La Fashion Week de Paris, saison Hommes Eté 2023, démarre aujourd'hui sous les meilleurs auspices : la capitalisation du numéro un mondial du luxe, LVMH, a dépassé, pour la première fois de son histoire, les 400 milliards d'euros lors de la séance ce mardi. C'est la première fois qu'une entreprise européenne dépasse ce seuil. Accessoirement, ce nouveau record propulse (à nouveau) la famille Arnault, actionnaire à hauteur de 47,44%, via le holding Dior SE, en tête des grandes fortunes mondiales. Au total, LVMH confirme son rang de première capitalisation européenne et se hisse désormais à la treizième place des capitalisations mondiales, loin derrière le numéro 1 mondial Apple et ses 2.000 milliards d'euros. Le groupe était à la dix-huitième place mondiale il y a un an tout juste.
Cette performance traduit la bonne santé des valeurs du luxe. Après une année 2022 qui a démontré, une fois de plus, la résilience du secteur en Bourse, elles continuent de progresser fortement depuis le début d'année. Ainsi, LVMH gagne près de 16 %, Hermès ou L'Oréal 14 %, et Kering reprend 17 % après une année plus difficile. C'est d'ailleurs bien le secteur du luxe, surpondéré dans l'indice du CAC 40 (30%), qui tire la Bourse de Paris vers le haut, autour des 7.000 points.
La prime Chine
Cette brusque envolée profite de la réouverture économique de la Chine, même si elle apparaît quelque peu chaotique, après trois années de restrictions sanitaires parmi les plus sévères au monde. Pour autant, la performance boursière des valeurs luxe repose avant tout sur des résultats solides sur les neuf premiers mois de l'année 2022. Ce a qui montré au passage que ces valeurs pouvaient s'en sortir très bien sans la clientèle chinoise. Ainsi, LVMH a réalisé un chiffre d'affaires, au 30 septembre 2022, en hausse de 28% à 56,5 milliards d'euros, alors même que l'année 2021 avait déjà été excellente. La maroquinerie confirme son statut de jackpot du luxe, avec des marges indécentes. C'est ce qui a fait la fortune de Hermès, dont la capitalisation a été multipliée par sept en dix ans.
« Ces bons résultats (de LVMH, NDLR) sont essentiellement liés à un effet change qui a été positif de 8% sur la croissance interne du groupe », précise Antoine Fraysse-Soulier, analyste financier chez eToro. Les clients américains (ou de de zone dollar) ont en effet profité d'un euro faible par rapport au dollar pour acheter du luxe, comblant ainsi le manque à gagner de la clientèle asiatique.
Et l'année 2023 s'annonce également porteuse pour le secteur. Le retour de la croissance en Chine et, potentiellement le retour aussi des touristes chinois - ce qui devrait être un mouvement assez lent néanmoins - est mécaniquement un plus pour le chiffre d'affaires des groupes de luxe.
Mais les relais de croissance ne sont pas que asiatiques. « Les catégories sociales supérieures ont encore beaucoup d'épargne, ce qui devrait limiter une éventuelle baisse de leur consommation en cas de ralentissement économique en 2023 », estime Frederik Ducrozet, responsable de la recherche macroéconomique chez Picter Wealth Management.
Valorisations élevées
Le seul sujet d'inquiétude pourrait être les niveaux de valorisations élevées, qui n'ont plus rien à envier aux stars de la Tech. Hermès se paie près de 50 fois ses bénéfices estimés 2022 alors que LVMH capitalise plus de 25 fois ses profits 2022 (contre un multiple moyen de 12 sur l'Eurostoxx 50 ).
« On peut s'attendre à une consolidation car ces valeurs sont peut-être montées trop vite », prévient Alexandre Baradez, responsable des analyses marché chez IG France. Ce dernier explique que la consommation des Chinois pourrait être freinée par la crise immobilière qui a impacté l'épargne des classes moyennes et supérieures. « Nous ne sommes pas non plus à l'abri d'un reconfinement de la Chine, ce qui serait une très mauvaise nouvelle pour le secteur », ajoute Antoine Fraysse-Soulier qui n'estime cependant pas que les sociétés du luxe sont pour l'instant trop valorisées. « Il faudra attendre le deuxième trimestre 2023 pour constater les conséquences positives de la réouverture de la Chine », avance Frederik Ducrozet.
La réalité est surtout que l'appétit des investisseurs reste intact : tous les gérants souhaitent avoir du luxe en portefeuille, y compris pour ceux qui revendique un style de gestion croissance, et la gestion passive ne peut également pas se passer du secteur, du moins en Europe.
Des trajectoires différentes
Toutes les valeurs du secteur ne se valent cependant pas. « La diversification est essentielle dans ce secteur », insiste Antoine Fraysse-Soulier. Ainsi, LVMH, qui s'est fortement diversifié aux Etats-Unis avec le rachat du joaillier Tiffany en 2021, a profité à plein de l'envolée du dollar.
En revanche, Kering a du mal à s'extraire du poids de Gucci, qui représente plus de la moitié du chiffre d'affaires, mais surtout 75% de son résultat opérationnel en 2021. Or, les recettes de Gucci, qui ont fait son incroyable réussite ces dernières années, commencent à s'essouffler et le départ de son emblématique directeur artistique, Alessandro Michele et le changement radical du style de la maison déstabilisent logiquement les investisseurs.
Hermès est l'exemple même de l'emballement de la Bourse pour un titre, qui repose sur des marges exceptionnelles. C'est Hermès qui a pratiquement inventé le concept de la montée en gamme permanente : faire monter les prix plutôt que la production. Et ça marche et les clients doivent parfois attendre un an avant d'acheter certains sacs emblématiques de la gamme (malgré des prix très élevés). On retrouve un peu l'univers des « supercars » de luxe comme Ferrari ou Lamborghini.
« La marque a une clientèle très fidèle qui est prête à acheter ses biens même si leurs prix montent beaucoup », confirme Antoine Fraysse-Soulier. Hermès affiche ainsi une marge bénéficiaire nette de 28% en 2022, contre 18% pour LVMH et de 19% pour Kering. Mais le petit frère de LVMH est aussi beaucoup plus fragile. « Hermès n'est pas très diversifié et est beaucoup plus chèrement valorisé en bourse que ses concurrents, deux fois plus que LVMH», nuance l'analyste.
Sujets les + commentés