LA TRIBUNE - Où en est le parc immobilier français en termes de rénovations énergétiques?
ARIANE KOMORN - Au niveau du parc de logements sociaux, les bailleurs sont de bons élèves. Ils ont fait des rénovations à un rythme soutenu car ils ont les capacités de faire des travaux. Ce n'est pas au niveau de ce qu'il faudrait pour atteindre la neutralité carbone en 2050 mais nous voyons une dynamique déjà très positive et qui devrait encore accélérer.
En revanche, nous constatons un vrai retard du côté des maisons individuelles et des appartements privés puisqu'il y a encore 5 millions de passoires énergétiques en France. Problème, le gouvernement a récemment baissé le montant des certificats d'économies d'énergie (CEE) accordé aux ménages modestes pour leurs travaux d'isolation thermique (murs, combles, toits-terrasses, eau chaude sanitaire et planchers bas), alors même que ce sont les ménages les plus modestes qui sont les plus nombreux à vivre dans des passoires thermiques. Concernant les diagnostics énergétiques, la part des logements qui dispose des DPE est minoritaire alors que les logements à la location vont être obligés de fournir un DPE très bientôt. En dehors du manque de diagnostics, nous voyons aussi beaucoup de frictions autour des mauvaises estimations puisque nous voyons une forte hétérogénéité de compétences des diagnostiqueurs. Il y a un énorme chantier de formation de ces professionnels en cours.
Parviendra-t-on à atteindre la neutralité carbone en 2050 ?
Les objectifs de neutralité carbone à 2050 et celui de réduire de 60% les émissions de CO2 des logements d'ici à 2030 sont ambitieux et il est difficile de savoir si nous allons y arriver. Mais nous constatons une dynamique très profonde en France et en Europe. Si nous respectons bien les engagements signés par le gouvernement dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) - la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique - nous y arriverons.
Maintenant, le plus gros défi que nous avons à relever est celui du nombre de professionnels qui pourront assurer ces rénovations. Aujourd'hui, nous comptons 220.000 équivalents temps plein dans le secteur de la rénovation énergétique selon l'Ademe et il faudra entre 200.000 et 300.000 professionnels de plus d'ici 2030.
De quels métiers manque-t-on ?
Parmi les professions en tension, en lien avec la rénovation énergétique, il s'agit des artisans et des techniciens spécialisés dans les énergies renouvelables. Nous formons, par exemple, des installateurs de pompes à chaleur qui sont très demandés. Et pour atteindre les objectifs du gouvernement et répondre à la demande, il faudrait au minimum 21.000 installateurs de plus qu'actuellement en France. Il faut aussi des techniciens de maintenance qui peuvent entretenir et dépanner les équipements dans les maisons et des installateurs de panneaux photovoltaïques qui manquent aussi. D'autres métiers, qui manquent également à l'appel, sont ceux des enveloppes du bâtiment comme les plaquistes qui isolent par l'intérieur et les façadiers qui s'occupent de l'isolement extérieur.
Le projet massif de rénovation du parc immobilier français va aussi créer des métiers qui n'existent pas comme les ventilistes qui s'occupent de bien faire ventiler les bâtiments isolés pour éviter les moisissures.
Enfin nous manquons d'encadrants et de coordinateurs. Le gouvernement compte par exemple créer le statut d'accompagnateur global qui va s'occuper du conseil, du chiffrage des travaux, et accompagner les propriétaires dans toutes les étapes de leurs travaux. Nous prévoyons la création d'une dizaine de milliers d'emplois.
Combien formez-vous actuellement de professionnels de la rénovation énergétique et quels sont vos objectifs ?
Nous avons formé 400 personnes cette année et nous espérons en former plus de 1.000 en 2024 et autour de 5.000 d'ici à cinq ans. Mais pour répondre à la demande, il faudrait former 30.000 nouveaux professionnels de la rénovation par an. Donc nous essayons d'ouvrir des campus partout en France et de faire des partenariats avec des écoles mais nous ne pourrons clairement pas être tous seuls à former ces nouveaux professionnels et il faudra que d'autres instituts voient le jour.
Mais il faut bien comprendre que l'offre de formation suivra la demande de nouveaux étudiants. Déjà pour former 5.000 professionnels dans les prochaines années, il faudra nous assurer qu'il y ait un flux de personnes intéressées assez important pour répondre au nombre de places que nous allons proposer, ce qui n'est pas encore le cas.
D'où viennent ces professionnels et où aller les chercher ?
Nous estimons qu'un quart de nos besoins de nouveaux formés pourront être couverts par la formation initiale mais les trois-quarts viendront de la reconversion professionnelle. Pour attirer un maximum de personnes, nous créons des parcours accessibles à des gens qui n'ont pas forcément de connaissances préalables aux métiers du bâtiment. Il y a une sélection mais qui se focalise sur les compétences que j'appelle d'intelligence pratique des candidats, autrement dit est-ce qu'ils savent se débrouiller dans nos tests et sur leurs expériences par exemple en gestion de projet, en management, etc.
Maintenant nous espérons que plus de monde va frapper à notre porte et qui vont être séduits par l'idée d'un métier qui a du sens, où il y a beaucoup de travail et où on peut devenir indépendant.
Pourquoi manque-t-on autant de professionnels de la rénovation aujourd'hui ?
D'abord, il y a un problème structurel d'image. Le bâtiment a toujours été un secteur en tension car il a mauvaise presse. Quand un jeune veut s'orienter vers ce secteur, ses parents et parfois ses enseignants le déconseillent car il y a toujours l'idée qu'il s'agit de métiers pénibles. Pourtant, si cela a été vrai historiquement, cela l'est beaucoup moins aujourd'hui grâce à la technologie qui a automatisé de nombreuses tâches physiques. Aujourd'hui, cette vision ancienne des métiers du bâtiment est très problématique car il s'agit d'un métier où il n'y a jamais eu de chômage. Nos diplômés, par exemple, ont un taux d'emploi à la sortie de 91%.
Et cette tension historique sur les métiers du bâtiment va fortement augmenter car la rénovation énergétique est une urgence et les autorités ont des ambitions très fortes étant donné que plus de 30 millions de logements et 1 milliard de mètres carrés de bâtiments tertiaires devront être rénovés d'ici à 2050.
Quelles solutions pourraient être apportées pour former plus de professionnels de la rénovation ?
La première chose à faire serait de financer des campagnes de recrutement pour la rénovation à l'image de ce qui a été fait pour l'armée de terre qui a fait de nombreux spots publicitaires pour attirer les jeunes et qui a porté ses fruits. Si demain l'Etat ou des privés financent des campagnes de publicité sur les valeurs du bâtiment et l'importance de la rénovation énergétique, nous pourrions convaincre beaucoup de personnes de se former. Jean-Marc Jancovici a récemment dit lui aussi que nous devrions parler de rénovation énergétique tous les matins à la radio.
Une autre idée, plus opérationnelle, est celle du financement des formations pour les personnes en reconversion. Il existe des financements mais elles sont parfois compliquées et longues à obtenir. Si l'accès à ses financements était simplifié, nous pourrions aussi former beaucoup plus rapidement les professionnels dont nous avons besoin.
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