Bleu de chauffe et Fabre, ces magiciens du cuir, pépites de Millau

Dans l’Aveyron, Bleu de chauffe et Maison Fabre, maroquinier et gantier haut de gamme, font la fierté de tout un territoire. L'un séduit à l'international, l'autre exporte l'exigence de la haute couture sur une paire de gants dédiée à l'escrime. Découverte.
Le cofondateur de Bleu de chauffe, Alexandre Rousseau.
Le cofondateur de Bleu de chauffe, Alexandre Rousseau. (Crédits : © RÉMI BENOIT POUR LA TRIBUNE DIMANCHE)

Difficile de se tromper sur les lieux. Avec une vue imprenable sur cet immense viaduc aux pylônes blancs, une vingtaine de paires de petites mains s'affairent dans cet atelier pour relancer la production de pièces de maroquinerie en tout genre en ce jour de reprise. C'est à Saint-Georges-de-Luzençon, tout proche du viaduc de Millau, que le maroquinier Bleu de chauffe a installé ses valises et sa trentaine de salariés depuis 2017. Portefeuille, sac à dos, sac de voyage, produits pour homme et pour femme... Une partie des 24 000 pièces produites l'année passée affichent cette localité avec fierté. « L'ancrage territorial et le made in France sont au cœur du projet de notre entreprise », commente Alexandre Rousseau, le cofondateur et dirigeant de la marque fondée en 2009 et depuis labellisée entreprise du patrimoine vivant. Si, sur le papier, les volumes semblent importants pour cette PME, son designer en chef défend une approche du fait main et de la rigueur.

Bleu de chauffe

Les artisans de Bleu de chauffe ont un cadre de travail atypique (Crédits : Rémi Benoit).

« Le luxe est un concept marketing, présente l'entrepreneur. Nous, nous proposons des pièces 100 % artisanales et haut de gamme, et surtout nous ne sommes pas une usine. Nous ne sommes pas organisés comme une chaîne de production mais plutôt par poste de travail. Chaque artisan signe ses productions. C'est une fierté pour eux et c'est un clin d'œil apprécié par la clientèle. »

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L'enjeu est de taille pour Bleu de chauffe, à savoir fidéliser ses détenteurs de compétences, encore trop rares aujourd'hui malgré l'intérêt croissant des consommateurs pour ces produits de qualité. Depuis ses débuts, l'entreprise artisanale a fait le choix de matières premières au maximum françaises, sinon européennes. En plus de la toile cirée, l'entreprise mise sur du cuir au tannage végétal. « C'est notre marque de fabrique, souligne Alexandre Rousseau. C'est une alternative au cuir tanné au chrome, qui représente certainement aujourd'hui 90 % de la production du cuir. Notre cuir est plus complexe à travailler mais il est la garantie d'une qualité bien meilleure. »

Bleu de chauffe travaille des cuirs d'origine bovine (Crédits : Rémi Benoit).

Une approche qui séduit au-delà de nos frontières, aux États-Unis en premier lieu, mais aussi en Chine, en Angleterre, en Corée, en Allemagne ou au Japon. Poussé par cette dynamique, Bleu de chauffe a récemment fait le choix de se diversifier dans le textile, avec des sous-traitants partenaires, pour proposer à sa communauté une veste de travail et un pull marin en plusieurs coloris et avec la même exigence de qualité. Dans le courant de l'année 2024, l'entreprise aveyronnaise compte commercialiser un tee-shirt pour homme. « Cette fois-ci, il sera produit dans nos ateliers, à partir d'un coton bio tissé dans le Nord », précise le designer.

Entreprise du patrimoine vivant

À quelques kilomètres de là, un autre acteur de la valorisation du cuir a décidé de diversifier son positionnement sur le marché. Le gantier Fabre - qui fêtera son centenaire dans les prochains mois -, réputé pour ses gants de haute qualité consacrés à un usage civil, commence à se faire un nom dans le monde du sport. « Nous allons livrer les premiers gants d'escrime made in France pour les Jeux olympiques de Paris, soit 250 paires pour plusieurs athlètes, conçus avec un cuir d'agneau local, promet Olivier Fabre, codirigeant avec son frère de la TPE et quatrième génération à la tête de celle-ci. Nous nous intéressons aussi à l'équitation et au cyclisme... Pas moins de 45 sports utilisent des gants dans leur pratique. C'est un virage qui nous amène de nouvelles contraintes techniques, mais la mode reste et restera très présente au sein de la Maison Fabre. »

Ce virage dans le sport doit permettre à la maison Fabre d'assurer une certaine pérennité (Crédits : Rémi Benoit).

Nous allons livrer les premiers gants d'escrime made in France pour les Jeux olympiques de Paris, soit 250 paires

Olivier Fabre, codirigeant de la Maison Fabre

Comment se passer de l'exposition médiatique d'une chanteuse comme l'Américaine Beyoncé, qui a porté à cinq reprises des créations du gantier lors de sa dernière tournée, Renaissance World Tour, organisée en 2023 ? Si, au travers de sa collection du même nom, la Maison Fabre propose plusieurs dizaines de références différentes sur ses deux collections annuelles, ses créations en cuir (d'agneau pour la plupart) ont aussi attiré l'œil de nombreux acteurs de la haute couture et du luxe. La société familiale, l'un des derniers gantiers indépendants, fait de la sous-traitance pour de grands noms. « Au-delà d'une très grande précision dans nos coutures et nos coupes, nos gants sont imaginés avec beaucoup de couleurs, présente Olivier Fabre. C'est la touche de la Maison Fabre. »

Christian, le maître coupeur de la Maison Fabre, prépare déjà la relève (Crédits : Rémi Benoit).

Comme Bleu de chauffe, Maison Fabre est labellisée entreprise du patrimoine vivant et privilégie la vente en direct pour ses paires de gants qui, pour la majorité, valent quelques centaines d'euros. Bien que cet accessoire de mode aie moins d'adeptes qu'il y a quelques décennies, le gantier aveyronnais est toujours en quête d'innovation pour renforcer sa communauté et sauvegarder une filière régionale, à l'image de sa collaboration avec l'Atelier Tuffery. Cette association a dès lors débouché sur deux paires de gants, fabriquées en cuir d'agneau et laine de Lozère. Une nouvelle preuve que la Maison Fabre veut préserver ses racines tout en exportant son savoir-faire.

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La filière rêve d'un label Unesco

C'est un travail de longue haleine, engagé déjà depuis 2018. En plus de ses fonctions au sein de la Maison Fabre, Olivier Fabre a initié une démarche méticuleuse pour doper l'aura de la filière cuir et laine de Millau. « J'ai lancé une candidature d'inscription au Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité auprès de l'Unesco », fait savoir le dirigeant, qui est déjà parvenue à faire inscrire le savoir-faire des gantiers depuis le 13 décembre à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel de France. « Cela a été un beau cadeau de Noël pour la filière et le territoire. Avoir ce savoir-faire reconnu par son pays, c'est la première étape préalable avant une reconnaissance auprès de l'Unesco. Cela nous laisse désormais quelques années devant nous pour atteindre cet objectif », commente le dirigeant.

Pour structurer ce dossier, qui se doit d'être riche et complet, les collectivités locales ont débloqué les fonds pour recruter une pointure en la matière, habituée de cette démarche, en la personne de Nadia Bédar. Sous sa responsabilité, les savoir-faire liés au parfum en Pays de Grasse ont été inscrits au Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité par l'Unesco. Forte de son soutien, cette candidature des savoir-faire liés à la ganterie en pays de Millau, qui regroupe six départements d'Occitanie (Aude, Aveyron, Gard, Hérault, Lozère et le Tarn), espère une issue similaire. Pour ce faire, le dossier sera construit sur l'ensemble de la filière, mêlant les domaines de l'agropastoralisme, la transformation de la laine et du cuir, ainsi que la confection des gants. Cette démarche s'inscrit aussi dans une volonté de sauvegarde des savoirs et de transmission de ces derniers. Dès lors, entreprises et élus locaux visent pour la rentrée 2024 l'ouverture de la première école de ganterie à Millau dans l'optique d'y proposer un CAP maroquinerie, option ganterie, mégisserie et cordonnerie. Par la suite, une école d'enseignement supérieur autour de la durabilité et des transformations de nos matières naturelles pourrait aussi voir le jour.

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