Jacques Biot affiche un CV pour le moins divers. Lui-même en convient : pas simple, au premier abord, de trouver un fil rouge à la carrière de cet ingénieur de formation, qui a commencé dans les cabinets ministériels, avant de travailler dans le secteur pharmaceutique, de devenir entrepreneur dans le domaine de la santé, puis de prendre la présidence de l'Ecole Polytechnique (de 2013 à 2018). A l'automne dernier, il est arrivé au board de Huawei France. Et le voilà désormais, comme l'annonce le groupe ce mercredi, président du conseil d'administration. Jacques Biot l'assure : ses incursions dans le public et dans le privé sont liées par une même motivation. « C'est de faire en sorte que l'innovation thérapeutique, scientifique et technologique trouve sa valeur sociétale et sa valeur économique », affirme-t-il. Dans nos colonnes, il revient sur sa mission pour le compte du groupe de Shenzhen, qui traverse une période difficile marquée par des sanctions américaines et son exclusion de nombreux marchés de la 5G.
LA TRIBUNE - Vous allez prendre la présidence du conseil d'administration de Huawei France. Comment envisagez-vous cette nouvelle mission ?
JACQUES BIOT - Le rôle du conseil et de sa présidence est d'apporter des éclairages stratégiques au management qui gère les opérations au quotidien. Son objectif est de faire en sorte que l'entreprise réponde aux attentes de la société française. Le conseil comprend des représentants du groupe, mais aussi des administrateurs indépendants que sont Jean-Marie Le Guen et moi-même. Ma tâche sera de l'animer.
Pourquoi êtes-vous venu chez Huawei ?
J'ai trouvé chez Huawei le moyen de poursuivre concrètement ce que j'ai engagé à l'Ecole Polytechnique. A sa présidence, ma priorité était de transformer l'établissement en université internationale, de le sortir un peu du modèle d'école traditionnelle. Les élèves y arrivent parce que le classement des concours les a mis dans cette boite, comme d'autres vont à l'école Centrale ou à celle des Mines. Mais cela ne donne pas de sens à une vie... Pour ce faire, j'ai voulu ouvrir l'école et sensibiliser les étudiants aux grands défis auxquels, de manière générale, l'humanité est confrontée, et où nous avons besoin d'intelligence. J'en vois trois : les enjeux climatiques et d'énergie, l'évolution de la santé au regard des progrès technologiques, et la transformation de l'économie. Lors d'un voyage à Shenzhen, à la fin de mon mandat à Polytechnique, j'ai vu sur étagère, et notamment chez Huawei à travers leurs travaux sur la 5G et ses usages, des solutions à certains problèmes actuels où, en France, les recherches ne font que commencer... J'ai eu la confirmation que la Chine était très en avance d'un point de vue technologique. Plusieurs mois après mon retour, Huawei m'a demandé si je souhaitais rentrer au conseil d'administration. J'ai pris le temps d'observer l'équipe, de la comprendre. Le fonctionnement de l'entreprise et la solidarité des collaborateurs m'ont beaucoup plu. Le fait que l'entreprise appartienne à ses employés favorise cette manière de travailler.
Cet argument selon lequel Huawei serait détenu par ses collaborateurs est pourtant critiqué. Certains jugent qu'en réalité, c'est l'Etat chinois qui tient les manettes... Récemment, Stéphane Richard, le PDG d'Orange, a d'ailleurs estimé que « le système de l'entreprise » et « son absence de gouvernance » posaient « un problème majeur » dans un domaine « aussi sensible que la technologie »...
Franchement, de mon point de vue, outre les aspects scientifiques, technologiques et l'implication de Huawei dans la recherche fondamentale, c'est son management qui m'a beaucoup séduit. Huawei, c'est un peu une startup de 190.000 personnes, où les gens agissent de manière très solidaire et dans l'intérêt du collectif. C'est une entreprise où les employés s'impliquent vraiment.
En France, Huawei a pris l'habitude de s'entourer de personnalités du monde politique, scientifique et économique pour faire du lobbying auprès du gouvernement et du grand public. Il y a eu l'ancien ministre Jean-Louis Borloo, qui est passé à la Commission européenne, et maintenant Jean-Marie Le Guen et vous. Vous avez été lobbyiste par le passé, notamment dans l'industrie pharmaceutique. Est-ce la raison pour laquelle Huawei a fait appel à vos services, sachant que l'entreprise, qui vient d'être écartée des réseaux 5G en France, traverse une passe difficile ?
Mon métier n'a jamais été d'être lobbyiste même si certains me collent cette étiquette. En revanche, j'ai toujours défendu les causes auxquelles je croyais. En ce sens, je me suis toujours engagé. C'est une réalité. Huawei n'a pas besoin de lobbyistes, et ce n'est pas mon rôle. Le meilleur ambassadeur de Huawei, ce sont ses produits, notamment concernant les applications de la 5G. A mes yeux, le vrai sujet est de savoir si la France va pouvoir bénéficier de solutions efficaces, éprouvées, pour lutter contre le réchauffement climatique, être à la pointe en matière de santé et rendre son économie plus efficace, plus productive. C'est dans l'intérêt de la France de laisser se développer une industrie des usages de la 5G, qui puisse s'appuyer sur ce qui se fait de mieux en matière de technologies et de recherche.
Huawei est aujourd'hui en pleine tempête. Le groupe pâtit de sanctions américaines, et s'est fait exclure de nombreux marchés de la 5G en Europe. Certains soupçonnent l'équipementier d'espionnage pour le compte de Pékin. Cela vous préoccupe-t-il ?
Avant de rejoindre Huawei, j'ai voulu vérifier les rumeurs qui pouvaient courir. Tous les rapports, y compris ceux effectués par de grandes entreprises françaises de défense, confirment qu'il n'y pas de sujet. Je n'ai trouvé aucun élément susceptible de confirmer les soupçons d'espionnage. Huawei est quand même présent en France depuis 17 ans, et il n'y a jamais eu de problème. Le groupe s'est toujours montré extrêmement dévoué et au service de ses clients. Il l'a encore démontré pendant la crise de la Covid-19 et le confinement, où ses équipes ont travaillé d'arrache-pied pour que les réseaux tiennent le coup.
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Huawei pose aussi des problèmes de souveraineté. Certains redoutent qu'en cas de conflit avec la Chine, le groupe cesse, par exemple, d'entretenir ses équipements de réseaux mobiles en France. Ce qui pourrait déboucher sur de graves disfonctionnements, voire des « black-out »...
Les considérations de souveraineté sont tout de même à géométrie variable... Que se passerait-il si, demain, le président des Etats-Unis décidait de nous couper le GPS ? Nous serions drôlement embêtés. Je pense qu'en France, nous portons un regard singulier sur la souveraineté, et nous nous montrons très indulgents lorsqu'il s'agit des Gafa américains... Je rappelle aussi que Huawei n'est qu'un fournisseur d'équipements télécoms. Aucun de ses employés ne va venir les débrancher. Une fois qu'ils ont été installés, ce sont les opérateurs qui en ont les clés.
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