Le régulateur britannique hausse le ton contre les acteurs du paiement différé

Le succès incontestable du paiement différé, porté pour l’essentiel par le e-commerce, inquiètent les régulateurs et les associations de consommateurs sur un risque de surendettement, en favorisant notamment les achats impulsifs des jeunes générations. Le gouvernement britannique travaille à une réglementation plus stricte et le régulateur, en attendant, vient de mettre à l’index les pratiques commerciales de certains acteurs de poids du secteur.
Le commerce en ligne profite à plein des nouveaux modes de paiements, comme le paiement différé, notamment auprès de la génération Z.
Le commerce en ligne profite à plein des nouveaux modes de paiements, comme le paiement différé, notamment auprès de la génération Z. (Crédits : DR)

Le ton monte au Royaume-Uni à l'encontre des acteurs du paiement différé (Buy now Pay later, BNPL). Le régulateur, Financial Conduct Authority (FCA), souhaite en effet remettre de l'ordre dans les clauses des contrats, jugées peu claires.

Quatre fintechs étaient dans le collimateur de l'autorité de tutelle - Clearpay, Klarna, Laybuy et Openpay. Ces dernières ont aussitôt obtempéré aux demandes du régulateur et modifié certaines clauses contractuelles. Pas question pour eux de se mettre à dos le régulateur alors que le marché du paiement différé a été multiplié par trois en 2020, selon une étude du FCA.

« Nous n'avons pas encore le pouvoir de réglementer ces entreprises mais nous avons le pouvoir d'examiner les conditions des contrats pour en vérifier l'équité », a ainsi expliqué Sheldon Mills, directeur exécutif des consommateurs et de la concurrence à la FCA.

En résumé, le régulateur exige que les clauses des contrats soient plus transparentes et lisibles, notamment sur certains points, comme les annulations ou les autorisations de paiements en continu. Message reçu donc par les sociétés visées. Clearpay, Laybuy et Openpay ont même accepté de rembourser les clients qui ont été facturés pour des frais de retard de paiement alors qu'ils avaient annulé leur commande (et donc l'avance).

Mais le régulateur britannique, avec le soutien du Trésor et des associations de consommateurs, entend aller plus loin et proposer un encadrement plus strict du paiement différé. Une première consultation menée par le Trésor s'est terminée début janvier. Le gouvernement a même promis l'an dernier une réglementation qui pourrait entrer en application à la fin de l'année, ou au début de 2023. Le Parti Travailliste, qui s'est déjà attaqué aux « prêteurs sur salaires », est en pointe sur le dossier et accuse la FCA de ne pas prendre le problème au sérieux.

2% des achats en ligne

Le paiement différé - plus fréquent outre-Manche qu'en France qui privilégie le paiement fractionné - connaît un engouement sans pareil au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et dans les pays de culture anglo-saxonne, le plus souvent comme une alternative à la carte de crédit, plus difficilement accessible et très couteuse. Selon la société de conseil FIS, le paiement différé représente déjà 2% des achats en ligne aux Etats-Unis, une proportion qui pourrait doubler d'ici 2024.

Le principe du paiement différé est simple : vous ne payez rien ou presque rien à l'achat et vous recevez la facture 15 ou 30 jours plus tard. Ce sont souvent des achats de petits montants et « l'avance de trésorerie » n'est pas régulée.

La recette est particulièrement efficace pour les achats en ligne, terrain privilégié de l'achat impulsif : l'autorisation est accordée quasi instantanément, sans dossier à remplir, et après une vérification plus sommaire des antécédents de crédit. Un clic et le client reçoit son colis plaisir à domicile, sans bourse déliée ! Facile dès lors de multiplier les achats auprès de nombreuses enseignes et autant de fournisseur de crédit en naviguant sur son mobile. Une expérience client qui touche donc particulièrement la jeune clientèle, la génération Z.

La puissante association de consommateurs Which ? a de plus publié une étude qui montre que les consommateurs considèrent de plus en plus les facilités de paiement différé comme des solutions pour boucler les fins de mois que comme des crédits à proprement parler. Résultat, selon Credit Karma, une fintech qui permet d'accéder à son score de crédit, 7,7 millions de Britanniques auraient accumulé des impayés auprès des sociétés spécialisées dans le paiement différé, pour un montant moyen de 538 livres sterling (650 euros).

Le danger est d'autant plus grand que toutes les grandes enseignes proposent désormais une option de paiement différé. C'est le cas bien sûr aux Etats-Unis mais l'Europe n'est plus épargnée. Pour le marchand, le gain est double : augmenter à la fois le taux de conversion (finaliser un achat) et le montant du panier moyen. Selon une étude de cas publié sur le blog du géant du paiement différé Klarna, le site spécialisé dans la mode Rue21 a augmenté son panier moyen de 73% depuis son relooking à la sauce Klarna.

Les régulateurs sur le qui-vive

Les principaux acteurs du marché sont devenus les fintechs les mieux valorisées, comme Affirm aux Etats-Unis (12 milliards de dollars de capitalisation boursière), le suédois Klarna, récemment valorisée à 45,6 milliards de dollars lors d'une levée de fonds (contre 40 milliards en juin dernier) ou bien l'australien Afterpay, racheté 29 milliards de dollars par Block (ex-Square) l'été dernier.

Ce boom fulgurant a bien évidemment attiré l'attention des régulateurs, aussi bien au Royaume-Uni qu'aux Etats-Unis, en Suède ou en Australie. « À l'heure actuelle, il n'existe que très peu de réglementations américaines, voire aucune, qui traitent spécifiquement du paiement différé. Cependant, le Bureau de protection financière des consommateurs (CFPB) s'est efforcé d'examiner de près les BNPL en vue d'une éventuelle réglementation, ce qui signifie que des changements pourraient bientôt intervenir », note ainsi le cabinet FIS.

L'Europe n'est pas en reste. La Commission européenne souhaite, dans le cadre de la révision de la directive de 2008 visant la protection du consommateur, réintégrer dans la réglementation du crédit tous les types de prêts, y compris ceux de faibles montants et de courte durée. En France, dans un rapport parlementaire sur le surendettement, le député Philippe Chassaing a appelé en octobre dernier le gouvernement à légiférer sans attendre sur le paiement différé ou fractionné et les mini-crédits. Toutefois, Bercy préfère attendre la révision de la directive européenne.

Les acteurs ripostent

Face à cette avalanche de critiques et à la pression croissante des autorités, les acteurs du secteur organisent leur riposte. Le discours est simple : le paiement différé est une alternative moins coûteuse pour le consommateur à la carte de crédit, dont les taux d'intérêt dépassent fréquemment les 20% au Royaume-Uni. Généralement, c'est le marchand qui supporte d'ailleurs le coût du crédit, qui est intégré dans la commission qu'il paye à son prestataire de paiement, de 3 à 7% de la transaction.

D'ailleurs, Klarna a mené, en partenariat avec une association de consommateurs, une enquête auprès de 2.000 Britannique sur le niveau d'information sur la carte de crédit, tout juste publiée sur son blog. Et les résultats sont édifiants !

Non seulement 60% des sondés ne connaît pas le taux d'intérêt pratiqué lors d'un achat mais surtout aucune personne interrogée n'est capable de mesurer le coût total du crédit de l'achat. Et pourtant, toutes ces données sont en théorie communiquées, conformément à la réglementation, tout le long du parcours. De quoi défendre le modèle du paiement différé qui finalement serait bien plus transparent que la carte de crédit !

La France en pointe sur le paiement fractionné

En France, les acteurs se défendent de toute dérive en mettant en avant le paiement fractionné, pourtant associé à un panier moyen beaucoup plus élevé, comme l'achat de biens électroniques. Du coup, le paiement fractionné serait plus proche dans son esprit du crédit à la consommation que le paiement différé, et moins sujet au risque de surendettement. D'ailleurs, le rapport Chassaing n'a pas constaté de lien entre le paiement fractionné et des situations de surendettement. En appui, les ténors du paiement fractionné revendiquent des taux de défaut très faible, de l'ordre de 1%, même s'ils restent très avare en chiffres.

Le marché est en croissance de 15 à 20% par an et la Banque de France estime à 7 milliards d'euros les encours, soit 4% des encours de crédit à la consommation. Traditionnellement, ce sont les ex-captives bancaires de grands distributeurs (Floa, Oney...) qui ont attaqué en premier le marché du paiement en x fois. Depuis Oney est passé sous le contrôle du groupe BPCE et Floa a été rachetée par BNP Paribas. De nombreux acteurs ont également fait leur apparition, comme les fintechs Alma, Pledg mais aussi Younited qui s'est plus récemment positionné sur le marché. Toutes ces fintechs affichent des taux de croissance à deux chiffres impressionnants.

Nouvelle levée de fonds pour Alma

C'est notamment le cas d'Alma qui vient de boucler son quatrième tour de table, d'un montant de 115 millions d'euros, un an après sa précédente levée de fonds de 49 millions d'euros. L'an dernier, la fintech a traité plus d'un milliard d'euros de paiement fractionné, soit... trois fois plus qu'en 2020. Et la fintech espère tripler à nouveau son volume d'affaires en 2022 !

A noter également la présence de Klarna en France, qui vient d'ailleurs de lancer sur le marché hexagonal sa fameuse application de « shopping », sorte de galerie marchande où les utilisateurs peuvent faire leurs courses en paiement différé. Alma compte d'ailleurs développer une application mobile similaire. La bataille du paiement différé ou fractionné ne fait que commencer.

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Commentaires 5
à écrit le 17/02/2022 à 18:17
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Pourquoi ces acteurs ne sont pas soumis aux même règles que le crédit conso "de facto" ? Il y a là une brèche dans la régulation.

à écrit le 17/02/2022 à 9:48
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On reconnaît bien le mercantilisme et opportunisme anglo-saxon. Perso ce type de service ne mintéresse pas ni le paiement en plusieurs fois: facilité de caisse souvent attrape gogo Je préfère attendre d avoir l ´ argent dispo pour payer

à écrit le 17/02/2022 à 9:12
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Surtout qu'ils le vendent comme des friandises, ma banque propose netflix avec ! Et qu'ils la distribuent sans demander l'autorisation ! Une véritable honte mais logique avec les banksters, d'une meute de chiens assoiffés de fric et de leurs politici...

à écrit le 16/02/2022 à 21:11
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Il y a manifestement une distorsion de concurrent massive entre les acteurs classiques du prêt conso, et ces acteurs, qui échappent à toute régulation mais apportent le même service au client final. Les cartes de crédit sont très réglementées aussi, ...

le 16/02/2022 à 23:00
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Oui il y a une distorsion de concurrence, et rien que ça pose problème ! Mais aucun mot sur ce sujet dans cet article apparemment.

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