La pénurie de logements, cette menace qui plane sur la réindustrialisation de certains territoires

La France veut mettre les bouchées doubles dans la construction d’usines sur son territoire. Mais ce projet très ambitieux risque de se heurter à un problème majeur : la crise du logement et le manque d'habitat pour les futurs employés. Décryptage.
Depuis la création de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) en 2010, le nombre de constructions de logements collectifs n'a jamais été aussi bas.
Depuis la création de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) en 2010, le nombre de constructions de logements collectifs n'a jamais été aussi bas. (Crédits : Reuters)

40.000 emplois industriels nets créés d'ici à 2030. Telle est l'ambition affichée par le gouvernement à travers son projet de loi sur l'industrie verte. Encore faut-il être en mesure d'héberger les futurs salariés à proximité de leur lieu de travail. Une problématique essentielle. Elle est néanmoins absente des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement.

Lire aussiImmobilier : les six propositions des notaires pour résoudre la crise du logement

Elle représente pourtant un défi d'ampleur nationale. « C'est clairement un problème qui se pose de plus en plus aux entreprises », confirme Christophe Bouillon, président (PS) de l'Association des petites villes de France. En particulier celles «de petite et moyenne taille [qui] nous disent qu'elles manquent de logements pour leurs salariés », alerte le maire de Barentin (Seine-Maritime).

Des constructions qui tournent au ralenti

Principal facteur expliquant cette crise du logement qui pourrait pénaliser les objectifs de réindustrialisation de l'exécutif : le manque de nouvelles habitations. À commencer par la région des Hauts-de-France qui accueille la « Vallée de la Batterie ». Au total, quatre gigafactories dédiées à la production de batteries pour voitures vont être construites à Billy-Berclau, Douvrin, Douai et Dunkerque. À lui seul, le site Automotive Cells Company (ACC) de Billy-Berclau compte accueillir 2.000 salariés d'ici à 2030.

Or, dans les villes avoisinant ses futures usines, les constructions se font de plus en plus rares. « Structurellement, nous avons la capacité d'accueillir les travailleurs, puisque nous sommes un ancien bassin industriel, mais conjoncturellement ça pourrait être difficile, car nous voyons des projets de construction prendre du retard », reconnaît Olivier Pecqueur de l'agglomération de Béthune (Hauts-de-France).

Au premier trimestre 2023, seuls 16.912 programmes commerciaux ont été lancés en France, selon la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Depuis la création de la FPI en 2010, le nombre de constructions de logements collectifs n'a jamais été aussi bas.

L'impact de la politique de ZAN

De fait, les constructions tournent au ralenti en grande partie à cause de la désincitation des maires à délivrer des permis de construire. La politique de zéro artificialisation nette (ZAN), qui vise à réduire de moitié la consommation foncière d'ici à 2031, limite leur capacité à construire autant de nouveaux logements qu'ils le souhaiteraient.

« Aujourd'hui, le mécanisme de ZAN désavantage les petites villes, car si une commune a artificialisé 100 hectares ces dernières années, il lui sera possible de bétonner encore 5 hectares alors que si elle n'en a artificialisé que 10, elle n'aura droit à aucune nouvelle bétonisation », regrette le président (PS) des petites villes, Christophe Bouillon.

De son côté, l'association des maires ruraux de France (AMRF) demande « un plan Marshall de la réhabilitation des bourgs anciens et des logements sociaux » pour justement donner les moyens aux élus de reconquérir d'anciens bâtiments agricoles et de préserver des poches de biodiversité dans ces territoires. « La simple rénovation des logements anciens ne suffira pas pour répondre à la demande », abonde Sébastien Gouttebel, maire (sans étiquette) de Murol (Puy-de-Dôme, 650 résidents).

La fin de la taxe d'habitation

Autre sujet : la fin de la taxe d'habitation. « Cette taxe était une incitation à construire des logements pour les maires, qui préfèrent maintenant construire des bâtiments commerciaux et des usines, puisqu'ils rapportent plus d'argent aux localités », souligne Christophe Bouillon, le président des petites villes de France (APVF). Les maires ne perçoivent, en effet, plus que la taxe foncière dont s'acquittent uniquement les propriétaires. Mécaniquement, leurs recettes diminuent au détriment des constructions de logements ou encore de services publics (crèches, écoles, gymnases).

Lire aussiImpôts 2023 : la déclaration de biens immobiliers, un véritable casse-tête pour les propriétaires et les professionnels

 « Quand je travaillais dans le Jura, chaque centre-bourg avait son industrie. À l'époque, les maires avaient des outils fiscaux pour faire des zones d'aménagement complètes et des quartiers de logements proches des usines. Aujourd'hui, le pouvoir décisionnaire doit revenir au niveau de la commune ou de l'intercommunalité pour monter un projet de A à Z », plaide le président (LR) de l'association des maires de France, David Lisnard.

Les plus modestes affectés

Et cette inadéquation offre/demande fait grimper les prix des logements alourdissant davantage la pression sur les Français les plus modestes. Un phénomène qui inquiète particulièrement dans les Hauts-de-France. « L'implantation d'ACC Billy-Berclau se fait à la confluence de la métropole européenne de Lille. Sauf que c'est un secteur déjà très prisé avec une forte pression des demandeurs de logements », alerte ainsi Christophe Masse, directeur développement à la Communauté d'Agglomération de Béthune. Le prix des mètres carrés disponibles à proximité des usines risque donc de flamber, empêchant les salariés aux revenus les plus faibles d'accéder à un logement.

Sans compter que la commune de Billy-Berclau (4.500 habitants) ne compte que 13% de logements sociaux. Une pénurie qu'on retrouve à l'échelle nationale. Fin 2022, 2,42 millions de ménages étaient ainsi dans l'attente d'un logement social, un niveau record, selon l'Union sociale pour l'habitat (USH).

Et pour le président de la Confédération nationale du logement (CNL), le coupable n'est autre que le modèle de financement.« Depuis quelque temps, Action Logement, qui produit un tiers des logements sociaux chaque année, a de moins en moins de moyens », accuse Eddie Jacquemart.

À cet égard, David Lisnard recommande un vrai co-pilotage entre le maire et/ou le président d'intercommunalité, Action Logement et l'entreprise qui s'implante. Objectif, concilier sobriété foncière et projet de développement local, défend le maire de Cannes (Alpes-Maritimes).

Lire aussiCrise de l'habitat : l'État va bien faire financer la relance de l'immobilier neuf par Action Logement

En attendant, les entreprises s'organisent à l'image d'ACC qui compte privilégier, parmi les 2.000 employés qu'elle comptera d'ici à 2026, ceux travaillant déjà au sein de son usine de production d'organes mécaniques qui doit fermer ses portes dans les prochaines années. 800 seront ainsi des locaux à qui il ne sera pas nécessaire de trouver une solution de logement.

Autre solution envisagée cette fois par les élus locaux dans le Nord : loger les futurs employés dans les anciennes maisons de mineurs, peu chères. Elles sont toutefois situées à une trentaine de kilomètres à l'Est des gigafactories.

« Le problème, c'est qu'avec la hausse des coûts de l'énergie, si le lieu de travail est trop loin de son logement, un potentiel salarié va refuser le poste, car cela va lui coûter trop cher en termes de transports », pointe Christophe Bouillon.

Des logements dans les communes environnantes ?

De manière générale, de nombreux élus alertent sur le fait que les efforts de construction ne doivent pas se concentrer dans les grandes villes. « Si nous voulons que la réindustrialisation soit efficace, elle doit passer par nos villes moyennes de 10 à 100.000 habitants, trait d'union entre les métropoles et les villages ruraux », affirmait, en janvier, Gil Avérous, président (LR) de l'association d'élus Villes de France à La Tribune.

Selon le maire de Châteauroux (Indre), disperser les employés des futures usines dans les nombreuses communes entourant ces bassins d'activité permettrait notamment aux salariés de trouver des logements plus abordables que dans les grandes agglomérations déjà congestionnées.

« Les territoires ruraux sont parfois des zones tendues », nuance Louis Pautrel, maire « démocrate-rural » du Ferré (722 résidents, Ille-et-Vilaine). Du fait de la rareté des terrains, l'édile défend ainsi « le semi-vertical » en centre-bourg, c'est-à-dire des logements collectifs de 1 à 2 étages plutôt que de nouvelles maisons individuelles. Néanmoins, « des immeubles de 6-7-8 étages, c'est impossible en milieu rural ! », rappelle-t-il.

Reste à voir si les habitants sont prêts à densifier leur cadre de vie et si l'État va écouter les élus locaux sur ces questions d'aménagement du territoire...

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 14
à écrit le 07/07/2023 à 16:04
Signaler
Il faudrait peut-être cesser avec cette grande illusion de la réindustrialisation mise à toutes les sauces. La réindustrialisation ne peut avoir lieu avec ceux qui ont désindustrialisé, et qui passe leur temps à dire : ce n'est pas ma faute, c'est à ...

à écrit le 07/07/2023 à 11:44
Signaler
Quand est-ce qu'on s'occupe sérieusement des 250 000 hectares de friches industrielles que les entreprises ont désertées pour des contrées fiscalement avantageuses et ont laissées à la charge de l’État, abandonnées et polluées ? Si on s'apprête à "re...

à écrit le 07/07/2023 à 11:20
Signaler
il y a plus de 3 millions de logements vacants, en plus des résidences secondaires (INSEE). en particulier dans les "territoires" dont il est question ici. l'effort de construction est déjà massif : 471 000 logements construits en 2021, contre seul...

le 07/07/2023 à 14:10
Signaler
Exact on a déjà un parc de logements colossal.On construit à tour de bras depuis les années 60 et cela s’est encore accéléré à la fin des années 80.Boulogne Billancourt pour ne citer s’une parmis de nombreuses autres est une des villes les plus densi...

le 07/07/2023 à 21:15
Signaler
Absolument, la flambée de l'immobilier en fait un véritable boulet, mais une part non-négligeable des votants en profitent car ils peuvent louer ou vendre à des prix allemands des biens de qualité espagnole... Ce qui rappelle d'ailleurs un peu l'indu...

à écrit le 07/07/2023 à 9:52
Signaler
La pénurie de logements est organisée sciemment au pays des rentiers. Le zéro artificialisation n'est que la dernière excuse à la mode. Alors hop hop hop les prolos, on s'entasse dans des cages à lapin aux loyers importants, la rente des baby-boome...

à écrit le 07/07/2023 à 8:53
Signaler
"Elle est néanmoins absente des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement." Pourtant ,il y avait du beau linge dans ce conseil et aucun n'a pensé à un seul moment à l' hébergement des futurs salariés à proximité de ...

le 07/07/2023 à 10:37
Signaler
La solution serait peut-être de prévoir les logements 'dans' l'usine, construits en même temps. L'ennui est qu'on voit les collègues 24h/24, au boulot et en dehors.

le 07/07/2023 à 11:34
Signaler
C'est de l'ordre de l'acte manqué. C'est pour faire oublier que le logement des salariés nouvellement transférés a un coût qui, comme le coût du transport, devrait au moins partiellement incomber aux entreprises. C'est une de ces externalités négativ...

à écrit le 07/07/2023 à 8:41
Signaler
Si l'on base la réindustrialisation sur l'export et la publicité, rien ne sera pérenne aux alentours !

à écrit le 07/07/2023 à 7:55
Signaler
Toutes ces maisons et appartements vides devraient soient être rénovés soit être détruits plutôt que de s'écrouler décennie après décennie. Mais ya trop de lobbys qui ont trop d'intérêt partout. BTP, agro-industrie, pharmaceutique et-c... on est fout...

à écrit le 07/07/2023 à 7:39
Signaler
Il est exact qu´il y a un problème actuellement de construction de logements neufs, mais cette crise brutale est très particulière : d´une part le dogmatisme de la BCE soit disant pour lutter contre la l´inflation (alors qu´il y a d´autres causes que...

le 07/07/2023 à 8:25
Signaler
Le probleme du logement n est pas nouveau. Des gens qui travaillent et qui doivent vivre dans leur voiture ou un camping, ca existe depuis 10 ans. Le probleme est que les prix des logements se sont envolés par rapport aux revenus. Tant que ca montait...

à écrit le 07/07/2023 à 7:22
Signaler
Evidemment, si on voit l'industrialisation sous forme de croissance, ça ne peut pas marcher

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.