
« Une voiture qui est fabriquée en Chine avec de l'électricité à partir du charbon ne pourra pas bénéficier du bonus écologique », a déclaré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, dans une intervention au journal de 20 heures sur TF1 mardi 5 septembre. La ministre a également donné les noms des modèles qui ne bénéficieront pas du bonus. « Dans les conditions actuelles de production, des modèles comme la Dacia Spring ou le chinois MG ne devraient pas bénéficier du bonus l'année prochaine. » L'utilisation du conditionnel laisse peu de place au doute, les voitures électriques fabriquées en Chine n'auront plus de réduction de 5.000 à 7.000 euros à l'achat.
Ce bonus, qui doit voir le jour début 2024, s'appuiera sur un score environnemental et prendra en compte six grands critères : la production d'acier, celle d'aluminium, les autres matériaux utilisés dans le véhicule, la production de la batterie, l'assemblage ainsi que le transport. L'Agence de la transition écologique (Ademe) collecte actuellement les données des constructeurs. Si ces derniers atteignent une valeur de 60 points minimum, alors ils entreront dans le dispositif d'aide. Problème : l'intervention de la ministre a eu lieu avant la fin de cette collecte et avant de connaître les scores définitifs. Le syndicat qui représente les constructeurs cités dans l'exclusion du bonus a réagi immédiatement par un communiqué à la suite de ces annonces, accusant cette mesure d'être « discriminante ».
Une attaque frontale contre les constructeurs chinois
« C'est du name-bashing. La méthodologie de calcul manque de transparence. Malgré notre désir d'être associés à la réflexion, nous n'avons pas été sollicités en amont. Les critères adoptés paraissent biaisés, ciblant notamment les productions asiatiques sans fondement écologique évident », tempête Athina Argyriou, présidente déléguée de la Chambre syndicale internationale de l'automobile et du motocycle (CSIAM). Les constructeurs qui ne bénéficieront pas du bonus regrettent surtout les méthodes de calcul du score environnemental.
« À chaque fois, c'est le modèle avec la plus grosse taille de batterie qui a été pris en compte. Or, ces voitures sont forcément plus polluantes puisqu'il y a davantage de métaux, dont certains critiques pour les plus grosses batteries. Ce ne sont pas les mêmes technologies pour les puissances inférieures. Le bonus risque de pénaliser certains consommateurs », fait valoir l'un des constructeurs. Tous regrettent surtout la décision de prendre en compte le mix énergétique du pays comme référence et non celui de l'usine de fabrication des véhicules.
Du côté de la ministre, on rappelle « que ce bonus bénéficiera aux voitures moins émettrices en CO2, donc fabriquées en France et en Europe ». En coulisse, on s'agace de ces réactions à qui ont suivi les propos d'Agnès Pannier-Runacher, estimant que toutes les précautions de langage ont été prises et que la liste effective sera connue à la fin de cette année. Cette mesure, présentée comme hostile aux voitures électriques à l'empreinte carbone élevée, vise en réalité les voitures importées de Chine. Ou comment faire une mesure protectionniste sans l'afficher clairement.
La France joue dans la zone grise de l'OMC
Une situation qui effraie la CSIAM, estimant que la France joue avec le feu des règles du commerce international (OMC). « Nous craignons que ce dispositif mette en péril l'industrie automobile européenne, d'autant plus dans un contexte mondialisé. À travers la CSIAM, les ambassades d'Allemagne, de Corée, du Japon et potentiellement celle des Etats-Unis, aspirent à être consultées avant l'adoption de ce décret. »
La France est le premier pays en Europe à prendre une telle mesure. Elle intervient après les subventions chinoises attribuées uniquement aux constructeurs locaux puis à la mise en place de l'Inflation reduction act (IRA) américain qui vise à accélérer la production de véhicules sur le continent Nord-américain. Une mesure à la limite des règles du commerce international qui imposent de ne pas établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux.
« Nous sommes sur une ligne de crête qui mérite beaucoup de vigilance. La France utilise une petite marge de manœuvre sur l'écologie permise par les règles de l'OMC pour protéger le secteur des véhicules européens. Avec les subventions massives de la Chine en faveur de l'industrie automobile chinoise, nous sommes passés du respect des règles de concurrence équitable à un rapport de force fondé sur une des distorsions de concurrence », explique Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors et en charge de la Géopolitique du commerce.
La CSIAM craint, de son côté, un problème d'harmonisation au sein de l'Union européenne si tous les pays mettent en place leurs propres règles. Pour l'instant, aucune autre puissance industrielle automobile de l'Union européenne ne s'est prononcée à ce sujet.
La chercheuse Elvire Fabry rappelle que les Allemands misent plutôt sur l'innovation et leur image pour contrer l'entrée massive des constructeurs chinois sur le marché. Ils étaient deux fois plus nombreux au salon de Munich cette année et présentent des modèles électriques souvent 10.000 euros moins chers que les constructeurs européens. Pour réduire cet écart de prix, Agnès Pannier-Runacher a également évoqué une augmentation du montant du bonus écologique en janvier sans pour autant donner de chiffres.
Le bonus touchera sûrement le leasing Si le bonus écologique avantagera les modèles électriques fabriqués en Europe, il aura aussi pour conséquence de remonter le prix des modèles fabriqués en Chine. Or, souvent moins coûteux, ces produits permettent également une offre de location à des prix très attractifs, comme la MG4 électrique à 99 euros par mois. « Ce leasing représente 10 % de la prise de commandes des MG en juillet et août en France. Si ce bonus est coupé, nous ne pourrons plus proposer cette offre », souligne le constructeur chinois. Le gouvernement a quant à lui annoncé un leasing à 100 euros pour les ménages aux revenus les plus faibles et uniquement sur des véhicules européens. Mais très vite, la réalité du terrain va l'obliger à mettre davantage la main au porte-monnaie pour atteindre cet objectif. Les constructeurs craignent un recul des ventes des voitures électriques après la mise en place du bonus.
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