Exploration spatiale : « Si l'Europe ne fait rien de plus, elle ne sera pas sur la photo pour Mars » (Didier Schmitt, ESA)

Sans une volonté politique à l'échelle européenne en matière d'exploration spatiale, l'Europe restera un acteur de second rang loin derrière les Etats-Unis et la Chine. Le prochain sommet de l'espace à Séville sera décisif. Décryptage de Didier Schmitt, chef de la stratégie et de coordination des vols habités et l'exploration robotique à l'Agence spatiale européenne (ESA).
(Crédits : DR)

Le rêve spatial européen passe par des coopérations qui permettront au Vieux continent de conserver sa place dans l'exploration de l'espace face aux puissances majeures, les Etats-Unis et la Chine. « L'exploration, c'est une initiative à l'échelle quasiment planétaire », explique Didier Schmitt, le chef de la stratégie et de coordination des vols habités et l'exploration robotique à l'Agence spatiale européenne (ESA) à l'occasion de la 10ème édition du Paris Air Forum, un événement organisé par La Tribune. « Mais pour mieux coopérer, il faut avoir plus de non-dépendance, j'allais presque dire plus d'autonomie », dit-il en soulignant son aversion pour ce dernier terme, qui « voudrait dire qu'on fait tout seul et on ne parle pas aux Japonais, aux Américains ».

« Il faut qu'on se développe plus, qu'on soit plus non-dépendant pour améliorer notre niveau de coopération, c'est-à-dire pour imposer nos choix », poursuit-il. Car la course à l'exploration spatiale est un marathon dans lequel il ne faut pas se faire distancer sous peine de disparaître. « Si on ne se bouge pas, on va rater l'opportunité lunaire et si on ne fait rien de plus, on ne sera pas sur la photo quand il va s'agir d'atterrir sur Mars. C'est ça l'objectif, il ne faut pas s'y tromper », avertit Didier Schmitt, qui participait avec l'astronaute de réserve de l'ESA Anthea Comellini à la table-ronde « Astronautes européens : rêves et dépendance ».

Du troc avec la NASA

Le principe est donc de proposer des coopérations basées sur les choix stratégiques européens, à l'instar de ce qui est fait dans le cadre du programme spatial habité Artemis de la NASA, dont l'objectif est d'amener un équipage sur la Lune d'ici à 2025. « Les places sont chères. On est en train d'élaborer un plan pour avoir des astronautes européens sur la Lune dans le programme Artemis. L'avantage pour l'industrie européenne, c'est de rester dans la course pour un moment donné, embrayer et passer la vitesse supérieure, on l'espère très bientôt ».

« On fait du troc, sourit Didier Schmidt. On fait notre choix stratégique et ensuite on discute avec la NASA ». « Demain, on veut faire un troc plus global. C'est le fondement de ce qu'il faut comprendre. Aujourd'hui, on troque quelque chose dont ils ont besoin, demain on va troquer quelque chose que nous décidons. C'est ça le principe de coopération qui doit changer ».

L'Europe a lancé le projet Rosalind Franklin de rover pour la recherche de traces de vie passée à la surface de Mars, ce qui lui permet de faire partie du programme du retour d'échantillons martiens avec les Etats-Unis. « Par contre, le programme d'après, qui est d'atterrir des masses de 25 tonnes sur Mars, personne ne sait faire, c'est là-dessus qu'il faut s'orienter », estime Didier Schmidt. Pour y arriver, l'Europe doit passer par les jalons que sont l'orbite basse et le programme lunaire, estime-t-il. « Si on ne construit pas pour les activités en orbite basse, pour le programme lunaire, si on ne construit pas quelque chose quels que soient les X milliards par an que ça va demander, c'est irrattrapable ».

Le rendez-vous crucial aura lieu les 6 et 7 novembre prochain à Séville, lors du Conseil spatial européen, entre l'ESA et la Commission européenne. « Le sujet majeur, ce sera le vol habité européen, non seulement vers l'orbite basse mais aussi plus loin », indique Didier Schmidt, qui n'avance pas de chiffre car le montant d'investissement dépendra des options et de la feuille de route choisies. Le programme de l'exploration spatiale à l'ESA représente un budget d'environ 1 milliard d'euros par an aujourd'hui. Ce ne sera pas suffisant pour les futures missions martiennes : « le siège va être extrêmement cher », prévient-il. Car la doctrine américaine est basée sur le concept de « space dominance », c'est-à-dire « pas être juste devant les Chinois (mais) être loin devant, avoir une génération technologique de plus ».

Le sommet de l'espoir

Un groupe de travail du Conseil de l'ESA a été mis en place pour examiner les recommandations du rapport écrit par un groupe d'experts indépendants, et pour préparer le prochain sommet de l'espace, qui se tiendra à Séville, le 6 novembre prochain. Lors de ce sommet, « on veut le feu vert politique, et après on va affiner les options technologiques, les coûts ». Avec des changements par rapport à la façon de faire jusqu'ici, notamment mettre tout le monde en concurrence. « On veut aller de l'avant différemment, si on ne le fait pas différemment, on n'y arrivera pas », dit-il en se disant « persuadé qu'à la fin, cette intelligence collective va se cristalliser ».

Une méthode qui suscite l'espoir d'Anthea Comellini, astronaute italienne de réserve de l'ESA et ingénieure chez Thales Alenia Space. « On veut, en ce qui concerne les vols habités, ne plus être des junior partners mais des partenaires égaux », déclare-t-elle. « Le retour à la Lune n'a pas été décidé par les Européens mais par les Américains. C'est très important d'y participer pour continuer à développer nos compétences industrielles et avoir un rôle majeur ». Mais l'Europe doit continuer à rêver de l'espace mais aussi faire rêver. « J'ai envie que des étudiants qui étudient en Europe restent en Europe, et des étudiants qui étudient en Amérique se disent "Ah tiens, il y a des choses sympa à faire en Europe. Allons-y". C'est ça mon rêve. »

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Commentaires 7
à écrit le 19/06/2023 à 7:18
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Bonjour, pour Mars ou même la lune nous ne somme nullement sur cette trajectoires.. Pour cela ils nous faudrait des objectifs claire , des module habité, et surtout une volonté politique.... Ne pas oublié que se sont surtout les états de l'union q...

à écrit le 18/06/2023 à 21:22
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De toute façon, on va être obliger de prendre la photo avec un appareil chinois. Ou un appareil de seconde zone que nous imposeront les USA...Et la photo sera stockée sur ONE DRIVE...

à écrit le 18/06/2023 à 21:22
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De toute façon, on va être obliger de prendre la photo avec un appareil chinois. Ou un appareil de seconde zone que nous imposeront les USA...Et la photo sera stockée sur ONE DRIVE...

à écrit le 18/06/2023 à 20:44
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Pas sur mars et alors ! La finance attendra un peu, des choses plus urgente à faire sur terre. Exemple : La régulation des naissances ! A moins que la finance soit déjà sur le pont avec la préparation des guerres en Europe... .

à écrit le 18/06/2023 à 18:19
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Il suffit juste de dire que Mars va devenir une gigantesque place d'évasion fiscale ! Et vous verrez dans 3 ans nous y serons déjà installés ! ^^

à écrit le 18/06/2023 à 17:55
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Mais l'essentiel c'est de pouvoir survivre sur terre, y a pas photo !;-)

le 19/06/2023 à 9:18
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Pourquoi dit-on alors "Mars et ça repart" ? Il faut une impulsion pour rebondir. :-) Quand la nouvelle Ariane décollera, ça sera déjà une étape (qui a beaucoup de retard, on tergiverse (l'UE est un puzzle) et le temps passe).

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