Paiements en Europe : « Le lancement de wero en France doit débuter fin juin » (Martina Weimert, EPI)

ENTRETIEN. Les banques françaises s'apprêtent à proposer à leurs clients la nouvelle solution paneuropéenne de paiements wero, développée par EPI (European Payment Initiative). L'enjeu est majeur pour la souveraineté des paiements en Europe. Martina Weimert, directrice générale d'EPI, détaille pour La Tribune le lancement à venir de wero et revient sur ses principaux défis.
Pour Martina Weimert, directrice générale d'EPI, il est impératif  pour les banques européennes de faire cause commune dans les paiements.
Pour Martina Weimert, directrice générale d'EPI, il est impératif pour les banques européennes de faire cause commune dans les paiements. (Crédits : DR)

La solution de paiement européen wero, lancée par la société européenne EPI (European payment Initiative) et détenue par de grandes banques européennes et des sociétés de paiements, est dans les starting- blocks. Cette application servira dans un premier temps à effectuer des paiements entre particuliers (P2P), puis entre particuliers et professionnels (P2 Pro) et, prochainement, elle sera étendue au paiement en ligne et en magasin.

Elle s'appuie sur une infrastructure de paiement instantané, avec de nombreux services associés (sécurité, fidélisation) et pourra même supporter l'euro numérique. L'enjeu est stratégique : permettre aux banques de rivaliser avec les géants anglo-saxons des paiements et aux marchands d'avoir une option de paiement paneuropéen. Cheville ouvrière de ce projet titanesque, Martina Weimert, directrice générale d'EPI, dévoile pour La Tribune les prochaines étapes du déploiement du wallet wero en France et en Europe.

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LA TRIBUEN - Après un test réussi en décembre dernier de transactions P2P entre une banque française et une caisse d'épargne allemande, quel est aujourd'hui le calendrier du déploiement commercial de votre portefeuille numérique paneuropéen wero ?

MARINA WEIMERT - Tous les tests ont été concluants. L'enjeu est de connecter un maximum de banques sur la plateforme EPI et d'intégrer les fonctionnalités de notre portefeuille numérique wero sur les applications bancaires mobiles. Les particuliers auront toutefois la possibilité de télécharger le wallet directement à partir de notre site web. Nous avons souhaité conserver ces deux approches car toutes les banques ne suivront pas la même voie. En France, la grande majorité mise cependant sur l'intégration dans leur application mobile, ce qui est en train de se faire.

Le lancement commercial du premier cas d'usage, le virement P2P, doit ainsi débuter fin juin en France, avec un déploiement en Belgique et en Allemagne au cours de cet été. Les Pays-Bas viendront dans un deuxième temps, pour des raisons essentiellement réglementaires.

Pourquoi commencez-vous par le virement P2P ?

Le virement P2P est sans doute la façon la plus ludique et la plus simple pour découvrir une nouvelle solution de paiement. Ce n'est pas forcément évident de faire des achats en ligne avec un moyen de paiement que l'on ne connaît pas encore. En revanche, rembourser un ami sur un petit montant apparaît plus facile. Le paiement est un sujet de confiance et de sécurité aussi. Le consommateur a besoin de se rassurer sur la fiabilité d'un système avant de se l'approprier.

Et l'expérience montre que le virement P2P est le cas d'usage qui se diffuse le plus facilement auprès du public. Cela a été le cas en France avec Paylib qui a réussi à décoller grâce au virement P2P, au détriment d'ailleurs des autres cas d'usage prévus initialement. Pour nous, cette première marche est extrêmement importante pour se faire connaître.

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A ce propos, wero doit-il se substituer en France au service interbancaire Paylib ?

Nous travaillons effectivement à la migration du portefeuille de Paylib sur notre plateforme. Il y aura une période de cohabitation entre les deux wallets pour éviter une rupture dans l'usage du service. Pendant cette période, qui sera dans doute d'une année pour laisser vraiment le temps de la découverte, il sera donc possible d'utiliser l'une ou l'autre des solutions, qui pourront bien évidemment communiquer entre elles.

Ce schéma sera-t-il appliqué aux autres pays ?

Oui, même si les points de départ pourront être différents. En Belgique, par exemple, il existe une solution Bancontact/Payconiq qui propose à la fois du P2P, du paiement en ligne et du paiement de proximité. La migration de cette solution est donc plus complexe à réaliser et la phase de cohabitation des deux solutions devrait durer plus longtemps qu'en France. Les discussions sont d'ailleurs toujours en cours sur le paiement en ligne ou de proximité.

Aux Pays-Bas, où nous avons racheté la solution de paiement nationale iDEAL, c'est également une migration à grande échelle sur la plateforme EPI que nous préparons à la fois sur volet virement et le volet paiement en ligne.

En Allemagne, il n'existe pas de solution nationale, ou du moins une solution nationale centralisée. La migration d'un système à l'autre d'un bloc n'est donc pas possible. Ce sera donc banque par banque. En revanche, il existe une solution nationale pour le paiement en ligne avec Giropay, avec qui nous avons des discussions pour voir comment nous pourrions faire migrer ce réseau d'acceptation sur notre plateforme.

Quel est le calendrier prévu pour les autres cas d'usage, notamment le paiement en ligne ?

Nous pensons proposer la solution de paiement en ligne l'été prochain, avec une montée en charge progressive. Dans ce cas d'usage, il faut non seulement convaincre les consommateurs mais aussi les e-commerçants de l'intérêt de notre solution. Notre priorité est certes d'élargir notre base d'utilisateurs grâce au P2P mais il faut également que le consommateur comprenne que le portefeuille wero ne se limitera pas au P2P.

N'est-il pas risqué d'avoir adopté la technologie du code QR qui est très différente de celle de la carte bancaire et de son code PIN ?

Nous travaillons effectivement avec un code QR pour tous les cas d'usage, y compris pour le paiement en ligne. Et c'est vrai qu'au début, une majorité exprimait une réticence vis-à-vis du code QR. Mais depuis la pandémie, il a connu un essor rapide en Europe et son utilisation s'est largement banalisé, notamment auprès des jeunes. Ce mode de paiement s'avère en réalité moins compliqué que la carte bancaire qui nécessite toujours de renseigner un numéro de carte pour les achats en ligne.

Avec notre solution, il suffit de choisir, au moment du paiement en ligne, l'option de paiement wero et de scanner le code QR qui s'ouvre pour valider la transaction. Plus aucune information à entrer, ni nom, ni prénom, ni numéro de carte ou de date d'expiration. C'est vrai que c'est une autre manière de payer mais cela fait gagner beaucoup de temps. La Suisse a récemment adopté le code QR avec la solution Twint qui rencontre un grand succès auprès du public, y compris pour les paiements en magasin, alors que tous les terminaux de paiement acceptent le NFC. Les usages de paiement peuvent être long mais aussi ils peuvent être rapides quand tout le monde agit dans le même sens. Regardez le paiement sans contact ! Qui le remettrait en cause aujourd'hui ? Pourtant, il y a eu de longs débats sur son utilité, les risques de fraude, etc...

Tout votre projet repose sur l'idée qu'en matière de paiement mieux vaut la coopération que la concurrence. Sur quoi fondez-vous cette certitude ?

Sur l'expérience. Prenez l'exemple américain. Les grandes banques lancent le portefeuille Zelle pour contrer l'offensive de Paypal et sa solution de paiement P2P Venmo qui était, très vite, devenu leader du marché. En cinq ans, Zelle représente désormais cinq fois les volumes de transactions de Venmo. Ce qui veut dire qu'une solution interbancaire peut rivaliser avec les géants de la Tech, quand il existe une vraie volonté d'aller ensemble dans la même direction. La carte bancaire a été également un grand succès à partir du moment où les banques ont également uni leurs efforts.

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Cela a été particulièrement le cas en France. Les banques sont aujourd'hui toutes logées un peu à la même enseigne : elles ont les mêmes concurrents, des mastodontes technologiques avec des moyens financiers importants, des masses d'utilisateurs énormes et aussi des modes de fonctionnement différents, car ce sont surtout des acteurs américains ou chinois. Il est donc impératif de faire cause commune en Europe et de partager les investissements et de trouver des synergies.

Ne redoutez-vous pas la multiplication des offres de wallets qui risque de lasser les consommateurs et les commerçants ?

L'Europe est en retard en matière de développement de wallet. Dans le monde entier, nous observons une vraie évolution des paiements via des wallets, que ce soit Amérique Latine, aux Etats-Unis ou en Asie. Nous restons encore ancrés dans l'univers de la carte. Certes Apple Pay apparaît comme un leader incontesté mais cette solution ne regroupe que 20 % des utilisateurs de wallet, même s'il est vrai que ces derniers sont de gros consommateurs de commerce en ligne. Mais nous avons une approche différente et Apple Pay ne propose pas le P2P en Europe ou d'autres services, comme le paiement sur facture ou bien la possibilité de scanner un produit dans la rue, pour louer un vélo par exemple, et de finaliser la transaction sur le mobile ou en magasin. Ce sont des éléments de différenciation importants.

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Enfin, nous sommes liés à un compte bancaire. Le consommateur pourra consulter son compte avant de faire la transaction ou même gérer tous ses abonnements. Dans un contexte de plus grande fragilité financière des ménages, c'est clairement un atout. Toutes nos enquêtes le montrent.

Quel est votre principal argument pour convaincre les marchands d'adopter wero ?

Wero est un wallet qui leur permettra de faire ce que Visa ou Mastercard ne peut pas faire : une parfaite omnicanalité, un code QR, la possibilité de payer sans passer à la caisse.... Nous proposons une vraie alternative. Mais nous ne sommes pas engagés dans une guerre contre la carte, dans une opposition frontale. Il s'agit de proposer un moyen de paiement complémentaire, paneuropéen qui répond à se besoins qui ne sont forcément couverts par la carte dans un monde de plus en plus numérique.

La nouvelle directive européenne (DMA) qui impose à Apple d'ouvrir son système aux autres wallets va-t-elle changer la donne pour vous ?

Le choix du code QR a été au départ une contrainte pour contourner l'impossibilité d'accéder à l'antenne NFC d'Apple Pay. Aujourd'hui, les choses ont changé et le code QR nous permet finalement de faire plus de choses. Et cette évolution réglementaire qui est positive ne devrait pas pour autant être un véritable game changer. Apple a d'autres moyens pour conserver le lien privilégié avec ses utilisateurs.

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Mais ce qui est intéressant de souligner est que la réglementation européenne des paiements est un des rares exemples où le régulateur a essayé, en profondeur, de comprendre tous les rouages de l'industrie des paiements et de saisir tous les enjeux technologiques. Cela a pris du temps mais aujourd'hui la Commission européenne a tous les outils en main pour défendre et promouvoir une industrie européenne des paiements.

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Commentaires 2
à écrit le 23/04/2024 à 8:01
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Le peuple européen en était vraiment trop impatient ! LOOOL ! Et ils continuent de se raconter des histoires à voix haute.^^

à écrit le 23/04/2024 à 2:44
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En thailande , nous avons ce système instantané depuis pas mal de temps. Ça fonctionne très bien. Les commerçants ont leur code QR propre, les particuliers aussi et le paiement est instantané avec accuse de réception. Avec le téléphone l'on peut tout...

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