La Fintech, talent caché d'Israël

La première « startup nation » est en train de se faire un nom dans les technologies financières. Mais les fleurons « made in Israël » ont leur marché ailleurs et leur siège souvent relocalisé aux États-Unis.
(Crédits : Infographie La Tribune)

Baignée de soleil sur la route Menahem Begin, bordée de palmiers et de trottinettes en libre-service, l'ultramoderne tour Azrieli Sarona est le plus grand gratte-ciel de Tel Aviv (238 mètres, plus que la tour First de La Défense). Amazon y occupe 11 étages, Facebook y a transféré son centre de R&D Data.IA. Mais c'est chez la banque américaine Citigroup, implantée depuis 2000 dans le pays, où elle a aussi ouvert un Innovation Lab en 2011, que se pressent une vingtaine de startuppeurs en tenue décontractée. Venus armés de kakemonos colorés et d'un discours bien rodé, ils enchaînent les pitchs de quelques minutes, dans un joyeux brouhaha où se mêlent l'hébreu et l'anglais. PayKey, PayMe, Finnovest, Innovative Assessments, nsKnox, Axonius : leur nom ne vous dit sans doute rien, mais elles seraient parmi les jeunes pousses de la finance les plus prometteuses du pays, selon Ornit Shinar, la directrice en Israël de Citi Ventures, le bras de capital-risque de ­Citigroup.

« Quand nous avons ouvert ici un accélérateur pour les startups des technologies financières en 2013, le terme même de fintech n'existait pas », rappelle cette franco-israélienne, fine connaisseuse de cet écosystème en plein essor.

Six ans plus tard, Citigroup a accompagné 90 jeunes pousses qui ont levé, en cumulé, plus de 750 millions de dollars, certaines ayant même été déjà rachetées (Sling, Paybox, Mycheck). La banque new-yorkaise - qui se targue d'avoir le deuxième portefeuille le plus important dans la fintech, avec une quarantaine de participations, derrière Goldman Sachs, devant JP Morgan - a investi dans sept jeunes pousses israéliennes, essentiellement dans les technologies financières, comme BlueVine (crédit aux PME) et Unbound (protection des clés cryptographiques).

Des startups repérées par les plus grands

Réputée mondialement pour ses experts en cybersécurité, que les multinationales, d'IBM à Intel en passant par Visa, viennent recruter en implantant sur place des centres de R&D, la « startup nation » est en train de se faire un nom dans la fintech. « On a commencé à voir émerger de nombreuses fintech il y a six ans environ. Chaque année, le nombre de tours de table et les montants levés sont en croissance. Nous comptons plus ou moins 500 startups "pures fintech", en mettant à part la cybersécurité », indique ­Meital Raviv, la responsable fintech chez KPMG en Israël. Certaines ont déjà été repérées par les plus grandes institutions financières de la planète : c'est le cas d'Access Fintech, spécialisée dans la gestion des risques, qui a levé en décembre dernier 17,5 millions de dollars auprès de Citigroup, Credit Suisse, Goldman Sachs et JP Morgan.

« Une des forces du marché est la présence massive de multinationales comme Mastercard, Barclays, Citibank et HSBC, sans parler des grands de la tech comme Microsoft et Google. Pour les fintech, ce sont autant d'opportunités de travailler avec ces grandes entreprises », souligne l'experte de KPMG.

Une présence très incitée par le gouvernement israélien par le biais d'un dispositif fiscal mis en place en 2010 (subventions à l'embauche jusqu'à 50 % des salaires des équipes de R&D pendant cinq ans).

Dans la vaste base de données de l'organisation non gouvernementale Start-up Nation Central (financée par la fondation de Paul E. Singer, investisseur américain connu pour son fonds activiste Elliott), sur les quelque 6 400 startups israéliennes recensées, on trouve plus de 600 fintech actives, dont une soixantaine d'insurtech (assurance), qui ont levé pour plus de 630 millions de dollars cette année, après un record de 841 millions établi l'an dernier. Le double du montant récolté par les fintech françaises ! Mais les chiffres sont un peu trompeurs. Le spécialiste américain PitchBook ne retient que 143 millions de dollars d'investissements en 2018 (par les seuls fonds de capital-risque) dans les fintech dont le siège se trouve en Israël.

Le cas Lemonade

Le petit pays de 8,7 millions d'habitants n'apparaît pas sur la carte mondiale des 48 « licornes » - ces entreprises non cotées valorisées plus d'un milliard de dollars - identifiées dans le secteur des technologies financières par le spécialiste CB Insights. Une seule entreprise israélienne s'est hissée dans le palmarès mondial fintech 100 de KPMG l'an dernier : la plateforme d'investissement en capital OurCrowd (1,1 milliard de dollars sous gestion), qui se trouve être le « VC » (venture capital) le plus actif du pays, selon le classement de ­PitchBook.

Plusieurs fleurons du secteur sont pourtant « made in Israel », insiste Ornit Shinar, de Citi Ventures. C'est notamment le cas de la vedette de l'assurance digitale Lemonade, valorisée plus de 2 milliards de dollars lors de son dernier tour de table de 300 millions, en avril, auprès du japonais SoftBank et de l'assureur allemand Allianz. Un méga-tour de table inclus dans les chiffres de l'écosystème de Tel Aviv, bien que Lemonade Inc. ait son siège à New York et que son activité soit concentrée sur le marché américain (son lancement en Allemagne date de juin).

« Les fondateurs, Daniel ­Schreiber et Shai Wininger, sont israéliens. Ils sont installés ici, à Tel Aviv, où est réalisé tout le développement », fait valoir la directrice de Citi Ventures en Israël. « Comme 90 % des start­ups israéliennes, leur business est pour l'essentiel aux États-Unis », relève-t-elle. L'insurtech, qui aurait mandaté de grandes banques de Wall Street en vue d'une introduction à la Bourse de New York dans les six prochains mois, compte « 180  employés dont un peu moins de la moitié à Tel Aviv », dans le quartier de Sarona, nous précise un porte-parole, qui ajoute : « Les deux fondateurs considèrent Israël comme leur pays mais ils voyagent beaucoup entre Tel Aviv et New York, et à l'occasion à ­Amsterdam et en Arizona où nous avons aussi des bureaux. »

Le cas de Lemonade n'est pas isolé. Dans la tech en général et la fintech en particulier, les jeunes pousses ont d'emblée des ambitions internationales.

« Israël est un très petit marché. La plupart des fintech ne travaillent pas sur le marché israélien. Elles utilisent les entreprises locales comme des bêta tests ! », observe Meital Raviv, de KPMG.

Voire font l'impasse sur le marché national, comme Lemonade. Elles installent souvent leur siège à l'étranger « pour se rapprocher de leur marché et obtenir une meilleure valorisation », analyse Tomer Michaeli, associé du fonds spécialisé Viola fintech, dans lequel BNP Paribas a investi. Et ce,  tout en gardant d'importants effectifs sur place, notamment des ingénieurs, qui restent moins chers que dans la Silicon Valley, malgré l'inflation salariale.

Autre exemple emblématique : l'entreprise de paiements et transferts internationaux Payoneer, dont par exemple Airbnb est cliente pour régler directement les loueurs de sa plateforme (sauf en France après une polémique sur le risque d'évasion fiscale). Fondée par un ex-officier de l'armée israélienne, multi-­entrepreneur, Yuval Tal, Payoneer a son siège à New York et emploie 1 200 personnes, dont 600 à Petah Tikva, à 10 kilomètres de Tel Aviv.

Juste à côté, à Bnei Brak, la ville à la plus grande communauté  hassidique (les ultra-orthodoxes), le courtier en ligne eToro emploie plus de 400 personnes sur 700 salariés. Sa plateforme, qui se présente comme un « réseau social d'investissement », permettant de copier les stratégies des « meilleurs traders » sur les marchés des changes, des actions et des cryptomonnaies, revendique plus de 10 millions d'utilisateurs. Fondée en Israël en 2006, la startup a désormais son siège à Chypre et à Londres, où elle est régulée. Elle a levé 222 millions de dollars auprès d'investisseurs internationaux dont CommerzBank, sur la base d'une valorisation estimée à 800 millions lors du dernier tour de table. « Je suis israélien, j'ai créé l'entreprise avec mon frère à Tel Aviv. Mais maintenant eToro est une entreprise mondiale, nous opérons principalement à l'étranger » nous confie Yoni Assia, le cofondateur et directeur général d'eToro, très impliqué dans l'écosystème de la place.

Un mélange unique

Selon Tomer Michaeli, qui a lui-même cofondé Fundbox, spécialiste de la gestion de trésorerie et du crédit revolving pour PME, dont le siège a été établi à San Francisco, « l'écosystème israélien est un des trois ou quatre premiers mondiaux dans la fintech. Israël bénéficie d'un long héritage en matière de technologies financières ». Il mentionne Fundtech, dans les logiciels financiers, fondée en 1993 et rachetée par D+H (devenu Finastra), Actimize, dans la gestion des risques et la lutte anti-blanchiment, fondée en 1999 et rachetée par la société israélienne Nice ­Systems, BorderFree, solution pour l'e-commerce transfrontalier, fondée en 1999 et acquise par Pitney Bowes ou encore Fraud Sciences avalée par ­PayPal en 2008.

« L'écosystème israélien est un mélange unique entre cet héritage, des compétences académiques exceptionnelles dans la donnée, le machine learning, l'anti-fraude, un univers de financement très complet et l'implication de très nombreuses multinationales de la finance », analyse cet ex-entrepreneur devenu investisseur.

Si certains se désolent de voir la création de valeur échapper au pays, par délocalisation ou rachat, Tomer Michaeli estime au contraire que « ces acquisitions font beaucoup de bien à l'écosystème en le rendant plus mature, car les fondateurs ou les ex-employés créent de nouvelles startups et réinvestissent ».

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Fintech, Israël, infographie, H300, Delphine

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Commentaires 2
à écrit le 17/09/2019 à 19:46
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Dans la Fintech... antichambre des arnaques, sur un territoire réputé pour son laxisme en la matière.

à écrit le 17/09/2019 à 18:07
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Caché, caché, arnaque au président, detournement de la taxe carbone, detournement de la tva, toujours en france, la fintech israelienne est sortie du bois depuis fort longtemps.

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