Immobilier : plus écolo, plus modernes, les tours et les gratte-ciel font leur grand retour dans les villes

Longtemps décriée, la hauteur est en train de revenir en force dans les périphéries des villes mais aussi dans leur cœur. Désormais plus écolo, plus modernes, tours et gratte-ciel se font désirables et surtout apparaissent essentiels à l’aménagement urbain. Une révolution dans le paysage… (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
À Milan, les tours Bosco Verticale (forêts verticales) créées par l’architecte Stefano Boeri comptent plus de 20 000 plantes et arbres, soit l’équivalent de deux hectares de forêt sur deux immeubles. Inaugurées en 2014, ces tours végétales ont, depuis, été la source de projets similaires de par le monde.
À Milan, les tours Bosco Verticale (forêts verticales) créées par l’architecte Stefano Boeri comptent plus de 20 000 plantes et arbres, soit l’équivalent de deux hectares de forêt sur deux immeubles. Inaugurées en 2014, ces tours végétales ont, depuis, été la source de projets similaires de par le monde. (Crédits : Istock)

En 1932, lorsqu'il publie son mythique Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline entend confronter sa plume aux violentes secousses de son époque. Dans cette littérature-là, l'esthétique, quoique heurtée, volontairement difficile et souvent scandaleuse, joue un rôle moteur. C'est ainsi qu'en débarquant à New York, le héros célinien Ferdinand Bardamu subit un véritable choc à la vision de l'impressionnante skyline hérissée de gratte-ciel. L'architecture new-yorkaise le subjugue : « Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous... Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. » Et Céline de poursuivre : « New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. » Depuis lors, dans l'inconscient collectif, la haute tour de bureau ou d'habitation correspond à ce nouveau monde et son urbanité intense, étonnante, déconcertante. À New York, comme le raconte justement Céline, l'expérience des skyscrapers est une œuvre d'architecture et de paysage, une mise en scène de la ville et de ses infinies potentialités. Telle une Babel moderne, elle tend à élever l'âme et semble constituer par sa juxtaposition de tours, les mille cathédrales ardentes d'un Nouveau Monde convaincu que le salut s'obtiendra par la volonté du capitalisme. Pour l'écrivain et producteur à France Culture Matthieu Garrigou-Lagrange, la chose est entendue[1] : « Les gratte-ciel manifestent toujours une certaine confiance en l'avenir de la part de leurs commanditaires, tout comme la volonté de donner à voir leur puissance économique. Plusieurs critères historiques s'y donnent à lire : l'affranchissement vis-à-vis des conventions européennes issues des Beaux-Arts et la création d'une grammaire esthétique de la modernité, l'effet des innovations industrielles qui rendent possibles de tels immeubles (nouveaux matériaux comme l'acier, le fer et le verre, apparition des ascenseurs, des communications téléphoniques...), ainsi que la démonstration de la puissance économique américaine capable d'édifier de telles constructions... » On comprend dès lors combien l'invention des gratte-ciel est intimement liée à la volonté de superpuissance américaine en matière politique, économique et culturelle. « Partout dans le monde, de la tour soviétique Ostankino à Burj Khalifa aujourd'hui en passant par la construction de La Défense, les constructions de hauteurs semblables signent la volonté de se situer à l'égard de l'influence américaine (y compris pour la surpasser) » analyse Garrigou-Lagrange.

Une affaire de symbolique

Dans une époque où tout va plus loin, plus fort, plus vite, construire en hauteur constituerait ainsi un nouvel horizon, une nouvelle mesure du temps. C'est ce qu'expliquent, dans un texte interrogeant la symbolique des gratte-ciel[2], Denis Dessus, vice-président du Conseil national de l'ordre des architectes, et ses co-auteurs urbanistes, Isabelle Coste et David Orbach : « On reprochera avec raison aux grands groupes financiers, aux villes et pays en plein boom de vouloir démontrer avec ces tours leur opulence et leur leadership par cette symbolique un peu primaire. Mais après tout pourquoi pas ? La joie de viser haut peut être "sport". Versailles était aussi une affirmation de puissance et nous vibrons toujours de son incroyable majesté. Il n'y a donc, a priori, pas d'incompatibilité entre force et beauté, même si, c'est certain, leur conjonction en vertical est rare. Ne nions pas notre plaisir. Il faut aborder ces montagnes artificielles en tant que telles, jouir de ce qu'elles offrent, des magnifiques vues depuis les sommets sur un spectacle changeant, comme celui du haut d'une falaise vertigineuse. Le somptueux paysage de la ville, et de ses lumières n'est jamais lassant. Que le sommet de l'Empire State Building ait été si souvent utilisé au cinéma en démontre l'attrait romantique. Le public est attiré par le spectacle de la ville comme le démontrent les millions de visiteurs de la tour Eiffel et des sommets des plus grandes tours du monde. » Attraction donc, et répulsion aussi. Car si les tours américaines fascinent et nourrissent notre imaginaire, leur version française souffre d'un lourd déficit d'image. Comme si, ce qui était prisé de l'autre côté de l'Atlantique, était condamné à être dévalorisé dans l'Hexagone. Il faut dire qu'en France, la tour évoque surtout les tristes « barres » constituant, depuis des décennies, l'habitat banlieusard. Autant de grands ensembles coulés dans le béton qui, au fil du temps et de leur dégradation, sont devenus le symbole du « malaise des banlieues » et d'un processus de ghettoïsation à la française. Au cours des Trente Glorieuses, ce sont ainsi plus d'un million de logements sociaux qui furent construits, pour la plupart intégrés au sein de grands ensembles immobiliers. « Ce type d'habitat caractéristique de l'Architecture moderne connaît un discrédit socialement partagé, lequel vise tant la forme urbaine (barres et tours) et l'emplacement (éloignement des centres-villes) que la composition sociale (homogénéité économique) et le comportement de certains habitants mal perçu par la société, expliquent Jean-Marc Stébé, Hervé Marchal et Marc Bertier, tous trois sociologues et auteurs d'un article[3] au titre évocateur : « La démolition des barres et des tours est un bon remède ». L'ensemble des processus qui ont mené à la ségrégation des grands ensembles, voire à leur ghettoïsation, pose la question de leur existence même. »

Des « barres » tristes aux tours vertueuses

Aujourd'hui encore, quand on interroge les Français, leur rêve d'habitation s'articule majoritairement autour du pavillon avec son coin de jardin plutôt que l'immeuble d'habitation urbaine. Les tours pâtissent encore et toujours de leur mauvaise image. La faute, selon l'architecte Sophie Denissof (lire son interview page 64), à des décennies de mauvaises pratiques en la matière : « En France, on a absolutisé le fonctionnalisme ce qui induit comme résultat que les tours qui ont été produites, à l'image des "barres d'immeubles", sont absolument indigestes, violentes. C'est une architecture souvent moche dans son accroche au sol, dans sa répétition, qui donne l'impression à l'individu d'être une fourmi dans une fourmilière. La France a souffert de cette production de quartiers de barres et de tours dictée par l'urgence de la crise du logement dans l'après-guerre. Dans ces logements-là, il n'y a pas de place pour les transitions, pour le temps, pour la déambulation. Tout y est fonctionnel, ultra-rationnel... C'est terrible ! Aujourd'hui encore, sous prétexte d'économie, d'urgence, de nécessité ou de financiarisation du bâtiment, on bâcle la qualité spatiale et constructive. La plupart du temps, la commande ordinaire et massive revient à réduire la taille des logements, des parties communes, des extérieurs... C'est une vision à court terme qui ne prend pas en compte la réalité de la vie de famille, de la mesure du temps, et de l'héritage qu'on laisse derrière soi. »

Que faire pour inverser la tendance ? Comment ancrer sinon le gratte-ciel, du moins l'immeuble dans la vision hexagonale ? Denissof plaide pour casser l'image de la tour comme espace froid en ré-imaginant son essence et ses modalités. Elle n'est pas la seule. Aux quatre coins du globe, du cœur des villes chinoises aux quartiers réhabilités de Londres, de Lagos à Tel-Aviv en passant par Milan, Miami ou Tokyo, on construit en ayant en tête les mêmes problématiques. Chez nous, cela se mesure très concrètement dès que l'on sort du cœur historique de la capitale et des limites urbaines où les gratte-ciel sont généralement interdits. En région parisienne, dès Clichy et Saint-Ouen, les grands immeubles poussent comme des champignons. Quelques dizaines de kilomètres plus loin, au Plessis-Bouchard, Enghien et Taverny, la banlieue troque ses historiques maisons en meulières pour des immeubles. Avec une différence notable cependant : tandis que la tendance était jadis aux barres low cost, on opte désormais pour un habitat moins gourmand en énergie, plus spacieux, mieux desservi par les transports en commun. Ainsi, là où l'on s'entassait jadis, on se superpose aujourd'hui. Et ça change tout ! Véronique Bédague, ex-directrice de cabinet de Manuel Valls à Matignon désormais à la tête de Nexity, travaille dans ce sens : « Comment allons-nous habiter le territoire demain ? Il y aura à l'avenir davantage d'habitants, dont beaucoup sont aujourd'hui mal logés. La question de la densité est centrale et nous ne devons pas avoir peur de la hauteur. Le programme Emblématik - Habiter le Ciel, pensé par Sophie Denissof et Roland Castro à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), est un bel exemple qui combine la sobriété dans l'utilisation du foncier, l'accessibilité des logements et la beauté des espaces de vie.[4] » Ou comment faire aimer les tours sans sacrifier au confort de vie.

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[1] « Sans oser le demander », épisode du 3 mai 2022 « Comment a-t-on inventé les gratte-ciel ? » (France Culture).

[2] Tribune publiée dans Le Monde le 9 juillet 2008.

[3] Stébé, J., Marchal, H. & Bertier, M., « La démolition des barres et des tours est un bon remède », in Idées reçues sur le logement social, 2016, Le Cavalier Bleu, p. 93-99.

[4] Interview publiée dans la Gazette des Communes le 22 février 2021.

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Commentaires 5
à écrit le 16/10/2022 à 12:00
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il faut de tres hauts immeubles collectifs, avec 50% de logements sociaux, pour que ceux qui seront obliger d'y habiter puissent payer pour les 50% de logements sociaux quasi gratuits, qui seront remplis par le bon electorat de gauche ultratolerant q...

à écrit le 16/10/2022 à 9:46
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Qu'attendent Wargon et les élites de son monde pour habiter ces clapiers, puisque c'est si bien ?

à écrit le 15/10/2022 à 18:48
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Une cage à lapin, même de luxe reste une cage à lapins. Les humains ne sont pas adaptés pour vivre empilé, il leur faut de l'espace, de l'air. Trop d'humains sur des petites surfaces c"est du stress, des conflits, une situation invivable.

à écrit le 15/10/2022 à 11:35
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Aucun immeuble d'habitation ne devrait dépasser les six étages. Ces tours et gratte-ciel resteront toujours des non-sens écologiques, urbain et économiques

le 15/10/2022 à 13:55
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Pas plus que quatre étages, pour monter à pieds quand on est jeune. Pourquoi 6 ? Quel est le vrai optimum en prenant en compte tooous les paramètres ? Et combien d'escaliers par 'barre' de 6 étages maximum ? 3, 5, 10 ? Si y a un 'jardin' autour, ou p...

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