Franprix : « La culture du bon doit prendre le pas sur celle de la promotion »

INTERVIEW. Franprix, l'enseigne de centre-ville du groupe Casino, transforme depuis quatre ans ses 900 magasins pour en faire des « lieux de vie ». Une stratégie impulsée par son directeur général, Jean-Paul Mochet qui vient de publier "Affinité" (Débats Publics).
Jean-Paul Mochet, DG de Franprix, compte sur des outils comme la Blockchain pour améliorer la traçabilité.
Jean-Paul Mochet, DG de Franprix, compte sur des outils comme la Blockchain pour améliorer la traçabilité. (Crédits : Romuald Meigneux/SIPA)

LA TRIBUNE - Le modèle de l'hypermarché est-il obsolète ?

JEAN-PAUL MOCHET - Je ne crois pas à la mort de l'hyper, au contraire. Le commerce alimentaire a besoin de se réinventer pour répondre aux exigences du consommateur. Le système affinitaire que je prône n'est pas propre au commerce de proximité, on peut l'appliquer dans un hyper avec des « shop in shop », des espaces de restauration, etc. L'hyper a entamé une période de renaissance, en particulier grâce au digital, en comprenant mieux le client. Récemment, on a touché à un tabou : il n'est pas interdit de fermer des hypers non rentables. Peut-être la distribution aurait-elle dû secouer ce tabou plus tôt.

Comment alors réenchanter l'hyper auprès des clients ?

On n'a plus envie de passer des heures dans un hypermarché. En revanche, on veut y trouver des produits avec lesquels on se sent en affinité : bio, responsable, local, équitable. Il faut adapter nos offres et aussi accélérer le passage aux caisses. La distribution doit assumer son rôle d'intermédiaire entre les producteurs, les marques et les consommateurs. C'est pourquoi nous devons comprendre ce que veut le client. D'où les corners non alimentaires et les univers de marques dans les Géant Casino. La culture du bon doit prendre le pas sur la culture de la promotion.

« On est passé d'un temps où on mettait un magasin par quartier à un temps où on met le quartier dans le magasin : la Poste, des dépôts pressing, etc. »

Pouvez-vous décrire le modèle affinitaire que vous défendez dans votre livre ?

Nous sommes passés d'une ère où la stratégie de puissance était reine à une époque où le distributeur est devenu sélectionneur des produits qu'attendent les consommateurs. Pour la proximité, on est passé d'un temps où on mettait un magasin par quartier à un temps où on met le quartier dans le magasin : la Poste, des dépôts pour le pressing, etc. Il existe aussi un mouvement vers l'hyper personnalisation. On a envie de produits qui nous ressemblent, peut-être pour des raisons différentes. Et il faut répondre à toutes ces attentes : le même produit pour tout le monde c'est fini. C'est un vrai changement de paradigme.

Comment ce concept de commerce affinitaire est-il né ?

Pour moi, le changement arrive quand on ne s'aime plus. Franprix était arrivé à un point d'obsolescence. Il fallait changer, mais pour quoi ? Nous avons observé les jeunes générations, les tendances de consommation, les concepts à l'étranger. Et nous avons compris que ce qu'il fallait gagner, c'est cette affinité avec le client. Mais de façon durable, en transparence, avec les clients et aussi avec les partenaires. Il faut par exemple comprendre la manière de travailler des petits producteurs et accepter qu'ils puissent fournir 5 magasins et pas 900. Il faut aussi comprendre les enjeux environnementaux : nous allons par exemple tester une solution d'eau sans bouteille.

Comment ces changements vont-ils affecter les personnels des magasins ?

Je pense qu'on va très vite passer du job au métier. Le digital arrive, avec le paiement sur mobile qui va modifier le passage en caisse. Je compte embaucher des conseillers culinaires, des nutritionnistes, des responsables du lien social du quartier, un chef des services en magasins qui vont se démultiplier, etc. La vraie différence avec l'e-commerce, ce n'est pas la proximité : Amazon est dans votre poche. C'est l'humain et la professionnalisation des équipes qui feront la différence.

Les termes transparence et éthique reviennent fréquemment dans le livre. Business et morale sont-ils compatibles ?

Oui, c'est faisable. Nous avons par exemple mis en place un partenariat avec des producteurs de lait de l'Aveyron qui alimentent 900 points de vente et à qui on garantit un volume et un prix supérieur à la moyenne de 15%. Nous l'avons également fait pour la farine, la bière, etc. Concernant la transparence dans la composition des produits, les gens regardaient très peu les informations, seule l'étiquette prix comptait. Aujourd'hui, on sait que le dioxyde de titane est nocif, ce qui conditionne le choix du consommateur. La transparence se fait sur toute la chaîne de production. Les gens veulent savoir où, par qui et comment ça a été fabriqué, et quelle est la provenance : française, européenne ou importé du bout du monde. L'arrivée d'outils comme la blockchain va nous permettre de remonter toute la chaîne. Nourrir sainement les gens est une vraie opportunité pour la distribution.

Où en sera la grande distribution dans dix ans ?

Le commerce de demain est train de s'inventer. Nous aurons des commerces hybrides. Il y aura plus de services, et la qualité primera sur le prix. La technologie (reconnaissance visuelle, encaissement, gestion des stocks, robotisation) sera plus présente, et elle va permettre aux distributeurs d'augmenter leurs marges sans répercuter la hausse sur le consommateur. Les data centers servent déjà à chauffer certains hypers Géant. Nous testons un robot nettoyeur pour décharger le personnel de cette tâche ainsi que le robot livreur autonome de la start-up Twinswheel qui porte les courses des personnes âgées jusqu'à leur domicile. Mais la valeur se fera surtout sur ce qui ne se vend pas. Comme les gamelles d'eau pour chien installées devant chaque magasin. Ou les pompes à vélo que nous sommes en train de déployer. Nous venons aussi d'ouvrir le premier bar à plats chauds vegan avec Beendhi (plats végétariens prêts à cuisiner à base d'épices). Notre nouveau concept s'appelle Darwin : nous sommes en évolution permanente pour répondre aux désirs du client.

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Commentaire 1
à écrit le 07/06/2019 à 9:06
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Circuits courts voir très courts quand on connait la capacité de la permaculture, aliments mais aussi produits de qualité, marges bénéficiaires pour l'actionnaire minimales de sorte que ce soient les producteurs à savoir les travailleurs qui gagnent ...

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