Comment unir la France après la longue crise des « gilets jaunes »  ?

POLITISCOPE. Dépeint comme un président déconnecté des réalités, Emmanuel Macron est pourtant bien conscient des difficultés vécues par la population française. Quand il était ministre de l'Économie, il avait brossé à grands traits le portrait d'une France divisée entre insiders et outsiders, oubliant toutefois les classes moyennes, justement au cœur du mouvement des "gilets jaunes". Par Marc Endeweld, journaliste (*).
En voulant adapter au pas de charge l'État social aux standards de la globalisation, Emmanuel Macron s'est particulièrement fragilisé politiquement.
En voulant adapter au pas de charge l'État social aux standards de la globalisation, Emmanuel Macron s'est particulièrement fragilisé politiquement. (Crédits : Philippe Wojazer)

Un an après la crise des « gilets jaunes », le malaise est toujours palpable. Malgré les multiples voyages ­d'Emmanuel Macron partout en France, malgré ses nombreuses tentatives pour reprendre le dialogue avec les élus locaux, le pays sait inconsciemment qu'il est toujours divisé entre une « France d'en haut » et une « France d'en bas », entre les métropoles et la France dite « périphérique », comme l'assène le géographe Christophe Guilluy.

Ces analyses binaires, purement économiques, sont pourtant à manier avec précaution. L'anthropologue Emmanuel Todd et le démographe Hervé Le Bras en proposent d'ailleurs une autre, à la fois religieuse et anthropologique dans leur essai Le Mystère français, dans lequel ils rappellent l'influence dans notre vie politique des fractures du passé : « Le républicanisme, le communisme et la CGT se sont épanouis dans l'espace central et méditerranéen. La droite traditionnelle, la CFTC puis la CFDT ont trouvé leur assise dans les bastions catholiques périphériques. L'opposition de ces deux France a constitué la structure fondamentale de la vie sociale et politique française durant les années 1789-1960 ». Ajoutant : « Cette division de l'espace demeure active, de manière souterraine, non consciente. »

Déclassement

Cette France de l'espace central du grand bassin parisien, et celle de l'arc méditerranéen, est principalement celle des « gilets jaunes ». La même qui avait voté majoritairement contre le traité de Maastricht en 1992, et contre le traité constitutionnel de 2005. C'est celle aussi, selon Todd et Le Bras, qui aspire le plus au principe d'égalité. Inscrit sur le fronton de nos mairies, cette promesse républicaine semble en panne à l'heure de la globalisation.

Le déclassement dont souffrent ces territoires n'est pas qu'économique, il est aussi symbolique. Les crises qui s'y conjuguent sont multiples et potentiellement explosives. Au blocage de la mobilité sociale s'ajoute celui de la mobilité tout court, vécu comme une relégation face aux « citoyens du monde ». Qu'à l'origine, les « gilets jaunes » se soient mobilisés sur la limitation de la vitesse à 80 kilomètres par heure est moins anecdotique qu'il n'y paraît.

Insiders et outsiders

Dépeint comme un président déconnecté des réalités, enfermé dans sa tour d'ivoire, Emmanuel Macron est pourtant bien conscient de ces difficultés. Quand il était ministre de l'Économie, il nous avait brossé à grands traits le portrait d'une France divisée : « Il existe trois strates dans le pays. D'abord, il y a les élites politico-économiques et journalistiques en état de névrose. Elles regardent leur pays avec un prisme négatif car elles ne savent plus le voir tel qu'il est. Ensuite, la jeunesse, polarisée entre une énorme attente et un désespoir profond. Mais elle exprime souvent une véritable énergie. Je souhaite activer ces jeunes, leur permettre de se donner un avenir. Enfin, il existe une France qui pense que la mondialisation n'est qu'un risque, qu'une perte. Ce sont les zones de déclassement qui n'arrivent pas à se projeter dans ces nouveaux équilibres. Il est nécessaire de les protéger et de leur expliquer. Cela n'ira pas mieux tant qu'on n'aura pas réconcilié ces trois France ».

À cette époque-là, il formalise une société divisée entre insiders et outsiders, héritée du work fare state anglais et américain, censé prendre la place de l'État-providence (welfare state). Emmanuel Macron croit alors que cette « réconciliation » passe par une flexibilisation accrue du marché du travail.

Oubli des classes moyennes

Or, en opposant insiders et outsiders, le ministre de l'époque, ­Emmanuel Macron, a oublié les classes moyennes, justement au cœur du mouvement des « gilets jaunes ». Et en voulant adapter au pas de charge l'État social aux standards de la globalisation, il s'est particulièrement fragilisé politiquement. Péché d'orgueil ou ­naïveté ? Malgré ses efforts, ­l'Allemagne d'Angela Merkel ne lui a finalement rien donné en retour. Dans ce contexte, ses projets sur les retraites, l'assurance chômage ou la SNCF risquent de rallumer la flamme de la contestation.

Lire aussi : Piketty: "Tant qu'il n'y aura pas plus de justice fiscale, ce gouvernement aura du mal à réformer"

C'est à l'aune de cette impasse qu'il faut lire ses tonitruantes déclarations à The Economist, plaidant pour de lourds investissements dans l'économie et contestant, par la même occasion, le totem des règles budgétaires imposées par la Commission et la BCE : « Nous avons besoin de plus d'expansionnisme, de plus d'investissement. L'Europe ne peut pas être la seule zone à ne pas le faire. » Il rappelle au passage que les Allemands « sont les grands gagnants de la zone euro, y compris avec ses dysfonctionnements ». Macron le sait, il est au pied du mur. Mais en Europe, il n'est pas le seul. 

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NOTE SUR L'AUTEUR

Marc Endeweld, auteur de L'ambigu Monsieur Macron (Éditions Flammarion), et de Le grand manipulateur - Les réseaux secrets de Macron (Éditions Stock), tiendra désormais chaque semaine une chronique politico-économique dans La Tribune intitulée "Politiscope".

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Commentaires 15
à écrit le 18/11/2019 à 8:43
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Patientez 2 ans puis élire une femme du Peuple : Marine le Pen !

à écrit le 17/11/2019 à 15:05
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On ne peut plus, il ne fallait pas ouvrir la boite de Pandore par des déclarations provocatrices et des mesures stupides, prises à l'emporte pièce.

à écrit le 17/11/2019 à 12:09
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Le chantier est immense, en rapport avec la perception totalement négative de cette France ignorée périphérique et rurale sur le reste de la société. S'attaquer pèle mêle aux privilèges de tte sorte et viser en particulier les élites politiques et l...

à écrit le 17/11/2019 à 11:19
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Macron et les partis politiques français ne croient pas à un consensus national intégrateur et au respect d'opinions divergentes et à la dissidence même dans leur propre parti. Il s'agit du même droit, qui est toujours profondément enraciné dans l’ap...

à écrit le 17/11/2019 à 0:00
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C'est une vaste question !! Depuis ma rupture d'altérité, je dois dire que cela est une question que je ne me pose pas, revenant ce soir de Bruxelles, il ne fait aucun doute qu'il y a des clefs dans ce qui touche a la structure même du pays actuellem...

à écrit le 16/11/2019 à 22:53
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Comment unir ? En créant «  un pont », une «  passerelle «  Le temps pour M. Macron de dire : Stop à Bruxelles et à l’UE ? Ou proposer un référendum : Nous sortons de l’UE ou pas ?

à écrit le 16/11/2019 à 19:23
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Les français sont unis... dans la détestation de Macron. 66% n'approuvent pas ses réformes et 75% ne lui font pas confiance pour l"avenir.

à écrit le 16/11/2019 à 11:09
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Comment unir la France après la longue crise des « gilets jaunes »  ? cette crise n'est pas finie, les grèves générales vont s'enchainer et durer looonnnntttteeemmmppppsss ! c'est si simple, et URGENTISSIME : DéMETTRE LiMOGER le gouvernement Ph...

le 16/11/2019 à 11:27
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Comme au Vénézuéla ou en Bolivie LOLLLLLLLL

à écrit le 16/11/2019 à 10:39
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Comment voulez vous unir les francais quand le President divise pour mieux régner exemple seulement 30% DES salaries bénéficient de l'exoneration sur heures sup et primes mais LES AUTRES !!!!!!! ils seront uniquement bons à payer pour les 5 mill...

à écrit le 16/11/2019 à 10:36
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Pour unir la France, il faut se trouver un adversaire commun a tout les français; un adversaire qui nous impose des réformes que nous ne désirons pas, qui nous pénalise si nous ne les mettons pas en pratique, un adversaire qui n'est qu'une administra...

à écrit le 16/11/2019 à 9:07
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hollande a tout fait pour diviser les francais, en croyant que ca allait servir d'ecran de fumee le temps que la croissance revienne vu ce qu'il a fait la croissance n'est pas revenue, par contre, le reste, ca a fait son office! et l'addition est l...

le 16/11/2019 à 9:38
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"hollande a tout fait pour diviser les francais" Avec Polpot, Lénine et Mitterrand quand même !

le 16/11/2019 à 13:50
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@churchill Hollande, la gauche, les syndicats, les feignants, les bons à rien, les immigrés... C'est bon, depuis le temps on a compris. Votre 78 tours est rayé, sans toutefois passer au streaming, (le choc pourrait vous être fatal), essayez le vin...

à écrit le 16/11/2019 à 9:06
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Les GJ sont arrivés en masse un peu avant les Européennes, ils referont massivement surface en 2022, ne nous faisons aucune illusion là dessus!

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