
« Est-ce que nous dépendrons de l'Allemagne dans notre capacité à l'export ? Jamais », a tonné, en réponse à une question du député RN, Nicolas Meizonnet, le ministre des Armées Sébastien Lecornu, lors d'une audition à l'Assemblée nationale le 26 septembre sur les exportations d'armement et les exportations des biens à double usage de la France. Pourtant, en dépit des accents gaullistes du ministre des Armées, Berlin peut tout à fait s'opposer à l'exportation d'un système d'armes ayant des composants et/ou des équipements fabriqués en Allemagne vers un pays blacklisté.
C'est notamment le cas actuellement de l'Arabie Saoudite. Ainsi, Berlin fait enrager depuis plus de trois ans Londres, qui ne peut plus exporter le Typhoon - un programme en commun d'avion de combat entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne - vers le royaume wahhabite. C'est pour cela que Ryad demande aujourd'hui le principe de « German free » à tous les industriels de l'armement qui lui fournissent des systèmes d'arme. D'une façon générale, l'interdépendance industrielle mondiale conduit l'industrie de l'armement à dépendre partiellement des ses fournisseurs étrangers.
Plusieurs refus de Berlin
En revanche le Bundestag (Parlement allemand), comme le souligne Sébastien Lecornu, ne peut pas empêcher l'octroi de licences d'exportation d'armes. « Laisser à penser que le Bundestag pourrait empêcher des licences d'exportation d'armes françaises, cela n'existe pas. On pourra le répéter à l'envi. (...) Je le redis : « non il n'y a pas de schémas dans lequel l'Allemagne a un droit de veto sur nos exportations d'armes », a expliqué le ministre des Armées.
Pour autant, Berlin s'est opposé plusieurs fois dans le passé à des exportations de systèmes d'armes français. Cela a été le cas pour les blindés Arquus, dont le VAB et Aravis au début des années 2010, pour la PME Nicolas Industrie, qui a été contrainte de lancer un plan social et de transformer son modèle économique, ou encore avec le missile Meteor de MBDA. « Un simple joint a bloqué » des affaires, avait expliqué en février 2019, le PDG d'Arquus, Emmanuel Levacher. Par ailleurs, la volonté allemande de transférer les dispositifs nationaux des contrôles des exportations d'armement à l'échelon européen trahit la volonté de s'opposer aux exportations de ses principaux concurrents européens et, en premier lieu, de la France.
Hypothèse d'un arrêt des projets SCAF et MGCS
S'agissant de programmes en coopération entre la France et l'Allemagne, les deux pays ont signé un accord début 2019 sur le contrôle des exportations en matière de défense, dont le point majeur est le principe « de minimis ». Cet accord, qui réactualise les accords Debré-Schmidt signés en décembre 1971 et en février 1972, va essentiellement concerner le système de combat aérien du futur (SCAF), et plus précisément le projet de système d'armes du futur (Next Generation Weapon System - NGWS), ainsi que le char du futur (Main Ground Combat System) et le drone MALE, Eurodrone.
Ainsi, l'Allemagne ne pourra pas s'opposer à l'exportation de ces systèmes d'arme lorsque la part de produits fabriqués par les industriels allemands n'excèdera pas le seuil de 20% (hors activités de maintenance, pièces détachées, formation, et réparations). Dans ce cas, Berlin devra délivrer les autorisations de transfert ou d'exportation sans délai, sauf de façon exceptionnelle, lorsque ce transfert ou cette exportation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale. Et vice-versa.
Sébastien Lecornu a été clair sur la question de l'exportation du SCAF et du MGCS : « s'il devait y avoir des manquements (de l'Allemagne, ndlr) à cela par des contrariétés diverses et variées, cela mettrait fin aux projets ». Pas question « de penser qu'on va sur le SCAF ou sur le MGCS en trahissant notre souveraineté. Ce n'est pas vrai », a-t-il insisté. Pour autant, le programme SCAF ne sera mis en service qu'à l'horizon 2040... Pour la Cour des comptes dans un rapport publié en janvier 2023, « il conviendra de s'assurer dans le temps long du bon fonctionnement » de l'accord franco-allemand.
Enfin, le ministre des Armées fait valoir que le gouvernement, contrairement aux partis qui critiquent l'axe franco-allemand en matière de coopération, « tente quelque chose » avec le lancement du SCAF et du MGCS pour « reconquérir des parts de marché ». Et de conclure qu'« il n'y a pas plus gaulliste que moi. Je suis sûrement le moins européen des membres du gouvernement. C'est connu, et je l'assume ».
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