Électricité : les grands industriels français satisfaits des pistes de réforme de Bruxelles

Les industriels français, grands consommateurs d'énergie, estiment que la réforme des marchés de l'électricité proposée par la Commission européenne « est à la hauteur des enjeux ». Bruxelles a dévoilé ses pistes, qui consistent notamment à recourir aux contrats énergétiques de long terme pour protéger les consommateurs et encourager les investissements dans les renouvelables et aussi le nucléaire. Ce dernier point, qui suscite les divergences entre les Vingt-Sept, pourrait toutefois compliquer les négociations sur ce texte.
La Commission européenne entend développer les contrats de long terme « pour les énergies décarbonées ». Ces derniers permettraient aux consommateurs de lisser leur facture tout en offrant des revenus prévisibles aux fournisseurs.
La Commission européenne entend développer les contrats de long terme « pour les énergies décarbonées ». Ces derniers permettraient aux consommateurs de lisser leur facture tout en offrant des revenus prévisibles aux fournisseurs. (Crédits : Reuters)

À peine dévoilées ce mardi 14 mars par la Commission européenne, les pistes pour réformer le marché européen de l'électricité - sans le restructurer fondamentalement - font déjà réagir. Positivement du côté des industriels français. « C'est plutôt une heureuse surprise », a déclaré le soir même sur BFM Business Nicolas de Warren, président de l'Union des industries utilisatrices d'énergies en France, représentant 70% de la consommation énergétique industrielle du pays.

« On pouvait craindre que la Commission demande une réforme a minima, ayant des difficultés à gérer les tensions entre États membres. Elle a, en fait, créé un cadre favorable », a-t-il ajouté.

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Démocratiser les contrats de long terme

Plutôt qu'une refonte complète et un découplage strict gaz/électricité, que la France et l'Espagne appelaient initialement de leurs vœux, la Commission européenne entend développer les contrats de long terme « pour les énergies décarbonées ». Ces derniers permettraient aux consommateurs de lisser leur facture tout en offrant des revenus prévisibles aux fournisseurs.

Ces « signaux de long terme » de la Commission visent aussi à encourager les investissements dans les énergies décarbonées, réduisant ainsi l'influence des cours du gaz. D'ici là, « nous devons structurer les contrats (...) de façon à découpler les factures des citoyens des prix sur les marchés de gros de court terme », observe l'exécutif européen.

Il n'empêche que l'ensemble des États membres restent attachés au fonctionnement de « court terme » du marché qui, fortement interconnecté, permet de répondre rapidement aux pics de demande à l'échelle du continent. Sept pays, Allemagne en tête, s'opposaient ainsi à toute réforme systémique « dans l'urgence ».

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Des prix prévisibles qui rassurent les industriels

Bruxelles veut ainsi faciliter le déploiement des PPA, ces contrats d'achat d'électricité de gré à gré entre deux acteurs privés (producteur et consommateur) à un prix décidé à l'avance. Ils permettraient aux entreprises de « bénéficier de prix plus stables pour la production d'énergies renouvelables et non-fossiles ». Les États devraient établir des régimes de garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs, permettant à davantage d'entreprises de souscrire ces contrats. Les fournisseurs d'électricité au détail, eux, devraient se couvrir « de façon appropriée » par des PPA afin d' « atténuer leur risque de surexposition à la volatilité des prix ».

Une mesure saluée par Nicolas de Warren. « Ce qui est très important - et c'est un point essentiel par rapport à il y a deux ans - c'est que la Commission a accepté que les industriels et notamment les grands industriels que nous représentons, puissent bénéficier de prix prévisibles sur les dix ou 15 prochaines années » pour pouvoir « se décarboner et investir ».

Certains industriels européens consommateurs d'énergie ont beaucoup souffert de la flambée des prix de gros de l'électricité et du gaz, après l'invasion russe de l'Ukraine. Or, dans d'autres pays comme les États-Unis, le coût de l'énergie est beaucoup plus bas. La première puissance mondiale a en plus lancé un plan de subventions - IRA (pour Inflation Reduction Act) - pour encourager les industries vertes européennes à s'y installer. Le patronat européen a encore alerté en début de semaine sur le « risque réel de désindustrialisation » qui pèse sur l'Europe.

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Des revenus décorrélés des prix volatils du marché

La Commission soutient également l'usage de « contrats pour la différence » (CFD) à prix garanti par l'État. Dans ce mécanisme, le producteur d'électricité doit reverser les revenus engrangés si le cours au comptant est plus élevé, mais a contrario perçoit une compensation en cas de baisse du marché. Un tel système est déjà possible, et s'applique à l'essentiel des renouvelables en France. Mais désormais, dans le cadre de tout soutien public « à de nouveaux investissements dans la production d'électricité bas-carbone, sans combustibles fossiles », les États seraient tenus de recourir à ces CFD.

Entre PPA et CFD (cumulables), les producteurs de renouvelables et nucléaire « continueront d'être actifs sur le marché à court terme, mais le prix volatil de ce marché ne déterminera plus leurs revenus », résume Bruxelles.

Le texte entend aussi renforcer l'information des consommateurs, durcir les sanctions pour infraction à la concurrence ou manipulations de marché, et mieux protéger les clients vulnérables - qui ne pourraient plus être déconnectés en cas de retard de paiements.

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France et Espagne satisfaits, pas l'Allemagne

L'application des CFD au « bas-carbone » était d'ailleurs une demande forte de la France, soucieuse d'y recourir pour financer l'atome civil.

Autre satisfaction pour Paris, Bruxelles propose que les CFD concernent aussi des ré-investissements dans des centrales existantes, pour doper leur capacité ou prolonger leur existence. Ils pourraient donc contribuer au « grand carénage » du parc nucléaire français. « La proposition constitue une très bonne base de discussion », se félicite-on au ministère de la Transition énergétique.

L'Espagne s'est aussi réjouie que plusieurs de ses demandes aient été reprises par la Commission, et s'est engagée à s'efforcer de « générer un consensus » parmi les Vingt-Sept sur ce texte lors de la présidence du Conseil de l'UE qu'elle exercera au second semestre 2023. À l'inverse, Berlin et six autres pays réclamaient des CFD facultatifs et strictement réservés aux nouvelles infrastructures renouvelables.

Les divergences entre les Vingt-Sept, notamment autour du rôle du nucléaire, pourraient en tout cas compliquer les négociations sur ce texte, même si la Commission européenne espère un accord d'ici l'hiver.

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(avec AFP)

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