
« L'ensemble de la population française est exposée aux arnaques », martèle Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants et de leur protection à l'Autorité des marchés financiers (AMF), lors d'une conférence de presse commune avec l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), ce mercredi 28 juin. Publicité en ligne, courriels, appels téléphoniques... Les escrocs utilisent désormais tous les moyens à leur disposition pour piéger les épargnants.
Il faut dire que le contexte y est plutôt favorable. Grignotant le pouvoir d'achat, l'inflation galopante incite les particuliers à épargner davantage, en privilégiant notamment les livrets d'épargne réglementée. Les Français ont déposé sur leurs Livrets A 2,47 milliards d'euros de plus qu'ils n'en ont retiré le mois dernier, selon les derniers chiffres de la Caisse des dépôts (CDC), publiés le 21 juin dernier. Depuis janvier, les Livrets A ont gonflé de 24,5 milliards d'euros. L'encours des deux livrets (Livret A et Livret de développement durable et solidaire cumulés) a atteint 542,1 milliards d'euros à fin mai, un record.
Des thématiques variées
Les voleurs, eux, se sont engouffrés dans cette brèche. Fini les arnaques pour investir dans des forêts, des cheptels ou des places de parking. Ils surfent désormais sur la promesse de livrets « anti-inflation », promesse de capital garanti et de rémunération, en référence aux livrets d'épargne réglementée. D'autres thématiques d'arnaques financières ont également fleuri, à commencer par celles visant les cryptomonnaies. À l'image d'une offre frauduleuse d'Immediate Connect pour investir sur le Forex ou en crypto actifs, révélée par l'AMF le 23 juin dernier. « En 2022, le préjudice sur ce type d'arnaque s'élève à 35.000 euros en moyenne, contre 21.000 euros l'année précédente », note Claire Castanet.
La transition écologique constitue aussi un des sujets privilégiés des escrocs. De faux placements verts sous forme de livrets sont ainsi mis en avant, via l'investissement dans des parkings avec des bornes de recharge pour les véhicules électriques, illustre-t-on à l'AMF. Préjudice moyen ? 75.000 euros.
« Il y a plusieurs publics pour les arnaques, analyse Grégoire Vuarlot, directeur du contrôle des pratiques commerciales à l'ACPR et coordonnateur du pôle commun. Il y en a dans des domaines avancés, comme les cryptos, car c'est nouveau et cela s'adresse à des particuliers dont le profil est plus risqué, mais vous avez aussi des arnaques qui s'adressent à tout le monde, sans considération d'âge, de genre, de catégorie socioprofessionnelle. »
Le fléau de l'usurpation d'identité
Sur l'ensemble de l'année 2022, l'AMF et l'ACPR ont inscrit 1.321 noms de sites ou d'acteurs non-autorisés supplémentaires sur leurs cinq listes noires, visibles sur le site ABEIS, portant le nombre total de noms recensés à 5.089 sur les listes noires et à 7.691 pour l'ensemble des alertes. Pour aider les épargnants à débusquer les faussaires, les deux institutions travaillent notamment au renforcement de l'information disponible sur le registre de l'ORIAS. Pour rappel, celui-ci permet aux particuliers de s'assurer de l'identité d'un éventuel interlocuteur financier. L'AMF et l'ACPR ont également multiplié les campagnes de communication à destination des épargnants (radio, réseaux sociaux, etc), et ont travaillé afin de permettre le déréférencement de certaines offres d'investissement sponsorisées frauduleuses sur Internet.
La tâche se révèle toutefois extrêmement ardue. Pour parvenir à leurs fins, les escrocs multiplient notamment la création de faux sites, destinés à collecter des données personnelles, et n'hésitent plus à se faire passer pour des acteurs officiels. En 2022, 942 cas d'usurpation d'identité ont été détectés par le pôle commun de l'AMF et de l'ACPR, en hausse de 9% par rapport à 2021. Or, cette année avait déjà été marquée par une explosion du nombre d'usurpation. « Ce phénomène nous soucie beaucoup, car il affecte tous les acteurs régulés, alerte Claire Castanet de l'Autorité des marchés financiers. Il concerne des institutions, des professionnels agréés [sociétés de gestion, conseillers en investissements, ndlr], de grands groupes cotés en Bourse, mais aussi des régulateurs. »
« La technique des escrocs s'affine »
L'autorité, elle-même, n'est pas épargnée. « Nous avons constaté que de prétendus enquêteurs de l'AMF contactaient les particuliers, soit disant pour leur permettre de récupérer des fonds, illustre la directrice des relations avec les épargnants. Bien évidemment, l'AMF ne démarche pas pour récupérer les sommes extorquées. Il faut donc être très méfiant. »
Comment expliquer une telle ampleur du phénomène ? « La technique des escrocs s'affine », explique Claire Castanet, citant notamment l'usurpation de numéro de téléphone, appelée spoofing. Le voleur parvient en effet à contacter un épargnant en utilisant le numéro de téléphone d'un acteur régulier, un conseiller bancaire par exemple. De quoi mettre en confiance la victime, plus à même de délivrer des informations personnelles et confidentielles.
« L'arnaque financière stoppe l'intelligence : elle vise à court-circuiter la réflexion et à vous empêcher de prendre du temps pour réfléchir, abonde Grégoire Vuarlot de l'ACPR. Elle vise l'immédiateté, le réflexe, qui consiste à répondre à une offre non-sollicitée pour quelque chose dont vous n'avez pas besoin. »
À l'heure actuelle, le phénomène des arnaques financières reste toutefois très difficile à quantifier « puisque c'est une activité illicite par définition », rappelle Grégoire Vuarlot de l'ACPR. À titre indicatif, les pertes pour les épargnants avaient été évaluées à un milliard d'euros entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2019.
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