
40.000 emplois industriels nets créés d'ici à 2030. Telle est l'ambition affichée par le gouvernement à travers son projet de loi sur l'industrie verte. Encore faut-il être en mesure d'héberger les futurs salariés à proximité de leur lieu de travail. Une problématique essentielle. Elle est néanmoins absente des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement.
Elle représente pourtant un défi d'ampleur nationale. « C'est clairement un problème qui se pose de plus en plus aux entreprises », confirme Christophe Bouillon, président (PS) de l'Association des petites villes de France. En particulier celles «de petite et moyenne taille [qui] nous disent qu'elles manquent de logements pour leurs salariés », alerte le maire de Barentin (Seine-Maritime).
Des constructions qui tournent au ralenti
Principal facteur expliquant cette crise du logement qui pourrait pénaliser les objectifs de réindustrialisation de l'exécutif : le manque de nouvelles habitations. À commencer par la région des Hauts-de-France qui accueille la « Vallée de la Batterie ». Au total, quatre gigafactories dédiées à la production de batteries pour voitures vont être construites à Billy-Berclau, Douvrin, Douai et Dunkerque. À lui seul, le site Automotive Cells Company (ACC) de Billy-Berclau compte accueillir 2.000 salariés d'ici à 2030.
Or, dans les villes avoisinant ses futures usines, les constructions se font de plus en plus rares. « Structurellement, nous avons la capacité d'accueillir les travailleurs, puisque nous sommes un ancien bassin industriel, mais conjoncturellement ça pourrait être difficile, car nous voyons des projets de construction prendre du retard », reconnaît Olivier Pecqueur de l'agglomération de Béthune (Hauts-de-France).
Au premier trimestre 2023, seuls 16.912 programmes commerciaux ont été lancés en France, selon la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Depuis la création de la FPI en 2010, le nombre de constructions de logements collectifs n'a jamais été aussi bas.
L'impact de la politique de ZAN
De fait, les constructions tournent au ralenti en grande partie à cause de la désincitation des maires à délivrer des permis de construire. La politique de zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise à réduire de moitié la consommation foncière d'ici à 2031, limite leur capacité à construire autant de nouveaux logements qu'ils le souhaiteraient.
« Aujourd'hui, le mécanisme de ZAN désavantage les petites villes, car si une commune a artificialisé 100 hectares ces dernières années, il lui sera possible de bétonner encore 5 hectares alors que si elle n'en a artificialisé que 10, elle n'aura droit à aucune nouvelle bétonisation », regrette le président (PS) des petites villes, Christophe Bouillon.
De son côté, l'association des maires ruraux de France (AMRF) demande « un plan Marshall de la réhabilitation des bourgs anciens et des logements sociaux » pour justement donner les moyens aux élus de reconquérir d'anciens bâtiments agricoles et de préserver des poches de biodiversité dans ces territoires. « La simple rénovation des logements anciens ne suffira pas pour répondre à la demande », abonde Sébastien Gouttebel, maire (sans étiquette) de Murol (Puy-de-Dôme, 650 résidents).
La fin de la taxe d'habitation
Autre sujet : la fin de la taxe d'habitation. « Cette taxe était une incitation à construire des logements pour les maires, qui préfèrent maintenant construire des bâtiments commerciaux et des usines, puisqu'ils rapportent plus d'argent aux localités », souligne Christophe Bouillon, le président des petites villes de France (APVF). Les maires ne perçoivent, en effet, plus que la taxe foncière dont s'acquittent uniquement les propriétaires. Mécaniquement, leurs recettes diminuent au détriment des constructions de logements ou encore de services publics (crèches, écoles, gymnases).
« Quand je travaillais dans le Jura, chaque centre-bourg avait son industrie. À l'époque, les maires avaient des outils fiscaux pour faire des zones d'aménagement complètes et des quartiers de logements proches des usines. Aujourd'hui, le pouvoir décisionnaire doit revenir au niveau de la commune ou de l'intercommunalité pour monter un projet de A à Z », plaide le président (LR) de l'association des maires de France, David Lisnard.
Les plus modestes affectés
Et cette inadéquation offre/demande fait grimper les prix des logements alourdissant davantage la pression sur les Français les plus modestes. Un phénomène qui inquiète particulièrement dans les Hauts-de-France. « L'implantation d'ACC Billy-Berclau se fait à la confluence de la métropole européenne de Lille. Sauf que c'est un secteur déjà très prisé avec une forte pression des demandeurs de logements », alerte ainsi Christophe Masse, directeur développement à la Communauté d'Agglomération de Béthune. Le prix des mètres carrés disponibles à proximité des usines risque donc de flamber, empêchant les salariés aux revenus les plus faibles d'accéder à un logement.
Sans compter que la commune de Billy-Berclau (4.500 habitants) ne compte que 13% de logements sociaux. Une pénurie qu'on retrouve à l'échelle nationale. Fin 2022, 2,42 millions de ménages étaient ainsi dans l'attente d'un logement social, un niveau record, selon l'Union sociale pour l'habitat (USH).
Et pour le président de la Confédération nationale du logement (CNL), le coupable n'est autre que le modèle de financement.« Depuis quelque temps, Action Logement, qui produit un tiers des logements sociaux chaque année, a de moins en moins de moyens », accuse Eddie Jacquemart.
À cet égard, David Lisnard recommande un vrai co-pilotage entre le maire et/ou le président d'intercommunalité, Action Logement et l'entreprise qui s'implante. Objectif, concilier sobriété foncière et projet de développement local, défend le maire de Cannes (Alpes-Maritimes).
En attendant, les entreprises s'organisent à l'image d'ACC qui compte privilégier, parmi les 2.000 employés qu'elle comptera d'ici à 2026, ceux travaillant déjà au sein de son usine de production d'organes mécaniques qui doit fermer ses portes dans les prochaines années. 800 seront ainsi des locaux à qui il ne sera pas nécessaire de trouver une solution de logement.
Autre solution envisagée cette fois par les élus locaux dans le Nord : loger les futurs employés dans les anciennes maisons de mineurs, peu chères. Elles sont toutefois situées à une trentaine de kilomètres à l'Est des gigafactories.
« Le problème, c'est qu'avec la hausse des coûts de l'énergie, si le lieu de travail est trop loin de son logement, un potentiel salarié va refuser le poste, car cela va lui coûter trop cher en termes de transports », pointe Christophe Bouillon.
Des logements dans les communes environnantes ?
De manière générale, de nombreux élus alertent sur le fait que les efforts de construction ne doivent pas se concentrer dans les grandes villes. « Si nous voulons que la réindustrialisation soit efficace, elle doit passer par nos villes moyennes de 10 à 100.000 habitants, trait d'union entre les métropoles et les villages ruraux », affirmait, en janvier, Gil Avérous, président (LR) de l'association d'élus Villes de France à La Tribune.
Selon le maire de Châteauroux (Indre), disperser les employés des futures usines dans les nombreuses communes entourant ces bassins d'activité permettrait notamment aux salariés de trouver des logements plus abordables que dans les grandes agglomérations déjà congestionnées.
« Les territoires ruraux sont parfois des zones tendues », nuance Louis Pautrel, maire « démocrate-rural » du Ferré (722 résidents, Ille-et-Vilaine). Du fait de la rareté des terrains, l'édile défend ainsi « le semi-vertical » en centre-bourg, c'est-à-dire des logements collectifs de 1 à 2 étages plutôt que de nouvelles maisons individuelles. Néanmoins, « des immeubles de 6-7-8 étages, c'est impossible en milieu rural ! », rappelle-t-il.
Reste à voir si les habitants sont prêts à densifier leur cadre de vie et si l'État va écouter les élus locaux sur ces questions d'aménagement du territoire...
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