Immobilier : faut-il amplifier les dispositifs fiscaux pour en finir avec l'habitat indigne ?

Les maires de Mulhouse et de Saint-Denis viennent de remettre, ce lundi 23 octobre, un énième rapport sur l'habitat indigne au ministre du Logement Patrice Vergriete. Le sujet devient en effet une préoccupation croissante des élus locaux, mais nécessite des moyens privés pour y faire face. Selon toute vraisemblance, leurs idées qui seront retenues par le gouvernement devraient se retrouver dans les deux futurs projets de loi liés au logement. Décryptage.
César Armand
Un habitat indigne est un « habitat portant atteinte et contraire à la dignité humaine », selon la définition du Code Pénal.
Un habitat indigne est un « habitat portant atteinte et contraire à la dignité humaine », selon la définition du Code Pénal. (Crédits : Jean-Paul Pelissier)

Mal-logement, logement indécent ou en péril, habitat insalubre... Mais qu'est-ce que l'habitat indigne ? Il s'agit d'un « habitat portant atteinte et contraire à la dignité humaine », selon la définition du Code Pénal. « Des locaux utilisés aux fins d'habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l'état expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé », précise la loi du 25 mars 2009 relative à la mobilisation pour le logement et à la lutte contre l'exclusion.

Entre 400.000 et 420.000 logements du parc privé avec près d'un million d'occupants - dont la moitié des habitats sont occupés par leur propriétaire - restent « estimés potentiellement indignes », selon un énième rapport remis ce 23 octobre par les maires  de Mulhouse (LR) et de Saint-Denis (PS), Michèle Lutz et Mathieu Hanotin.

Un sujet qui s'est invité à l'agenda politique en 2018

De fait, le sujet s'est invité à l'agenda politique de l'exécutif actuel dès octobre 2018 au congrès HLM de Marseille. Le gouvernement lançait alors un plan « Initiative Copropriétés » pour réhabiliter voire détruire 56.000 logements sur dix ans avec une enveloppe de 3 milliards d'euros.

« Plus de 1.100 copropriétés sont accompagnées, dont 40% en quartier prioritaire de la politique de la ville, soit 89.000 logements. 2,7 milliards d'euros seront ainsi mobilisés entre 2018 et 2028 », fait savoir, ce 23 octobre, le ministère du Logement.

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Un mois plus tard, l'effondrement de trois immeubles dans la cité phocéenne conduira le Premier ministre de l'époque, Edouard Philippe, à missionner le député (LREM) du Val-d'Oise, Guillaume Vuilletet, pour « recenser les besoins opérationnels », « mener des entretiens avec les acteurs représentatifs » et « proposer des évolutions réglementaires et institutionnelles ».

Réélu aux élections législatives de 2022, le même Guillaume Vuilletet a déposé une proposition de loi « portant renforcement du contrôle de la décence des logements ». Le texte a été inscrit à l'ordre du jour en mai 2023, avant que le député ne le retire le 12 septembre.

Entre-temps, le ministre de la Ville et du Logement d'alors, Olivier Klein, avait en effet missionné, mi-mai, les édiles de Mulhouse et de Saint-Denis pour « recenser les difficultés opérationnelles » et « proposer des évolutions réglementaires comme législatives ». Les mêmes mots ou presque que ceux utilisés pour la mission Vuilletet de l'hiver 2018 !

Une préoccupation croissante des élus locaux

Cette fois-ci, les élus locaux n'ont pas attendu les évolutions politiques pour agir. Le 21 juin, les maires socialistes de Marseille et de Saint-Denis ont lancé un « réseau des villes contre l'habitat indigne »

« Là où les moyens et les outils des collectivités sont souvent insuffisants, ce réseau a pour ambition de réunir petites et grandes villes afin de partager leurs expériences et les difficultés rencontrées dans la lutte contre l'habitat indigne à l'échelle locale », déclaraient, il y a trois mois, Benoit Payan et Mathieu Hanotin.

Fin juin, le sujet est revenu sur la table lors d'une matinée sur la décentralisation de la politique du logement organisée par la délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

« Les élus locaux sont souvent désarmés face à l'atomisation des propriétaires et l'extrême hétérogénéité du parc. Le traitement des logements insalubres et de l'habitat indigne fait appel à de multiples réglementations où les maires disposent de peu de marges de manœuvre », relevait Agnès Thouvenot, première adjointe (PS) au maire de Villeurbanne (Rhône).

Un « prêt inclusif » de la Banque des territoires

Les choses s'accélèrent depuis quelques jours. Le directeur des prêts de la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts) a remis, le 19 octobre, son rapport sur le financement des travaux des copropriétés dégradées. Kosta Kastrinidis préconise, notamment, la création d'un prêt « inclusif » pour financer tous les chantiers, depuis la rénovation énergétique jusqu'aux travaux de solidification du bâtiment.

« Inspiré du modèle belge, ce produit devrait pouvoir être déployé par les acteurs financiers avec un coût d'entrée et de développement réduit, et couvrir de manière plus complète les besoins de financement des copropriétés, depuis le préfinancement des aides publiques jusqu'au financement du reste-à-charge d'un maximum de copropriétaires », écrit le représentant de la CDC dans une déclaration transmise à la presse.

Michèle Lutz et Mathieu Hanotin, les édiles de Mulhouse et de Saint-Denis, viennent eux de remettre, ce 23 octobre, leurs 24 propositions au nouveau - depuis le 20 juillet - ministre du Logement, Patrice Vergriete.

Les maires proposent quatre grands axes : « Amplifier le pouvoir d'agir des collectivités pour des interventions plus rapides, notamment sur le foncier », « faciliter l'intervention des acteurs privés », « améliorer l'accompagnement et la protection des habitants » et « accentuer les mesures coercitives envers les propriétaires indélicats et les marchands de sommeil ».

Huit pistes pour les collectivités territoriales

Sur ce dernier point, les deux élus locaux proposent de doter les inspecteurs de salubrité et les agents de police municipale des pouvoirs d'enquête judiciaire en habitat indigne, mais aussi de faciliter la saisie des lots des propriétaires indélicats en impayés, voire d'instaurer un régime de substitution de la collectivité dans les procédures de saisie en cas d'inaction du syndic.

« Il s'agit aussi de renforcer la lutte contre les divisions pavillonnaires illicites en améliorant les dispositions du ''permis de diviser'' et en harmonisant les procédures habitat et droit des sols », poursuivent-ils. Le permis de diviser est demandé à tout propriétaire privé souhaitant diviser son bien pour y créer un ou plusieurs logements dans sa maison ou son immeuble.

Prêchant pour leur paroisse, les édiles Lutz et Hanotin soumettent aussi pas moins de huit pistes pour les collectivités territoriales, comme leur permettre d'exproprier plus rapidement les immeubles d'habitat indigne ou d'instaurer une méthode nationale de décote pour l'évaluation des immeubles dégradés. Cela permettra à des investisseurs de les acheter moins cher qu'aux prix du marché à condition de les rénover.

Amplifier les dispositifs fiscaux

Au volet « intervention des acteurs privés », les deux maires poussent, notamment, à favoriser les contrôles de sécurité incendie dans les immeubles d'habitation et à amplifier les dispositifs fiscaux visant à favoriser l'investissement privé dans l'habitat ancien dégradé.

Par exemple, le dispositif Denormandie dans l'ancien, quoique critiqué par le rapport parlementaire Labaronne-Courson en juin, est prolongé dans le projet de loi de finances 2024. Tout bailleur peut bénéficier d'un abattement fiscal s'il acquiert un logement ancien, s'il y fait des travaux d'amélioration qui représentent 25% du coût total de l'opération, et surtout s'il est situé dans une commune dont le besoin de réhabilitation est important.

Au chapitre « améliorer l'accompagnement et la protection des habitants », cela semble relever davantage du rôle des associations et des ONG que du pouvoir réglementaire. Il s'agit, pêle-mêle, de garantir un accompagnement sociojuridique tout au long de la procédure pour les victimes d'habitat indigne. Ou encore conforter le permis de louer à articuler avec un contrôle technique global du logement incluant la décence. Cette recommandation était la mesure-phare du député Vuilletet dans sa proposition de loi et explique sans doute pourquoi il a retiré son texte...

Selon toute vraisemblance, les idées retenues devraient trouver toute leur place dans le projet de loi aux copropriétés fragiles et dégradées et à la lutte contre l'habitat indigne, ainsi que dans le projet de loi relatif à la décentralisation de la politique du logement, qui devraient arriver, le premier au dernier trimestre 2023, le second au premier trimestre 2024, en Conseil des ministres.

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 23/10/2023 à 18:42
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Solution radicale, un coup de Bull, préemption du terrain et on construit du neuf. Une ruine est une ruine .

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