LA TRIBUNE. Vous publiez « Le minéral dans votre quotidien », un ouvrage exhaustif sur la famille des minéraux industriels qui sont omniprésents dans notre quotidien, mais souvent inconnus. Quels sont-ils et où les retrouvons-nous?
ÉRIC MARCOUX. lls sont présents partout dans notre quotidien : dans le papier, le verre, la vaisselle, les moyens de transport, les sanitaires, les revêtements de sol... Parmi les plus connus, on compte le quartz, le sel, le kaolin, les argiles, le calcaire, le graphite, le mica ou encore le talc. Ces minéraux industriels dont nombre d'entre eux sont exploités en France, ne sont pas rares, ils sont même extrêmement communs. Ainsi, la plus grande carrière de talc du monde est exploitée par Imerys en France, à Luzenac (Ariège). Elle produit 450.000 tonnes par an. Géologiquement, et à ce rythme annuel d'exploitation, nous avons de la ressource pour encore 60 ans.
Quelle différence fait-on entre les minerais et les minéraux industriels?
Sur ce point, il faut être précis. Tous sont des ressources minérales. Mais la spécificité des minerais est qu'ils ne sont pas utilisables tels quels : il faut les fondre pour obtenir le produit employé dans nos industries, le plus souvent un métal. Quand vous avez du minerai de fer en main, vous n'avez pas de fer ni d'acier, il faut une étape supplémentaire. C'est une transformation lourde. Au contraire, les minéraux industriels sont simplement broyés et purifiés une fois extraits et intégrés directement à un produit : le talc, par exemple, est un composant du tableau de bord d'une automobile ou encore d'une poudre cosmétique. Néanmoins, c'est un peu une question de sémantique : certains spécialistes introduisant des nuances dans cette définition.
En matière d'exploitation, y a-t-il une différence?
A priori, les techniques sont les mêmes, même si les minéraux industriels sont le plus souvent exploités en carrière tandis que les minerais se partagent davantage entre mines souterraines et mines à ciel ouvert. Mais la plupart du temps, on emploie des pelles mécaniques lorsque la roche est tendre comme pour les argiles ou le talc, et l'explosif lorsque la roche est dure, comme les calcaires ou bien l'andalousite.
Le BRGM a cartographié les ressources minérales du sous-sol français. Que recèle-t-il?
Il est riche en beaucoup de ressources minérales. La France a un passé minier prestigieux, avec des mines de fer, d'or, de tungstène, de potasse, de fluorine, de bauxite, etc., même si aujourd'hui, il n'y a plus aucune mine métallique active en France métropolitaine, alors qu'on a identifié des ressources en tungstène, en zinc, en cuivre, en or, en antimoine. C'est connu depuis le premier inventaire minier national achevé en 1992 réalisé pour l'essentiel par le BRGM. Certaines ont été marginalement exploitées, comme l'or dans le Limousin ou l'antimoine en Vendée. Mais la plupart sont restées dans le sous-sol depuis ce temps-là, attendant une éventuelle exploitation future. Pour les minéraux industriels des ressources notables en fluorine, par exemple, ont aussi été identifiées lors de cet inventaire.
L'industrie extractive est critiquée par les organisations écologistes en raison de son impact environnemental. Or la France veut relancer l'exploitation minière pour réduire ses importations au nom de la souveraineté stratégique. Comment résoudre ce problème?
C'est très compliqué, la réponse n'est ni simple ni rapide. En France, il n'y a plus une seule mine métallique. Ce n'est pas le cas en Europe, où vous avez environ 75 mines métalliques en activité en 2024, dont certaines très importantes. Il est intéressant de noter que les deux plus gros pays miniers d'Europe, la Finlande et la Suède, ont des réglementations environnementales très strictes, ce qui est très bien et montre que ces règles sont compatibles avec une forte activité minière. On est donc face à un paradoxe : nos industries française et européenne consomment énormément de métaux, qu'on est obligé d'importer de pays parfois peu regardants sur les réglementations environnementales et les conditions de travail, alors qu'il existe en France des réglementations très strictes sur ces points qui permettraient de développer un modèle de « mine propre », qui puisse même devenir un standard à l'échelle internationale, avec des normes environnementales et sociales rigoureuses, comme le préconise d'ailleurs le rapport Varin. On en parle depuis plusieurs années mais il faudrait pouvoir ouvrir une mine pilote pour passer au concret.
Dans ces conditions, qu'est ce qui bloque le développement d'un secteur minier national?
Jusqu'à ces derniers temps, c'était l'acceptabilité sociale difficile et le faible soutien administratif et politique qui en découlait. Pour beaucoup de gens, la mine, c'est toujours « Germinal » [célèbre roman d'Emile Zola publié en 1885 popularisé par plusieurs films], alors que l'on a évidemment considérablement progressé depuis ce temps-là. Mais c'est en train de changer depuis l'annonce par le président Macron que la France doit limiter sa dépendance en matières premières minérales ce qui implique de développer les exploitations sur notre sol, notamment pour les métaux. Le BRGM a d'ailleurs été chargé de réaliser un nouvel inventaire minier. On peut donc espérer que ce sujet va avancer, mais il faudra effectivement informer le public pour montrer ce qu'est une exploitation minière aujourd'hui dans un pays doté de règles environnementales strictes. Cela n'a heureusement plus rien à voir avec ce qu'il se faisait par le passé, notamment à l'époque de « Germinal ».
Ce nouvel inventaire minier est prévu à quelle échéance?
C'est en train de se mettre en place, avec notamment la création l'année dernière de l'Ofremi (Observatoire Français des Ressources Minérales). On a déjà les résultats de l'inventaire de 1992, mais les technologies d'exploration minière, notamment géophysiques, ont largement progressé et permettent d'espérer de nouvelles découvertes de cibles minières potentielles. Là, on parle surtout des minerais pour extraire des métaux. Le problème est un peu différent pour les minéraux industriels car nous avons de nombreuses exploitations en métropole comme le talc (pour lequel nous sommes presque autosuffisants) ou le kaolin, une argile très utilisée en papeterie, etc., exploitée sur quatre sites, dont trois en Bretagne mais qui ne produisent cependant pas suffisamment pour répondre à la demande nationale. Du coup, on est obligé d'en importer, notamment des Etats-Unis.
L'acceptabilité sociale ne doit-elle pas passer par un effort de pédagogie du secteur des acteurs de la filière?
Ça se fait déjà beaucoup, il suffit de consulter les sites du BRGM, des organisations professionnelles (MIF, UNICEM etc.) ou des associations (SIM), entre autres, pour s'en convaincre. Pour ma part, en tant que professeur, je l'ai fait évidemment auprès des étudiants, mais aussi d'associations, de syndicats ou d'autres collectifs, à leur demande, en conférences ouvertes à tous. Les gens veulent notamment s'informer sur les risques de pollution. Ils sont réels mais justement des mesures réglementaires sont prises pour les minimiser ou les neutraliser et, je le répète, il faut aussi expliquer que les minéraux et métaux importés, eux, sont souvent extraits de pays qui n'ont pas ces règles, ou des règles moins strictes, tant sur le plan environnemental que social.
Dans votre ouvrage, vous indiquez que les usages industriels des minéraux évoluent, notamment en matière de réduction de pollution?
Oui tout à fait. Nous avons les minéraux très blancs, comme la calcite, le kaolin ou le talc qui peuvent se substituer dans certaines peintures à l'oxyde de titane, un matériau plus cher et plus difficile à produire. En cela, les minéraux industriels peuvent aider à la transition énergétique, parce que ce titane dont on va se passer, c'est autant d'économies d'émissions de CO2 réalisées. Mon ouvrage vise précisément à montrer au grand public ce que fait l'industrie des minéraux car les gens ont des idées souvent négatives sur le sujet alors que ces matières sont présentes partout, dans tous nos objets de consommation courante. Les nombreux industriels que j'ai rencontrés sont très enclins à montrer leurs réalisations, comment ils trouvent des solutions pour des usages utiles tout en réduisant l'impact environnemental. Si demain, on n'a plus de diatomite, comment va-t-on filtrer les boissons vendues aux consommateurs ? Si Luzenac arrête sa production de talc, les géants français de la cosmétique vont avoir de sérieux problèmes d'approvisionnement.
Quels sont les acteurs de la filière des minéraux et leurs perspectives au vu des ambitions des responsables politiques en Europe?
On compte des multinationales comme le Français Imerys, leader mondial des minéraux industriels, avec 15.000 employés, le Suisse Omya, un des premiers producteurs mondiaux de carbonates, ou encore le Belge Sibelco, un des leaders mondiaux dans la silice, utilisée notamment dans la production de verre. Mais aussi des PME, certaines familiales, qui sont souvent spécialisées sur un minéral industriel. Quant aux perspectives de développement, c'est variable selon les substances. La silice ou les carbonates sont des minéraux très courants, donc à priori les gisements potentiels sont très communs, mais la qualité est un critère essentiel : tous les carbonates ne se valent pas. Et puis il faut un accès à la ressource, ce qui pose le problème du foncier, des zones de protection environnementale, etc. Finalement, ce n'est pas parce qu'on dispose de la ressource qu'on pourra y accéder facilement.
Il y aussi l'environnement législatif, le rapport Varin préconisait une simplification des procédures pour réduire les temps d'autorisation d'exploitation, qu'a également soutenu le président de la république...
Il est vrai qu'il y a une réglementation rigoureuse, qui allonge les délais, et limite cet accès à la ressource. Au-delà, il faut aussi pouvoir augmenter la production. Les usines sont dimensionnées pour un certain volume de production, qui ne peut pas être doublé du jour au lendemain, sans compter qu'il faut que les entreprises concernées qui souhaitent ce gain de production puissent financièrement le faire. Finalement, les minéraux industriels souffrent du paradoxe d'être partie prenante de notre quotidien tout en étant invisibles. Prenez un simple verre, il contient 60 % de quartz, 30 % de carbonate, et 10 % d'autres minéraux. Pour le papier, il faut une fibre de cellulose à la base puis ce qu'on appelle une charge minérale, c'est-à-dire des particules très fines de calcite ou de talc et de kaolin pour lui donner l'aspect qu'on lui connaît. Il a fallu toutes ces ressources pour le fabriquer, mais qui le sait ? Ce qui explique que les minéraux industriels sont souvent mal défendus. Mon ouvrage a pour ambition de contribuer à cette défense.
Propos recueillis par Robert Jules
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