« Nous avons besoin de bras et d'une politique agricole qui se donne les moyens » (Christiane Lambert, FNSEA)

Alors que se tient depuis mardi et jusqu’au 30 mars à Angers son 77e congrès, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dévoile son rapport d’orientation pour les trois prochaines années avec pour objectif de répondre au défi démographique qui se pose au monde agricole. Dans les dix années à venir, 30 à 40% des agriculteurs vont partir à la retraite. À l’heure où les questions de souveraineté alimentaire ont été propulsées sur le devant de la scène par le contexte géopolitique international, l’enjeux est de taille pour la France, puissance agricole. Pour La Tribune, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, détaille les pistes et solutions à mettre en oeuvre afin d’assurer au secteur l’attractivité suffisante pour séduire de nouveaux candidats à l’installation et ainsi assurer la pérennité des exploitations agricoles.
Coline Vazquez
Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui tient du 28 au 30 mars son 77e congrès annuel.
Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui tient du 28 au 30 mars son 77e congrès annuel. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Pourquoi consacrer ce rapport d'orientation, baptisé « Entreprendre en Agriculture : notre projet, notre futur ! », à l'enjeu démographique auquel est, d'ores et déjà, consacré le monde agricole en France ?

Christiane LAMBERT - Dans les dix années à venir, 30 à 40% des agriculteurs vont quitter la profession. Autrement dit, ils sont 150.000 à pouvoir faire valoir leur droit à la retraite. Il y a donc une nécessité de renforcer l'ouverture et l'attractivité de la profession afin d'attirer des jeunes pour devenir chefs d'exploitation ou salariés. Il n'y a, aujourd'hui, plus assez de filles et de fils d'agriculteurs pour reprendre la suite de leurs parents, mais de plus en plus de personnes, avec de nouveaux profils venus d'ailleurs, sont intéressées. Ils ont l'envie d'exercer un métier de création et de sens dans une entreprise qui a du sens.

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Nous avons donc besoin de bras, de projets économiques, mais aussi d'une politique agricole qui se donne les moyens. Or, nous dressons le triste constat que l'agriculture française dévie. On perd en moyens de production, on produit moins et les réglementations sont de plus en plus compliquées. Quand d'autres pays foncent, nous faisons du sur place, dans certains domaines, nous régressons même. Nous l'avons dit aux pouvoirs publics : « la France est partie sur une mauvaise pente. Vous avez la responsabilité de redonner de la confiance et des perspectives au secteur agricole ».

C'est, de nouveau, ce que nous voulons dénoncer auprès du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. Il y a un amoncellement de normes qui ont plombé l'agriculture. Elles ne sont pas toutes de son fait, bien sûr, mais c'est à lui de mettre le pied dans la porte. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a dit : « On a perdu l'industrie, on ne peut pas perdre l'agriculture ». Or, la filière est souvent prise en otage. On peut notamment citer l'exemple de l'interdiction des néonicotinoïdes en 2016. La ministre (Barbara Pompili, à l'époque secrétaire d'Etat chargée de la Biodiversité auprès de Ségolène Royal, ministre de l'Ecologie sous François Hollande, ndlr) s'est réveillée un matin en prenant cette décision qui a planté la filière de la betterave.

L'agriculture est souvent perçue comme une profession pénible et peu rémunératrice. Comment faire évoluer cette image pour susciter davantage de candidatures à l'installation ?

Il y a des travaux pénibles, mais pas seulement. C'est une profession qui a connu une très forte évolution grâce à la mécanisation et à la robotisation qui permettent d'alléger les tâches répétitives et d'éviter aux agriculteurs de porter des charges lourdes. Nous avons désormais des tracteurs avec direction assistée ou encore des outils de numérisation pour l'administratif... autant d'équipements qui permettent de gagner du temps et de rendre le travail moins pénible.

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En outre, il y a eu une amélioration des revenus grâce à la loi EGAlim 2 ces deux dernières années. Pendant dix ans, nous avons connu des baisses de prix, et, pour la première fois, en 2022, nous avons enregistré +3,1% de hausse avec, donc, de meilleurs revenus pour les agriculteurs.

Si les prix des agriculteurs ont grimpé, c'est en partie dû à la loi EGAlim 2 ainsi qu'au contexte international qui a fait grimper les tarifs de certaines denrées. Mais cela s'explique également par le fait que, pendant des années, les agriculteurs ont moins gagné et se sont donc détournés de certaines activités comme l'élevage, entraînant une baisse de la production de viande, ce qui a fait monter les prix. Pour éviter que cela ne se reproduise, il faut conserver des prix plus rémunérateurs pour la profession.

Enfin, il y aussi la question du financement notamment pour les grandes exploitations, qui sont donc plus chères, et pour lesquelles peut intervenir un partage du foncier. Car il est parfois difficile d'accéder au foncier. Pour y remédier, nous avons mené un partenariat avec les Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural).*Il faut également, pour ceux qui s'installent, des contrats avec des prix garantis, et, pour ceux qui transmettent leur exploitation, instaurer une fiscalité adaptée.

*Ce partenariat consiste en un fonds de portage capitalistique qui laisse la possibilité à de jeunes agriculteurs de s'installer sans investir tout de suite dans le foncier, et de le faire plus tard.

La loi Descrozaille, qui a rebattu les cartes dans les négociations entre distributeurs et producteurs en faveur de ces derniers, a été adoptée par le Parlement le 22 mars dernier. Marque-t-elle un tournant pour la profession ?

Oui, il y a un changement qui a été amorcé. Ce texte vise à poursuivre certains dispositifs de la loi EGAlim 2 qui étaient expérimentaux comme l'encadrement des promotions et le seuil de revente à perte (SRP+10)*. Malgré le lobbying féroce des distributeurs pour y mettre fin, nous avons connu pour la première fois des hausses des prix de vente. Cela va donc dans le bon sens.

Néanmoins, il y a toujours à Bercy (ministère de l'Economie, ndlr) des gens qui tiennent un double discours et font tout pour que le système persiste en appelant les distributeurs à baisser les prix, car il y a trop d'inflation. Or, pendant vingt ans, les gens ont mangé mieux, pour moins cher. Résultat : on a perdu 100.000 exploitations agricoles. Il faut donc aussi expliquer aux Français qu'on ne peut pas avoir de l'agriculture partout sur le territoire français et des agriculteurs qui ne gagnent pas leur vie.

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*La loi Descrozaille prévoit de prolonger jusqu'au 15 avril 2026 sur les produits alimentaires dans les grandes surfaces l'encadrement des promotions à 34% de leur valeur et à 25% en volume. Elle prolonge également le seuil de revente à perte jusqu'au 15 avril 2025, qui oblige les distributeurs à vendre les produits alimentaires au minimum au prix où ils les ont achetés, majoré de 10%.

De nombreux pays connaissent une crise alimentaire mondiale depuis, notamment, le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, deux importants producteurs de céréales. La France, qui doit déjà répondre à des enjeux de souveraineté alimentaire sur son territoire, a-t-elle un rôle à jouer ?

Quand on voit les grands enjeux alimentaires devant nous du fait du contexte international provoqué par la guerre en Ukraine et le grand nombre de pays qui souffrent de famines, notamment en Afrique, il faut produire plus pour alimenter ceux qui ont un climat plus sec et ont d'importants besoins d'importation. La France peut contribuer à l'alimentation mondiale et aux équilibres mondiaux. Mais, pour cela, il faut produire plus.

Or, sur les dix dernières années, la France a moins produit, moins exporté, mais importé davantage, surtout en provenance d'Europe où certains pays n'ont pas la même réglementation que dans l'Hexagone qui bride la possibilité de produire plus.

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Coline Vazquez

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Commentaires 16
à écrit le 30/03/2023 à 23:25
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Quand on est jeune et passionné d'agriculture moderne comme les mycorhizes on fait comment pour financer une installation? Il existe rien, alors que tout les autres métiers c'est facile. Pourtant il y en a des choses A faire, cultures tropicales da...

à écrit le 29/03/2023 à 16:34
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Bravo,Madame Lambert, La ou le dirigeant d'un syndicat majoritaire,doit ménager des intérêts totalement divergeants comme ceux des éleveurs qui ont intérêt à acheter leurs céréales à un prix le plus bas possible et les céréaliers qui ont un objectif...

à écrit le 29/03/2023 à 14:28
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Pierre dans la marre .Je réside dans un département rural du sud-ouest et j'ai fait une découverte et un constat il y a déjà plusieurs années .A, l'échelon d'un département l'économie agricole est sous la coupe 6 ou 7 personnes que vous trouvez prése...

à écrit le 29/03/2023 à 13:55
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L'agriculture industrielle (la bouffe façon l'aile ou la cuisse) est l'arme de l'occident pour tordre le bras, justement, des pays qui auraient des velléités de ne réserver leurs matières premières indispensables qu'à des amis politiques, c'est à dir...

le 29/03/2023 à 21:46
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Les Chinois produiront des usines à lait, comme ils viennent de construire une usine à cochons. Et vos produits, ils n'en n'auront plus besoin. Mais, nous aurons besoin de leurs batteries et de leur technologie pour les véhicules électriques.

à écrit le 29/03/2023 à 13:19
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"Il n'y a, aujourd'hui, plus assez de filles et de fils d'agriculteurs pour reprendre la suite de leurs parents" L'amour est dans le pré.

à écrit le 29/03/2023 à 9:36
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A titre de réflexion le cas de l’élevage en Bretagne soit quatre départements (effectifs pour 2015) : Total espèces bovines en Bretagne 2 061 593 dont 454 503 pour le Finistère. Total espèces porcines en Bretagne 7 333 356 soit 56 % de la production...

le 29/03/2023 à 14:01
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Il y a 40 ans, les Bretons ont refusé la centrale nucléaire de Plogoff au nom de la pureté écologique. Maintenant, ils n'ont pas assez d'électricité, et les algues vertes : bravo, les mecs !

le 29/03/2023 à 16:50
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Ils viennent d'implanter au centre Bretagne une centrale gaz de 450MW car derrière les éoliennes il y a du gaz.. Quant au système pour implanter les porcheries lorsque le Tribunal Administratif dit non le préfet dit oui..

à écrit le 29/03/2023 à 9:23
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Nous avons besoin de bras, certes ! Pour moins de mécanisation ! Mais pas d'une politique agricole spécifiquement tourné vers l'export à moins d'avoir un excédent ponctuel !

à écrit le 29/03/2023 à 9:08
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La FNSEA n'a jamais rien fait pour les agriculteurs, sauf pour les très gros propriétaires et l'industrie agro alimentaire. La FNSEA a toujours œuvré pour une concentration de l'agriculture française...et l'Etat n'est pas contre.

le 29/03/2023 à 9:52
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c est la réalité d un constat ! ne fait rien pour l agriculture raisonnée. ( que pour les gros de l agro ) cautionnée par les politiciens en échec environnemental

à écrit le 29/03/2023 à 8:59
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Elle n'aura pas redorer l'image d'un FNSEA ringarde, très attachée à faire plaisir aux politiques, une image de jamais contente. Je suis pour payer plus cher mes achats alimentaires mais la FNSEA est mon repoussoir car leur discours du jamais content...

à écrit le 29/03/2023 à 7:50
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Vu de l'extérieur, et par des esprits chagrins, la FNSEA c'est un lobby qui fait bien deux choses : a) pleurnicher pour avoir des subventions à la moindre calamité naturelle, ce qui est pourtant ce à quoi on s'expose quand on travaille dans les champ...

le 29/03/2023 à 9:00
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Que tous ceux qui passent leur temps à critiquer les productions agricoles arrêtent immédiatement de manger..! Les prévisions pour 2050, mondiales, font état d’un besoin de nourrir 200 000 personnes supplémentaires par JOUR (sic!).

le 29/03/2023 à 11:55
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@ reponse de BH. La surpopulation, est bien le problème. La course à la production intensive est un facteur favorable à la surpopulation qui est un danger pour la planète par épuisement des ressources dont l'eau pour laquelle la guerre va s'intensif...

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