la nécessité de gérer prudemment les stocks, notamment en cas de pointe de froid à la fin de l'hiver. Alors que se dessine une électrification massive des usages à moyen terme, le dirigeant appelle à ne pas délaisser le système gazier, qui reposera demain sur trois réseaux de transport distincts pour : le biométhane, l'hydrogène et le CO2. Il attend de l'exécutif un signal fort afin de débloquer les investissements dans ces infrastructures.
Dominique Mockly, PDG de Teréga
Dominique Mockly, PDG de Teréga (Crédits : Eric Traversie)

LA TRIBUNE - Teréga et GRTgaz présenteront lundi les perspectives du système gazier français pour l'hiver 2023-2024. Quel grand message passerez-vous ?

DOMINIQUE MOCKLY - La situation est relativement saine et nous sommes assez optimistes sous réserve que le GNL soit là, que les mesures de sobriété soient maintenues et que les expéditeurs gèrent intelligemment les stocks de gaz. Il faut, en effet, que les stocks soient préservés dans le temps. Pour cela, le GNL doit alimenter la France le plus longtemps possible afin qu'il y ait suffisamment de gaz dans les stocks pour avoir une belle performance en cas de pointe de froid en fin d'hiver. En effet, plus les stocks sont remplis, plus la sortie du gaz [et donc son injection sur le réseau, ndlr] se fait rapidement. C'est exactement le même principe qu'un ballon de baudruche qui se dégonfle. Et c'est très important pour répondre à une pointe de froid.

Il n'y a donc pas de risque de déficit pour cet hiver, contrairement à l'année précédente ?

Le risque zéro n'existe pas, mais les conditions actuelles sont bonnes. Les capacités se sont renforcées au nord de l'Europe avec de nouveaux terminaux en Allemagne et un nouveau terminal au Havre [piloté par TotalEnergies et dont la commercialisation est prévue en octobre, ndlr]. Chez Teréga, nous avons augmenté les capacités de transit en provenance d'Espagne avec une capacité maximum de 265 gigawattheure (GWh) par jour, contre 220 GWh auparavant. Nous avons également gonflé nos capacités de stockage de 900 GWh. Enfin, les stocks sont pleins. Ils sont remplis à 95% en moyenne au niveau européen, à 92% en moyenne en France et à 88% pour nous Teréga.

Pourquoi le niveau des stocks est-il plus faible en France que la moyenne européenne ?

La raison essentielle de ce décalage est liée aux grèves dans les terminaux méthaniers lors de la réforme des retraites. Les terminaux n'étaient pas disponibles, donc les stocks ont pris le relais. Ce qui fait que la France a commencé l'hiver avec des stocks moins élevés que le reste des pays européens. Mais ce décalage va se résorber.

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Êtes-vous confiant sur la disponibilité du GNL, alors que l'économie chinoise retrouve quelques couleurs et pourrait donc créer de la rareté sur le marché ?

Aujourd'hui, les expéditeurs ne nous alertent pas sur un potentiel risque. Le marché nous dit que les volumes sont réservés. Nous sommes donc confiants sur l'arrivée de ce GNL.

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Qu'en-est-il des prix ?

Les prix sont, en ce moment, plus faibles que l'année passée. Ils se situent entre 30 et 40 euros le mégawattheure (MWh). Ils restent toutefois très sensibles aux aléas et aux différentes annonces. Par exemple, à l'heure où vous m'interrogez, le MWh est inférieur à 30 euros, mais s'il y a une rumeur,  comme l'arrêt de terminaux en Australie, tout à coup le prix va s'envoler. Les prix restent donc moins chers mais il faut faire attention à leur très grande volatilité.

L'hiver dernier, la consommation des centrales électriques fonctionnant au gaz naturel a bondi de 50%. Quelles sont les perspectives pour cet hiver ?

Nous pensons que les centrales à gaz seront sollicitées cet hiver mais dans une moindre mesure que l'hiver dernier car le parc nucléaire affiche une plus grande disponibilité et que les centrales hydrauliques sont davantage en mesure de fournir de l'électricité.

L'hypothèse, cet été, d'une interdiction de vente des chaudières à gaz, depuis balayée par le gouvernement, a ravivé une certaine animosité entre les systèmes gazier et électrique. Quelle est votre vision ?

Je pense qu'il est important d'avoir un système énergétique résilient. Il ne faut pas baisser les bras sur le système gazier car la transition énergétique va prendre du temps. Il faut un système qui repose sur plusieurs pieds, notamment pour faire face aux conséquences du changement climatique qui pourront se traduire par des périodes où il fera très froid et des périodes où il fera très chaud. Nous prônons donc une coopération étroite entre le système électrique et le système gazier. Notre priorité, dans cette transition énergétique, c'est le développement du biométhane qui, demain, permettra de remplacer le gaz naturel. C'est un gaz bon pour le climat et bon pour le consommateur.

Justement, la disponibilité de la biomasse, nécessaire à la fabrication du biogaz, fait largement débat aujourd'hui. Le gouvernement répète que cette ressource sera plus limitée que prévu. Le biométhane pourra-t-il réellement représenter une part significative dans la consommation totale de gaz en France, alors qu'il ne pèse aujourd'hui que 2% ?

Lorsqu'on se projette dans les usages de la biomasse, le premier usage reste le biométhane. D'autres secteurs revendiquent son usage, notamment pour la fabrication de biocarburants. Mais, en réalité, les carburants de demain seront surtout produits à partir d'hydrogène et de CO2.

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L'hydrogène et le CO2 sont deux domaines dans lesquels vous vous positionnez également...

Oui nous nous positionnons sur trois grands piliers : le biométhane, la captation et le transport de CO2 et le soutien à la filière hydrogène. Dans cette optique, nous avons mis en place le programme Pycasso, qui vise à capturer le CO2 issu d'un certain nombre de sites industriels du Sud-Ouest de la France (comme les papeteries), de le transporter, puis de le stocker en grandes quantités ou de le valoriser [pour la fabrication de carburants de synthèse par exemple, ndlr]. Dans les projets hydrogène, nous sommes également impliqués dans H2MED, qui vise à établir une canalisation reliant le sud de l'Europe au nord de l'Europe, en passant par Barcelone et Marseille. A l'échelle locale, nous menons aussi le projet Hysow, un projet d'infrastructure, de transport et de stockage d'hydrogène. Il favorisera le développement de grands pôles chimiques autour des plateformes de Port La Nouvelle et de Lacq, notamment.

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 A terme, il y aura donc trois types d'autoroutes gazières ?

Exactement, il y aura trois types de réseaux différents : une autoroute pour le gaz naturel mélangé au biométhane, des morceaux d'autoroutes pour le C02, et d'autres différents encore pour l'hydrogène.

Quels coûts vont représenter l'adaptation des réseaux existants et le développement de nouveaux ?

Ce ne sont pas des coûts énormes lorsque vous les comparez aux montants qu'il faudrait injecter au système électrique pour l'adapter à moyen terme. Par exemple, la liaison Barcelone-Marseille est estimée à 2,1 milliards d'euros. Mais il faut rapporter ce montant à la valeur des infrastructures globales. N'oublions pas qu'une canalisation d'hydrogène passe entre 3 et 6 fois la quantité d'énergie que passe une ligne électrique. Vous ne pouvez pas penser la transition énergétique sans imaginer les infrastructures. Les autoroutes ne doivent pas être oubliées, elles doivent être pensées dès le début.

Justement, la France semble être en retard sur la question des infrastructures...

Il y a effectivement un manque de clarté en France. Qui développera ces nouvelles infrastructures ? Dans quel schéma industriel ? Cela s'explique notamment parce qu'aujourd'hui, en France, les lieux de production ne sont pas complètement arrêtés. La production pourrait se faire à proximité de centrales nucléaires ou bien de manière répartie sur le territoire. D'autres pays ont déjà franchi cette étape et ont décidé d'établir un réseau pour permettre à l'hydrogène de transiter entre les lieux de production et de consommation. Ils ont aussi fixé la partie du réseau de gaz qui sera adaptée au transport d'hydrogène. L'Allemagne a ainsi confié à ses opérateurs de transport gazier la réalisation de ce réseau. Même chose aux Pays-Bas. Le Portugal également. Cela simplifie les relations avec les pouvoirs publics.

La mise à jour de la stratégie nationale de l'hydrogène, toujours très attendue par la filière après de multiples reports, pourrait enfin prendre en compte cette dimension infrastructure. Quelles sont vos attentes en la matière ?

Nous appelons de nos vœux la publication d'un schéma. La liaison Barcelone-Marseille, pour la partie Sud-Ouest, représente 1,2 milliard d'euros. C'est un investissement important qui ne peut se réaliser sans modèle économique. Nous avons besoin d'un signal maintenant pour se mettre en ordre de marche si nous voulons respecter nos engagements climatiques. Le local, le national et l'européen ne doivent pas s'opposer. Ils sont complémentaires et nécessaires à la résilience de l'architecture du système. Il faut s'organiser pour faire correspondre les capacités locales au besoin national.

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