« L'Europe doit remonter jusqu'à la production de métaux si elle veut rester dans la course » (Benjamin Louvet, Ofi Invest Asset Management)

ENTRETIEN. Benjamin Louvet, gestionnaire d'un fonds dédié aux matières premières, et Emmanuel Hache, directeur de recherche à l'IRIS, signent « Métaux : le nouvel or noir » (éd. du Rocher)*. Cet ouvrage expose tous les enjeux de la transition énergétique, sous une forme claire et richement informée. Ses auteurs soulignent en particulier la place prépondérante prise par les métaux. Ces derniers vont se substituer aux hydrocarbures dans la future économie de l'énergie. Loin de tout catastrophisme, le livre montre la nécessité de cette transition et les chemins à suivre pour la réussir.
Robert Jules
Benjamin Louvet  : « La transition énergétique revient à transformer notre dépendance aux énergies fossiles en une dépendance aux métaux. »
Benjamin Louvet : « La transition énergétique revient à transformer notre dépendance aux énergies fossiles en une dépendance aux métaux. » (Crédits : Ofi Invest)

LA TRIBUNE - Dans votre livre, vous mettez au centre de la transition écologique les métaux. Pour quelle raison ?

BENJAMIN LOUVET - Nous constatons qu'on ne produit pas de l'électricité avec du vent ou du soleil, mais avec des transformateurs qui convertissent l'énergie du vent ou du soleil. Or, les transformateurs, il faut les fabriquer. Autrement dit, la transition énergétique revient à transformer notre dépendance aux énergies fossiles en une dépendance aux métaux. Ensuite, comme le soulignait Philippe Varin lors de la remise de son rapport au président Macron en janvier 2022 sur la sécurisation de notre approvisionnement en métaux, le monde de demain sera sans carbone, mais pas sans métaux.

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Aujourd'hui, l'Europe dépend à 70% des importations pour ses besoins, la France à 100%. Si cet approvisionnement n'est pas sécurisé, la transition énergétique n'est pas assurée d'autant que nous dépendons d'autres pays pour la fourniture de panneaux solaires, d'éoliennes ou de ressources nucléaires. Sans cela, toutes les discussions qu'on peut avoir sur les technologies, le type de batteries... n'ont aucun intérêt.

L'Europe n'a-t-elle pas pris un retard difficile à rattraper ?

Oui et non. Oui, puisqu'aujourd'hui, la production métallique en Europe est limitée. Et non, car cette dépendance n'est pas plus grande, voire même plus faible que la dépendance aux hydrocarbures que nous importons. En outre, il y a une énorme différence entre les métaux et le pétrole. Ce dernier est une matière première de consommation, une fois brûlé, il n'existe plus.

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En revanche, les métaux sont une matière première de stock. Une fois consommés, ils ne disparaissent pas. Pour la plupart, hors l'uranium, leurs propriétés physiques ne changent pas. On peut donc mettre en place une filière de recyclage pour diminuer au fil du temps cette dépendance. C'est une énorme chance pour la France pour assurer sa future souveraineté énergétique.

A terme, le recyclage réglera ce problème d'approvisionnement ?

Recycler tous les métaux est compliqué. Mais des mesures sont prises pour en augmenter le taux. Par exemple, les batteries pour véhicules vont intégrer dès leur conception cette obligation de recyclage. La même démarche vaut pour les éoliennes et les panneaux solaires. L'objectif est d'avoir des volumes suffisants pour réduire les volumes du secteur minier à la portion congrue. A court terme, on peut organiser cette dépendance en passant des accords avec certains pays, comme le Chili, premier producteur mondial de cuivre, ou encore le Canada et l'Australie.

Pour l'instant, il n'y a aucun engagement ni sur des volumes, ni sur des prix, mais il y a une volonté de travailler ensemble. La France s'est d'ailleurs dotée d'un fonds d'investissement dédié aux minerais et métaux critiques, confié à InfraVia Capital Partners, abondé par l'Etat à hauteur de 500 millions d'euros. Il a pour objectif de lever auprès des investisseurs privés de 1 milliard à 1 milliard et demi pour monter à 2 milliards d'euros. Un tel montant permet de prendre des participations dans des sociétés minières, des sociétés de raffinage, offrant un rapport privilégié avec des producteurs pour sécuriser en partie notre approvisionnement en métaux.

Il y a aussi une volonté de développer une filière minière et de raffinage en Europe ?

Oui, deux propositions de texte ont été formulées au niveau européen : le Critical Raw Materials Act et le Net Zero Industry Act. Ils statuent, qu'à l'horizon 2030, 10% de notre consommation de métaux devra être produite en Europe et 45% devront y être raffinés. S'il y a une volonté, toutefois cela ne va pas être simple. En France, le président Macron a annoncé il y a quelques jours qu'il a été décidé de cartographier le sol français. La dernière étude réalisée par le BRGM remonte au début des années 1980. Les technologies ayant énormément progressé, il y a moyen d'identifier plus d'éléments. Si nous sommes en retard par rapport aux Etats-Unis, c'est pour des raisons juridiques.

Contrairement à la législation américaine, en France, le sous-sol d'un terrain privé n'appartient pas à son propriétaire, ce qui ne l'incite pas à s'intéresser à ce qu'il recèle. Aussi, avant de relancer une activité minière, il est nécessaire de connaître son sol. En Suède, un important gisement de terres rares a déjà été identifié. En France, il y a la mine de lithium de Beauvoir dans l'Allier, un projet d'Imerys.

Un énorme filon de lithium a été identifié en Bretagne, mais dans une zone Natura 2000. La question de l'acceptabilité sociale va se poser. Selon les sondages, l'activité minière est le secteur industriel qui a la plus mauvaise image auprès du public en Europe, pire que le secteur pétrolier. L'exploitation s'annonce donc compliquée si l'on veut éviter une nouvelle ZAD. Ainsi, un important projet minier de lithium a déjà été annulé en Serbie, au Portugal, longtemps repoussé, un site d'exploitation de lithium vient d'être finalement accepté. En réalité, aucun pays ne peut vraiment être indépendant quant à son approvisionnement en métaux, mais on peut malgré tout assurer un minimum via des accords commerciaux avec d'autres pays. Pour cela, il faut bâtir une diplomatie minérale comme on avait pu le faire avec le pétrole.

Un autre problème, pointé par le rapport Varin, est celui des métiers de la mine. On manque de compétences...

Le sujet de la formation est important. Aujourd'hui, le nombre de diplômés en géologie est en chute libre, même dans des pays comme le Canada ou l'Australie. Or, le manque de main-d'œuvre qualifiée va poser d'énormes difficultés. Les textes européens que j'ai mentionnés prévoient bien de faire un effort de formation sur le solaire, sur l'éolien, sur la batterie, sur le réseau électrique, sur la capture et la captation et le stockage de carbone, mais paradoxalement il n'y a rien sur le secteur minier. C'est l'un des angles morts de la transition énergétique, avec l'important besoin de l'extension du réseau électrique.

Les projets miniers nécessitent également d'importants investissements, d'autant qu'ils prennent du temps. Comment inciter les investisseurs privés à les financer?

En moyenne, il faut 17 ans entre la prospection et l'exploitation commerciale d'une mine. Mais dans le livre, nous nous montrons plutôt rassurants. La question n'est pas tellement la taille du réservoir (les réserves de métaux), mais celle du robinet (la production). Aujourd'hui, une compagnie minière doit faire face à une conjoncture défavorable. La hausse des taux d'intérêt augmente considérablement le coût du capital, ce qui rend les projets moins rentables, et les cours des métaux sont en baisse pour des raisons conjoncturelles. Deux bonnes raisons qui n'incitent pas à investir ce qui va conduire à un retard qui aggrave le problème de la sécurisation de l'approvisionnement.

Pour convaincre les compagnies d'investir, il faut qu'elles soient sûres de gagner de l'argent. Or, nous avons une certitude : ne pas faire la transition coûtera plus cher que de la faire. Donc, comme elle se fera quoi qu'il en coûte, la demande de métaux va être soutenue et durable. Néanmoins, si on a une bonne idée aujourd'hui de la liste des métaux stratégiques, la R&D peut la faire évoluer notamment dans la composition des batteries, même si l'on sait que la demande d'un métal comme le cuivre va structurellement augmenter. Dans le livre, et comme le confirme le FMI, nous pensons que les cours vont s'apprécier pour mettre en adéquation la production minière avec nos besoins.

Si on veut que la taille du robinet soit correcte, il faut que les prix montent rapidement. Par exemple, aujourd'hui, il y a 250 mines de cuivre dans le monde. Si l'on prend leur production moyenne et qu'on la rapporte aux objectifs fixés dans l'Accord de Paris, il faudrait rajouter 80 mines supplémentaires pour les atteindre. Comme il faut 17 ans en moyenne pour rendre un site opérationnel, il faudrait que les projets de ces 80 mines soient actés avant 2025. Or, aujourd'hui, à peine plus d'une dizaine de projets de mines de cuivre sont prévus dans le monde. Par rapport à la consommation de métal rouge, on prévoit déjà un déficit pouvant aller jusqu'à 7 millions de tonnes dès 2030, pour un marché total de 33-35 millions de tonnes. Ca fait plus de 20% de déficit.

Mais pour un marché de matières premières, un déficit cela n'existe pas, car il n'est pas possible de consommer des matières premières que vous n'avez pas. Le seul moyen d'équilibrer l'offre et la demande, c'est une hausse des cours. Habituellement, cela détruit une partie de la demande. Mais pour la transition énergétique, cela ne marche pas, puisqu'il faut faire la transition coûte que coûte. Le seul ressort est donc que le prix monte pour inciter l'offre à se développer, les compagnies minières pouvant prospecter des gisements plus coûteux à exploiter.

La Chine occupe une place prépondérante sur le marché des métaux. Pour quelle raison ?

Dès les années 1980-1990, la Chine s'est préoccupé de sécuriser ses approvisionnements en matières premières et donc en métaux. Au début des années 2000, l'accélération de la croissance a fait émerger une classe moyenne de 350 millions d'habitants, ce qui a fait naître de nouveaux besoins considérables en infrastructures et en immobilier. En 2000, le pays consommait 10% des métaux de la planète, en 2010, 50 %.

Une demande qui a fait prendre conscience aux dirigeants chinois de l'importance d'avoir des métaux. Depuis 2005, la Chine a investi 300 milliards de dollars dans des projets miniers à travers le monde. Si on le compare au fonds français évoqué, qui atteindra 2 milliards d'euros, on voit la différence, même si pour la France un tel montant est déjà un investissement conséquent d'autant qu'elle a agi seule, l'Europe ayant mis du temps à réagir.

Dans ce cas, l'Europe n'a-t-elle pas perdu par rapport à la Chine ?

On a du retard. Mais on a pris conscience du problème. On a de la chance, car la production minière, contrairement à la production d'hydrocarbures, comme le pétrole et le gaz naturel, est relativement bien répartie dans le monde, notamment dans des pays comme l'Australie, le Canada, les États-Unis ou ceux d'Amérique du Sud avec lesquels on a une culture assez proche, ce qui rend les négociations commerciales plus simples pour l'avenir.

Autre avantage, différents pays produisent des métaux différents. Tout cela diminue le risque de cartellisation. Aussi, l'organisation d'un contrôle et d'une mainmise sur le commerce de ces métaux, comme le fait l'Opep sur le pétrole, me semble compliqué. Si l'Europe est indéniablement en retard, ce n'est pas définitif. D'autant que ce problème se pose pour les quinze prochaines années. Par la suite l'activité du recyclage devrait nous aider à réduire nos importations. Le vrai sujet, c'est d'arriver à gérer cette transition de 15 ans. C'est la raison, je le répète, pour laquelle l'Europe doit absolument remonter jusqu'à la production de métaux si elle veut rester dans la course.

L'Europe ne va-t-elle pas non plus souffrir de la concurrence de pays émergents producteurs de métaux, qui veulent remonter dans la chaîne de valeur ?

C'est déjà le cas. L'Indonésie a interdit l'exportation du nickel brut pour ramener la valeur ajoutée chez elle. Elle a exigé des groupes miniers qu'ils raffinent localement. Depuis le début de l'année, elle a d'ailleurs étendu les restrictions aux exportations de minerai à d'autres métaux. Et le Chili a annoncé nationaliser sa production de lithium. Nombre de pays producteurs de minerai sont en train de remettre la main sur l'ensemble de la filière.

Vous signalez aussi dans votre livre que la nécessité de décarboner l'activité passe par une production de métaux qui intègre les critères ESG (Environnement, social, gouvernance). Comment faire?

C'est un problème, puisqu'aujourd'hui pour construire des capacités d'énergies propres, il nous faut des énergies fossiles. Un calcul réalisé par McKinsey sur l'énergie pour respecter le Critical Act, autrement dit produire et raffiner en Europe respectivement 10% et 45% de nos besoins en métaux pour atteindre nos objectifs en termes d'installations de capacités d'énergies renouvelables, exigera 500 TWh supplémentaires, soit un peu plus que la consommation d'électricité en France. C'est un cercle vicieux, parce qu'il faut des métaux pour construire des éoliennes. Par ailleurs, l'activité minière ayant un impact sur l'environnement, ne va-t-on pas finalement remplacer une pollution par une autre ?

Ce que les gens ont du mal à comprendre ou ne veulent pas voir, c'est que toute activité économique commence toujours par la nécessité de faire un trou dans la terre. Toute activité, même de services, nécessite un réseau électrique et des serveurs informatiques qu'il faut fabriquer que vous viendez un voyage ou un avion. En réalité, pour ne pas polluer, il faut cesser toute activité économique. Ce n'est même pas la décroissance, c'est la zéro croissance. Il faut donc analyser les activités en fonction des bienfaits et des méfaits. Aujourd'hui, les énergies fossiles représentent 70% des émissions de CO2 de la planète. Le secteur minier dans son ensemble, de la mine jusqu'à la consommation finale, ce qu'on appelle le scope un, deux et trois, ce sont environ 15% des émissions de CO2 de la planète.

Elles se concentrent essentiellement sur deux secteurs : la production d'acier qui représente 70% des émissions, et celle d'aluminium 20%. Or, ces deux secteurs travaillent à leur décarbonation en remplaçant pour l'acier le charbon à coke par de l'hydrogène ou de l'électricité. D'autres innovations sont en cours pour l'aluminium. Si on arrive à décarboner l'acier et l'aluminium, il ne restera plus que 10% de 15%, c'est-à-dire 1,5% des émissions de CO2 de la planète.

Sachant que des progrès sont également faits sur l'activité minière (engins électrifiés, électricité décarbonée...), les émissions de CO2 du secteur minier peuvent être considérablement réduites. En revanche, l'activité minière a un impact sur la biodiversité. Il faut toutefois rappeler que les volumes de minerai extraits aujourd'hui sont largement inférieurs à ceux du charbon, un hydrocarbure, qui est au cœur du roman de Zola « Germinal », image de référence de la mine en France. Et ce que l'on perd avec l'exploitation des métaux est largement compensé par le gain que l'on retire de l'arrêt de l'exploitation des énergies fossiles.

Propos recueillis par Robert Jules

(*) Emmanuel Hache et Benjamin Louvet « Métaux le nouvel or noir, demain la pénurie? », éditions du Rocher, 237 pages, 18,90 euros.

Métaux: le nouvel or noir cover

Robert Jules

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Commentaires 11
à écrit le 28/10/2023 à 20:45
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Article très intéressant. Par contre Bretagne + Natura 2000 = on peut dire adieu à ce projet de filon de lithium. Les bretons vont freiner des 4 fers comme à leur habitude.

à écrit le 27/10/2023 à 18:24
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L’école des mines va peut-être de nouveau faire son travail plutôt que nous pondre des financiers inutiles. Le réel se rappel à certains, cette prise de conscience est à encourager! On améliorera pas l’état de la planète avec des Bitcoins et des jeux...

le 28/10/2023 à 7:33
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@Math. Si c'est plus sein, tant mieux. Une belle poitrine s'exibe.

le 28/10/2023 à 11:41
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Le bitcoin peut améliorer enormement l'état de la planète en perturbant le monopole des monnaoes fiduciaires des états qui sont devenues des armes de centralisation et de destruction de masse

le 28/10/2023 à 20:42
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@Adieu BCE C'est une erreur de penser que le bitcoin va changer quoi que ce soit a la monnaie. La seule application concrète c'est pour frauder le fisc ou acheter de la drogue sur internet. On est loin de votre idéal anti banques centrales.

à écrit le 27/10/2023 à 18:24
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C'est vrai pas de catastrophisme ,juste de la méthode Coué poussée a son paroxysme L Europe ne possède pas de métaux Les métaux sont Chinois , Russes et Africains , 3 régions du monde desquelles nous sommes virés , notre avenir est sombrissime , os...

le 28/10/2023 à 14:44
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On peut pondérer. Les métaux, cela s'achète. Les pays que vous mettez en avant, ont des dirigeants dont la seule vision à long terme est la corruption. D'où avantage au plus offrant. Une fois que l'Occident aura compris (bien) que le discours sur la ...

à écrit le 27/10/2023 à 18:10
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Très bon article. Quand on met l'argent sur un sujet et on y risque sa carrière on finit par le comprendre

à écrit le 27/10/2023 à 18:07
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Faire comme les autres pour "rester dans la course" a t'elle une utilité réelle ? On se construit un monde artificiel ! ;-)

à écrit le 27/10/2023 à 17:00
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Brillant article par sa pertinence. Bravo!👍👏

à écrit le 27/10/2023 à 14:39
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Les transformateurs, ce n'est pas ce qui utilise le plus de fer!

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