En matière climatique, les territoires font mieux que les États

De nombreuses villes et régions dans le monde se fixent des objectifs plus ambitieux que ceux définis au niveau national, fait valoir l’association Climate Chance dans une étude. Mais leurs moyens restent insuffisants.
Marine Godelier
En Ecosse, la ville d'Edimburg a lancé en 2020 le projet Fish City, pour établir des relations entre les fournisseurs traçables de poisson durable et leur communauté locale.
En Ecosse, la ville d'Edimburg a lancé en 2020 le projet Fish City, pour établir des relations entre les fournisseurs traçables de poisson durable et leur communauté locale. (Crédits : Saskia van de Nieuwenhof)

Si le projet de loi Climat et résilience, en cours d'examen à l'Assemblée, entend poser un cadre national sur la protection de l'environnement, certains territoires ne l'ont pas attendu pour agir. Menus végétariens à la cantine, commande publique verte ou alternatives à la voiture : Strasbourg, Bordeaux et les Pays de la Loire, par exemple, devancent d'ores et déjà l'Etat sur de nombreux sujets. En amont de certaines décisions prises au plus haut niveau, ils organisent la lutte contre le dérèglement climatique, jusqu'à l'échelon le plus local. Signant un « retour en puissance de l'action des villes », affirme Valérie Masson-Delmotte.

Co-présidente du groupe de travail I du GIEC, elle a participé à l'élaboration d'un rapport, publié le 6 avril par Climate Chance, sur le bilan de l'action climat non-étatique. En épluchant des données publiées par des villes et régions du monde entier, l'association propose une synthèse des progrès réalisés en la matière. Et ceux-ci interpellent : « 1.800 villes européennes - représentant 90 millions d'habitants - ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre de 26% entre 2005 et 2017, surpassant l'objectif 2020 des Etats européens de -20% », souligne son président, Ronan Dantec.

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Accéléré par la pandémie

Au-delà des frontières du Grand continent, l'Amérique latine ou les Caraïbes, par exemple, ont multiplié les dynamiques locales. Depuis 2019, plus de 100 de leurs villes ont rejoint la Convention des maires pour le climat et l'énergie - un engagement volontaire lancé par la Commission européenne en 2008 afin d'améliorer l'efficacité énergétique au sein des territoires -, pour un total de plus de 519 signataires et 31% de la population. « À l'inverse, en Asie les signataires ne représentent que 8% de la population du continent », notent les auteurs du rapport.

Et la pandémie n'a pas freiné le mouvement, bien au contraire. En dopant « la réflexion sur la densification des services urbains et leur gouvernance locale », celle-ci a participé à multiplier les instruments à disposition des territoires pour piloter la transition. Notamment en interrogeant sur la résilience du système agro-industriel, ou par le déploiement de dizaines de kilomètres de pistes cyclables - les fameuses « coronapistes ».

Outils énergétiques

Premier responsable des émissions des villes, le secteur de l'énergie est emblématique des outils qu'elles déploient. Par exemple, dans la petite ville de Slavutych, en Ukraine - construite pour accueillir les personnes déplacées à la suite de l'accident de Tchernobyl -, la municipalité a décidé de rembourser jusqu'à 10% du crédit contracté pour les rénovations, de manière à promouvoir les bonnes habitudes énergétiques. Et en Argentine, à San Carlos de Bariloche, un programme de logement durable a « permis d'améliorer le renouvellement d'air dans les foyers bénéficiaires de plus de 40% », grâce à des diagnostics, interventions et dispositifs de suivi à l'échelon local, souligne Climate Chance.

A Melbourne, dans une Australie encore engluée dans le charbon, la capitale régionale tire l'essentiel de son électricité d'un nouveau parc éolien de 80 MW. « Elle a aussi un outil intéressant pour s'approvisionner : les contrats garantissent un revenu stable aux producteurs locaux d'électricité. » Autant d'exemples étudiés par l'association, qui relève que 58 villes, dont 44 en Europe, « ont annoncé avoir atteint le 100% d'énergie propre en 2020 ».

Densifier les activités

Le transport mobilise également de nombreux outils et politiques locales. En plus des incitations fiscales de la part de certaines municipalités pour promouvoir des mobilités vertes, les villes développent tout un réseau d'infrastructures nouvelles. Ainsi, « 2.570 kilomètres de pistes cyclables ont été annoncés par les villes européennes depuis le début de la pandémie, dont la moitié a déjà été réalisée », avance Amaury Parelle, coordinateur de l'étude.

« Avec la pandémie, les investissements directs dans les infrastructures cyclables sont apparus non seulement comme une mesure d'urgence peu coûteuse et efficace pour encourager la mobilité douce, mais aussi comme une politique à long terme de réduction des émissions liées aux transports », développent les auteurs du rapport.

Cette dynamique témoigne de la volonté de densifier les activités économiques locales. A cet égard, les questionnements sur les vulnérabilités du système alimentaires ont fait émergé plusieurs initiatives, pour « reconnecter les centres urbains avec les terres agricoles », note Antoine Gillog, co-auteur du rapport. Le 14 décembre 2020, 31 villes du monde entier ont ainsi signé la Déclaration de Glasgow sur l'alimentation et le climat. Feuille de route pour les villes engagées, elle met les systèmes alimentaires au centre de la transition écologique globale et locale.

A l'image d'Edimbourg, en Ecosse, où le secteur de la pêche a souffert de la baisse globale des exportations en 2020. En réaction, la ville a lancé le projet Fish City, pour établir des relations entre les fournisseurs traçables de poisson durable et leur communauté locale. « Les participants sont ensuite répertoriés dans un annuaire en ligne d'entreprises de produits de la mer durables dans lequel on peut trouver les coordonnées du fournisseur le plus proche pour s'approvisionner directement auprès de lui », précise l'étude.

Un suivi complexe

Mais cette approche par silos - transports, bâtiments, énergie... -, masque leur potentiel de véritable « système urbain » d'aménagement spatial, regrette Valérie Masson-Delmotte. « Les logiques de stratégie climat se font souvent par secteur, et moins par l'animation territoriale et la cohérence de l'action. On a du mal à faire rentrer les territoires dans cette logique plus transversale », abonde Ronan Dantec.

D'autant que les flux financiers circulent encore mal entre collectivités et Etat, souligne le rapport. Seuls 10 % des pays dans le monde déclarent avoir intégré leurs objectifs climat nationaux dans les politiques climat locales et régionales et dans leurs budgets, notait le Programme des Nations unies pour le développement en 2019.

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Même pour les territoires pilote, le suivi s'avère compliqué : selon les lieux, ou même parfois dans un même territoire d'une année sur l'autre, « les méthodologies et périmètres sont différents », rendant les comparaisons impossibles, explique Amaury Parelle. « On peut dégager des données éparses, mais cela reste peu consolidé », indique-t-il. L'étude de Climate Chance s'appuie sur les données fournies par les signataires de la convention mondiale des maires, qui compte désormais plus de 10.000 villes et couvre 14% de la population mondiale. « Nous avons besoin d'un cadre méthodologique afin de suivre les efforts engagés, les mesurer et évaluer leur efficacité. C'est le seul moyen d'apprendre plus rapidement de ce qui a été expérimenté », conclut Valérie Masson-Delmotte.

Marine Godelier

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