La Banque Postale se jette dans la bataille du paiement différé

L’initiative fera sans doute grand bruit dans le petit monde du crédit et du paiement différé ou fractionné. La Banque Postale vient d’annoncer la création d’une filiale à 100%, Django, dédiée pour l’essentiel au paiement en plusieurs fois, devenu un mode de paiement incontournable dans l’univers du e-commerce. Pour l’heure, le marché reste largement dominé en France par Oney et Floa, deux ex-captives de distributeurs, et par des fintechs, comme Klarna, Paypal ou Alma. Mais les acteurs traditionnels, comme les banques, préparent leur riposte sur ce segment en plein boom, comme en témoigne la stratégie volontariste de La Banque Postale.
Jocelyne Amègan-Douaud, directrice générale de Django, souhaite encourager les bonnes pratiques sur le marché du paiement fractionné.
Jocelyne Amègan-Douaud, directrice générale de Django, souhaite encourager les bonnes pratiques sur le marché du paiement fractionné. (Crédits : DR)

Les banques traditionnelles entrent en lice dans la bataille du paiement fractionné ou différé. La Banque Postale vient ainsi de créer une filiale, détenue à 100%, dédiée à ces nouvelles solutions de financement et qui s'adresse à la fois aux acteurs de l'e-commerce et, dans un second temps, via une application mobile, aux consommateurs en direct, client on non du réseau postal.

Baptisée Django, la filiale compte débuter ses activités dans le paiement différé (à 15, 30 ou 45 jours) et le paiement fractionné (paiement en deux, trois ou quatre fois, de moins de 90 jours). Une quinzaine d'enseignes ont déjà adopté cette solution. A terme, Django devrait progressivement étoffer son offre, notamment au crédit affecté (plus de 90 jours) et même attaquer, à partir de l'an prochain, des marchés européens.

Un paiement différé « RSE »

Elle s'appuie, pour démarrer au plus vite, sur plusieurs partenariats techniques, notamment la fintech Pledg, spécialisée dans des solutions de paiement fractionné en marque blanche, ou le géant américain Stripe (solutions de paiement en ligne). Elle a également recours à l'expertise de l'association Crésus, qui a développé un réel savoir-faire en matière de lutte contre le surendettement.

Alors que La Banque Postale vient d'adopter un statut de société à mission et qu'elle ambitionne d'être « une banque citoyenne », le paiement fractionné ou différé, vilipendé par les associations de consommateurs (surtout au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves) comme étant une machine redoutable à surconsommer et à surendetter les ménages, n'est pas vraiment dans l'épure de la consommation vertueuse ou de la sobriété heureuse.

« Il est de plus en plus question de RSE (Responsabilité sociale des entreprises, ndlr) », convient Jocelyne Amègan-Douaud, directrice générale de Django, et membre du directoire de LBP Consumer Finance (CF).

« Nous nous sommes lancés dans le crédit à la consommation en 2009 avec la mise en place de la directive européenne et la mise en place de loi Lagarde, très protectrice pour le consommateur. Nous avons donc adopté dès le départ ces bonnes pratiques, c'est dans notre ADN. Aujourd'hui, nous faisons de même dans le paiement différé en anticipant les évolutions réglementaires de la deuxième directive sur le crédit à la consommation », ajoute Franck Oniga, président du directoire de LBP CF.

En clair, le paiement différé « made in La Poste » sera, c'est promis, « inclusif » (La Banque Postale n'exclut personne avec ses 11 millions de clients, dont 6 millions sont déjà « pré-scorés). Il sera soucieux du risque de surendettement grâce à l'approche de Crésus sur le « reste à vivre » et ses taux compétitifs, et même attentif aux conséquences environnementales avec l'application Carbo pour mesurer l'impact carbone des achats.

En pratique : transparence absolue sur le TAEG (si le consommateur paye le crédit) ou les frais associés, comme la commission d'impayés (8% du capital restant dû). Exit donc le modèle Klarna («Klarnage ») et consorts, dénoncé outre-Manche pour ses multiples frais cachés.

De fortes ambitions

Pour autant, les ambitions de La Banque Postale dans le paiement différé/fractionné sont fortes. Django (140 salariés d'ici trois ans) vise 14% de part de marché en 2025, soit une production d'environ 3,5 milliards d'euros (sur un marché estimé à 25 milliards d'euros), soit environ 40% de la production totale de crédit à la consommation de La Banque Postale.

Le paiement différé entre doublement dans la stratégie du groupe postal : le plan stratégique de La Banque Postale souhaite en effet pousser les feux sur le crédit à la consommation et celui de La Poste vise à devenir l'interlocuteur incontournable du e-commerce, à remonter toute la chaîne de valeur avec une offre globale, de la logistique au paiement.

Le potentiel du paiement fractionné est énorme, à l'image d'ailleurs de la croissance effrénée du e-commerce, dont il est l'enfant naturel. Pour l'heure, la France est en retard par rapport autres pays européens.

Selon une étude de 2022 de FIS sur les systèmes de paiement mondiaux (1), les différentes solutions de paiement différé représentent 8% des achats du e-commerce en Europe en 2021, un pourcentage qui devrait atteindre 12% en 2025. La croissance est particulièrement impressionnante dans les pays nordiques, avec en 2021, une part de marché de 11,7% au Danemark, de 18% en Norvège et de 25% en Suède, pays de naissance de Klarna. Même l'Allemagne a succombé, avec près de 20% des achats en ligne effectués en paiement différé ou fractionné.

En revanche, la croissance est plus faible en France, avec 4% des achats en ligne via ces nouvelles facilités de paiement en 2021, une proportion qui devrait atteindre 7% en 2025, selon l'étude. Il est vrai que les Français n'ont pas cette culture du crédit que l'on peut constater dans les pays anglo-saxons.

Un marché passablement encombré

Ce sont les commerçants qui ont vite compris l'intérêt du paiement différé : hausse du panier moyen, taux d'acceptation élevé, fluidité du parcours client... Pas un e-marchand, grand ou petit, qui ne réclame aujourd'hui sa solution de facilité de paiement.

Pour l'heure, le marché est largement dominé par de nouveaux acteurs, à l'informatique souple et à la culture de l'innovation, comme Klarna, Afterpay (racheté par Block, ex-Square), Affirm, PayPal et des dizaines de challengers locaux, comme Alma ou Pledg en France. Ils se battent sur ce segment en pleine croissance, riches à millions d'euros (sinon à milliards) levés, presque sans limite, auprès d'investisseurs en capital investissement, très friands de la révolution en cours dans les paiements.

Selon Crunchbase, les fintechs spécialisées dans le « buy now pay later » ont levé près de 4 milliards de dollars en 2021 rien qu'aux Etats-Unis, contre 1,7 milliard en 2020. La valorisation de Klarna atteint pas moins de 45 milliards de dollars sur sa dernière levée de fonds ! Une autre fintech, Scalapay, pratiquement inconnue il y a deux ans, copie conforme d'Afterpay, vient de lever près de 500 millions d'euros, en fonds propres et dettes.

« Neuf commerçants sur dix que nous contactons ont déjà leur solution de paiement différé », reconnaît Jocelyne Amègan-Douaud. Face à cette concurrence, Django compter jouer deux principaux leviers pour convaincre : les prix - avec une fourchette de commissions entre 2,5% et 5%, selon les verticales - et la puissance financière rassurante de La Poste, une garantie pour les marchands d'être payés. Pas besoin donc de passer par la titrisation, et les aléas du marché, pour refinancer la production. « Notre ambition est de développer les conditions d'un numérique de confiance », avait d'ailleurs déclaré à La Tribune Philippe Wahl, PDG du groupe La Poste, en février dernier.

La riposte s'organise

L'initiative de La Banque Postale risque bien de faire des émules. « Les banques et leurs filiales spécialisées dans le crédit à la consommation ont complètement loupé ce virage du numérique », souligne un expert français de la monétique. Pour preuve, l'abîme qui sépare, pour le client, le paiement fractionné ou différé en un clic avec le découvert bancaire ou le crédit révolving (en voie de disparition) ou la carte de crédit. A deux exceptions près en France. Tout d'abord, le poids de la carte bancaire à débit différé, généralement cobadgée Visa ou Mastercard (une exception en Europe), et largement promue par les banques françaises, compte tenu d'une commission interchange plus élevée (0,3% contre 0,2% pour la carte à débit immédiat).

Et la présence de deux acteurs majeurs, Oney et Floa qui ont vite compris l'intérêt du paiement différé et les attentes des marchands. Et pour cause, ils sont tous les deux issus du monde de la grande distribution (Auchan pour Oney et Casino pour Floa). Ces deux acteurs, qui revendiquent tous deux une position de leader en France sur le paiement différé, ont d'ailleurs été rachetés par des groupes bancaires, BPCE pour Oney et, plus récemment BNP Paribas pour Floa, une façon pour eux de rattraper leur retard. Le rachat de Floa est particulièrement éclairant car BNP Paribas dispose d'un puissant pôle de services financiers spécialisés, hérité de l'ex-Compagnie bancaire de Paribas, qui a longtemps été à la pointe de l'innovation.

Aujourd'hui, les banques ont compris l'enjeu stratégique du paiement fractionné et mettent les bouchées doubles pour reconquérir les parts de marché aux fintechs. BNP Paribas affûte une prochaine offre en la matière, sur la base de l'expertise de Floa.

« L'acquisition de Floa permettra au groupe BNP Paribas de proposer des solutions innovantes en matière de paiement pour ses clients européens, et notamment les clients de la banque commerciale en France », confirme une source de la banque.

Plus discrète, Cofidis, filiale du Crédit mutuel Alliance Fédérale, place désormais le paiement fractionné au cœur de sa stratégique et multiple les partenariats, dont celui, emblématique, avec Amazon. Crédit Agricole, qui est en train de refondre sa gamme de package de services, pourrait saisir cette occasion pour proposer à ses clients une offre de paiement fractionné (le groupe se refuse à faire du paiement différé). « A terme, les banques pourraient ainsi proposer à leurs porteurs de cartes toute une palette de facilités de paiement, différé ou fractionné, afin de leur offrir une véritable autonomie de gestion de leur budget », avance un consultant monétique.

La montée en puissance des acteurs traditionnels

 Alors que les fintechs promettent de changer radicalement l'écosystème des paiements, une sourde menace se fait ainsi entendre depuis quelques mois. Non seulement les banques se réveillent, et multiplient les offres de paiement différé, notamment aux Etats-Unis, mais les grands systèmes traditionnels de paiement, comme Visa et Mastercard, entrent également dans la danse.

Mastercard, qui avait sa solution au fond de ses tiroirs depuis plusieurs années, s'apprête à commercialiser sérieusement son produit et consolide son réseau de partenaires qui peuvent aider les émetteurs de cartes à proposer un service de paiement fractionné ou différé. Ce produit, annoncé il y a six mois, serait lancé à partir d'avril prochain. De même, Visa prévoit de proposer aux banques un pilote sur sa propre plateforme.

Résultat prévisible de cette concurrence accrue, les acteurs vont devoir réduire les frais qu'ils facturent aux commerçants et/ou aux consommateurs, frais qui s'étalent actuellement entre 4 et 6% en moyenne.

Autre menace sur le secteur, le changement de modèle des marchands qui commencent à réfléchir sur de nouvelles pistes de tarification, notamment l'abonnement.  C'est notamment le cas aux Etats-Unis de la célèbre marque Peloton, fabricant de vélos « stationnaires », qui a largement profité des périodes de confinement, et qui teste actuellement des formules d'abonnement pour remplacer le paiement en plusieurs fois, assuré par Affirm.

Les « pure players » du paiement différé ne restent pas cependant sans réagir. Ils multiplient les services autour de la facilité de paiement, proposent des galeries marchandes virtuelles et même, regardent de plus en plus vers les services bancaires. Ainsi, Klarna propose en Allemagne depuis l'an dernier l'ouverture de comptes bancaires. Leur principal atout ? Les données des clients. Les fintechs savent ce que font les consommateurs. Mais les banques aussi.

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Commentaire 1
à écrit le 25/03/2022 à 17:29
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On se demande surtout pourquoi toutes les autres banques ne le font pas aussi ? Surtout avec des solutions en marque blanche disponibles. Peut-être que les autres banques attendent de voir leur cœur de métier aller chez les nouvelles fintechs, et ain...

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