Immobilier : des nouveaux matériaux plus écolos

Après la maison passive (celle dont la consommation énergétique est très basse) et la maison à énergie positive (celle qui produit plus d’énergie qu’elle n’en consomme), l’heure de la réinvention des matériaux de construction est venue. Bâtir et rénover d’accord, mais dans le respect de l’environnement ! Et quand innovation et bon sens d’autrefois s’entremêlent, cela donne des solutions assez étonnantes, avec parfois un retour aux matériaux millénaires. Petit tour d’horizon de quatre matériaux anciens en passe de révolutionner le bâti. (Cet article est issu de T La Revue n°11 - « Habitat : Sommes-nous prêts à (dé)construire ? », actuellement en kiosque).
« La construction en terre crue concerne des opérations exceptionnelles, comme l’école primaire Miriam Makeba à Nanterre (ci-contre), livrée par l’agence d’architectes TOA. Notre objectif est de changer d’échelle et de permettre à n’importe quel promoteur ou bailleur social de pouvoir utiliser facilement ce matériau. »
Sylvia Escovici, urbaniste chargée du projet à la mairie de Sevran
« La construction en terre crue concerne des opérations exceptionnelles, comme l’école primaire Miriam Makeba à Nanterre (ci-contre), livrée par l’agence d’architectes TOA. Notre objectif est de changer d’échelle et de permettre à n’importe quel promoteur ou bailleur social de pouvoir utiliser facilement ce matériau. » Sylvia Escovici, urbaniste chargée du projet à la mairie de Sevran (Crédits : TOA Architectes)

LE RETOUR A LA TERRE CRUE AVEC CYCLE TERRE A SEVRAN

Le chantier du Grand Paris Express va générer 45 millions de tonnes de terre ! Et si, plutôt que d'enfouir cette montagne de remblais, on la réutilisait pour produire des matériaux de construction ? C'est ce que propose la fabrique Cycle Terre à Sevran (93). Ce projet d'économie circulaire soutenu par la municipalité sevranaise a développé une chaîne de valeurs en trois étapes : récupérer, trier, valoriser.

Construire en terre crue est une technique très ancienne - des maisons en adobe (argile et paille) datant de 6 000 ans avant J.-C. ont été retrouvées au Turkménistan - et très répandue : on estime que plus d'un tiers de l'habitat humain est en terre crue. C'est le matériau écologique par excellence : pas de cuisson et des transports courts (la ressource est locale), donc très peu d'énergie grise, recyclable à 100 % et sans aucun produit chimique. Sans oublier une bonne inertie thermique et une régulation du taux d'humidité. Selon les Cahiers Techniques du Bâtiment, une brique de terre crue peut capter 3 % de son poids en vapeur d'eau, restituée ensuite dans la pièce lorsque l'humidité relative diminue. Un échange dynamique qui permet de maintenir une hygrométrie quasi constante. Néanmoins, il faut lui adjoindre un matériau isolant pour la protéger du gel et de l'eau, isolant qui peut être un biomatériau comme la paille ou le chanvre, et le coût de construction est plus élevé que pour le béton car peu d'entreprises possèdent le savoir-faire nécessaire. Enfin, la terre crue a moins de plasticité que le béton. La RE 2020, nouvelle réglementation qui vise à améliorer la performance énergétique des bâtiments, pourrait lui donner un nouvel élan. « Comment réintégrer ce matériau encore peu utilisé à l'architecture urbaine ? C'est le pari de Cycle Terre » explique Sylvia Escovici, urbaniste chargée du projet à la mairie de Sevran. Cycle Terre a construit une fabrique de 3 100 m2 qui comprend des espaces de fabrication, une zone de livraison et de préparation, une zone de production, un tunnel de séchage et une zone de stockage des produits finis. La fabrique produit ainsi des blocs de terre comprimée (BTC), des blocs de terre comprimée stabilisée (BTCS), des panneaux d'argile extrudée ainsi que des enduits et mortiers. « Pour l'instant, la construction en terre crue concerne des opérations exceptionnelles, comme l'école primaire Miriam Makeba à Nanterre (92), livrée par l'agence d'architectes TOA. Notre objectif est de changer d'échelle et de permettre à n'importe quel promoteur ou bailleur social de pouvoir utiliser facilement ce matériau » précise Sylvia Escovici. Selon l'urbaniste, une simple couche d'enduit en terre crue permet de faire baisser le niveau sonore, une propriété très appréciée dans les cantines scolaires... Peut-on réaliser des immeubles entiers de cette manière ? « Oui, mais ce n'est pas le plus intéressant. La filière n'est pas encore mûre pour des bâtiments 100 % terre. En revanche, on peut associer les différents matériaux biosourcés : du bois pour la structure, de la paille pour l'isolation thermique et la terre crue pour le remplissage. Chaque matériau complète l'autre. Dans l'idéal, tout bâtiment construit en Île-de-France devrait comporter un pourcentage de terre crue » estime Sylvia Escovici. Le carnet de commandes 2023/2024 de Cycle Terre commence à se remplir. La chargée de projet constate un fort engouement de la part des prescripteurs, bureaux d'études et architectes. Des visites de la fabrique sont organisées pour les professionnels et le grand public. Le facteur prix représente encore un blocage, mais Cycle Terre compte baisser les coûts en massifiant la production. « Si on prend en compte la totalité de la construction, le surcoût est minime » assure Sylvia Escovici. Les premiers immeubles de logement incorporant ce matériau devraient bientôt sortir de terre.

LE CIMENT PASSE AU VERT AVEC HOFFMANN GREEN CEMENT TECHNOLOGIES EN VENDEE

Le contexte est sans appel : si le béton était un pays, ce serait le troisième émetteur de gaz à effet de serre. Il est composé de granulats (60 à 70 %), d'eau, d'adjuvants chimiques, d'air et de ciment (7 à 15 %). Le ciment est le matériau le plus utilisé au monde, soit 150 tonnes par seconde selon l'Association mondiale du ciment et du béton (GCCA). À lui seul, il génère 7 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) selon la GCCA, soit l'équivalent de l'Union Européenne ou de l'Inde. S'il émet autant de CO2, c'est en raison du chauffage à haute température du clinker, son principal constituant, un mélange de calcaire et d'argile. Une tonne de ciment cuite à 1 400 °C génère une émission de 881 kg de CO2. L'industrie du béton, consciente de cette situation, veut atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y arriver, elle prévoit de capter le carbone émis. Problème : les technologies de captage et de stockage du CO2 en sont encore au stade du prototype. Une autre solution serait d'opter pour du ciment « vert » qui utilise d'autres matériaux que le clinker, par exemple des déchets industriels, comme le laitier (déchet issu des hauts-fourneaux), des boues d'argile ou des cendres. C'est précisément ce que propose une start-up française installée en Vendée, Hoffmann Green Cement Technologies (HGCT). En 2015, David Hoffmann, ingénieur chimiste de formation, présente à Julien Blanchard, entrepreneur, ses formulations de géopolymères (polymères inorganiques) capables de faire durcir des produits sans les cuire. La start-up a remplacé le clinker par des coproduits - argiles, gypses et déchets industriels - activés à froid sans cuisson. Ce ciment « vert » s'utilise de la même façon que les autres, en le mélangeant à du sable, des granulats et de l'eau dans une bétonnière. « Nous ne changeons pas les habitudes de nos clients comme Bouygues Construction ou Eiffage, ni de l'utilisateur final » précise Julien Blanchard. L'entreprise vendéenne inaugure son unité de production en 2018 et sort ses premières tonnes de ciment décarboné début 2019. Elle s'introduit la même année en bourse sur Euronext Growth et lève 75 millions d'euros, suivie fin 2011 d'une augmentation de capital de 25 millions. « Ces fonds nous ont permis d'accélérer notre développement et notre déploiement industriel, notamment avec la construction de deux unités de production supplémentaires, une cette année et une autre en 2024 » explique Julien Blanchard président du directoire de Hoffmann Green Cement Technologies. Aujourd'hui, le ciment décarboné d'HGCT possède, selon le président du directoire, « le meilleur bilan carbone de l'industrie du ciment en France et en Europe, y compris en incluant l'empreinte du laitier de haut-fourneau ». Une prouesse réalisée en éliminant le clinker de ses produits : une tonne de ciment Hoffmann génère 142 kg de CO2, soit six fois moins qu'une tonne de son équivalent traditionnel. « Il y a cinq ans, les industriels affirmaient qu'il était impossible de faire du ciment sans ce fameux clinker. Nous avons prouvé le contraire. Nous avons réduit les émissions de CO2 de 80 % et nous avons déjà atteint l'objectif fixé par l'industrie pour 2050 » ajoute Julien Blanchard, qui a déposé 12 brevets pour ce produit innovant certifié par le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment). Hoffmann Green en a déjà produit 10 000 tonnes, un chiffre encore très loin des 18 millions de tonnes produites chaque année en France. Mais la PME est ambitieuse : « Notre objectif est d'arriver à 550 000 tonnes en 2026, soit 3 % du marché français » précise Julien Blanchard. La route sera longue vers une industrie du BTP moins polluante mais le premier pas a été effectué : à Genève, un immeuble a été construit intégralement en béton Hoffmann.

DANS LES HAUTS-DE-FRANCE, L.A. LINIERE FABRIQUE DES BRIQUES A BASE DE LIN

T La Revue n°11

C'est connu : les vêtements en lin sont très appréciés en période de grosses chaleurs. Et pour cause, la fibre creuse de cette plante lui permet de s'adapter aux conditions extérieures pour réguler la température du corps. Une propriété qui en fait aussi un matériau de construction biosourcé très isolant.

Le lin pousse essentiellement dans le Nord de la France, grande région textile, et en Belgique. La France est d'ailleurs le premier producteur de cette fibre : 80 % de la production mondiale se trouve le long de la Manche. La coopérative L.A. Linière, installée près de Dunkerque, est spécialisée dans le teillage du lin, action qui consiste à séparer les produits de la plante : la fibre, la graine, la poussière et les anas de lin, la partie bois de la tige. « Le teillage est une action mécanique, on n'utilise aucun produit chimique dans le processus » explique Julien Gilliot, chargé du projet à la coopérative et ingénieur spécialisé dans les matériaux composites. Si le liniculteur s'intéresse à la fibre principalement pour l'industrie textile, Bâtilin, de son côté, utilise les anas pour en faire des briques pour le secteur de la construction.  « Nous récupérons 15 000 tonnes par an de cette matière, ce qui représente de gros volumes. Nous nous sommes demandé comment les valoriser. Nous avons travaillé avec le centre technique Codem à Amiens, spécialisé dans les matériaux biosourcés pour le bâtiment » raconte Julien Gilliot. Ce centre technique a révélé de très bonnes qualités d'isolation pour ces anas de lin.

Bâtilin fabrique des blocs, sortes de briques qui servent à la construction, en neuf ou rénovation. « En rénovation, on vient les mettre en doublage par rapport à la paroi existante, en intérieur ou extérieur. Pour le neuf, on construit un système de poteau/poutre, en béton ou en bois, qui sert de structure porteuse puis la brique vient en remplissage » décrit l'ingénieur. En plus de sa capacité isolante, ce bloc permet de réguler le surplus d'humidité, dans un mur ou une salle de bains. Troisième atout : le déphasage. Sa masse étant plus importante que celle d'une laine minérale, il est capable de stocker la chaleur, ce qui permet de conserver un habitat plus frais plus longtemps. « Ça rappelle l'action des vieux murs épais en pierre des maisons d'autrefois » compare Julien Gilliot. En ville, où l'espace est chiche et le mètre carré très cher, l'épaisseur des blocs sera de 10 cm pour la rénovation, mais jusqu'à 30 cm pour le neuf, soit un mur qui isole du froid l'hiver et rafraîchit l'été.

La brique de lin apporte au logement à la fois un confort thermique et une isolation phonique. Le tout avec un matériau cultivé localement et fabriqué sans énergie grise. Bâtilin va démarrer deux chantiers pilotes avec des bailleurs sociaux de la région Hauts-de-France : l'un pour la construction de quatre habitations avec Flandres Opale Habitat, et l'autre en rénovation avec SIA Habitat pour des maisons minières classées au patrimoine historique. Ces deux chantiers permettront de tester les capacités de ce nouveau matériau isolant et vont servir de référence pour décrocher le précieux avis technique du CSTB (Centre Scientifique et technique du bâtiment), sans lequel aucune assurabilité n'est possible. « Sans cette certification, on s'adresserait à un marché très réduit d'autorénovation. Or, nous voulons massifier notre produit » précise Julien Gilliot, qui perçoit une demande grandissante pour ses briques de lin. Bâtilin est soutenu par l'Ademe, Bpifrance et la Région Hauts-de-France et s'est récemment rapproché des groupes Vermeulen, qui distribue granulats et béton, et Sylvagreg, une société de BTP. « Notre produit, avec son bilan carbone négatif, répond parfaitement aux normes de la Réglementation Environnementale 2020. Je pense que nous arrivons au bon moment » conclut l'ingénieur.

L'ATOUT BAMBOU (LA MAISON DES BAMBOUTIERS EN CENTRE-VAL-DE-LOIRE)

 En Asie, il n'est pas rare de voir des échafaudages en bambou de plusieurs dizaines de mètres de haut monter à l'assaut des gratte-ciel. À la fois plante et arbre, le bambou est léger, souple et très résistant. Selon l'association Architecture et Développement, sa fibre peut supporter un poids de 40 kg par millimètre carré, contre 5 kg pour la fibre de bois et 37 kg pour le fer de construction. Mais si les habitations en bambou sont courantes dans les pays tropicaux - à Bali, le cabinet Ibuku construit d'impressionnantes et très design habitations avec ce matériau - il n'en existe pas encore en France. Pourtant, les atouts de cette herbe géante à la croissance rapide sont nombreux. Le bambou est résistant à la combustion, aux insectes, aux moisissures et même aux termites. Il peut remplacer avantageusement le bois pour la construction : une maison en bambou requiert seulement l'équivalent de sa surface en fibres contre environ un demi-hectare de forêt pour une maison en bois. C'est aussi une plante aux vertus environnementales reconnues. À surface de culture égale, le bambou produit plus d'oxygène que les feuillus et capte trois fois plus de carbone (jusqu'à 60 tonnes à l'hectare selon les espèces). Il fixe les métaux lourds, filtre les nitrates et les eaux usées, et son réseau de racines ralentit l'érosion des sols. « Même d'importation, le bambou dégage moins de CO2 que le bois » ajoute Alaric Pessel, créateur du site lamaisondesbamboutiers.fr, sur lequel il propose des chapiteaux, des pergolas et clôtures mais pas de maisons entières. « C'est un matériau qui demande un séchage optimal sous peine de se fendre et qui va griser rapidement en usage extérieur. C'est pourquoi je préfère l'utiliser à l'intérieur, comme charpente ou ossature, avec une isolation en sarking (méthode d'isolation thermique externe) avec des matériaux biosourcés tels que la paille, la fibre de bois ou le chanvre » précise Alaric Pessel. Le lamellé-collé de bambou peut aussi remplacer le bois pour les parquets, les terrasses ou le bardage comme le propose la société Moso. L'obstacle majeur à l'existence d'une maison 100 % bambou vient de l'absence de garantie décennale de construction pour ce matériau. « Sans elle, les banques ne prêtent pas. Et le client potentiel aura également du mal à trouver un assureur » regrette Alaric Pessel. Le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) n'a délivré à ce jour qu'un unique avis technique pour les parquets de Moso, et les assureurs évitent les matériaux qui ne possèdent pas les précieux avis. Également patron de la société de menuiserie Extra Renov', son activité principale, Alaric Pessel attend que la filière se développe et, surtout, que la réglementation évolue. Pour lui, le bambou possède un potentiel énorme comme matériau répondant aux nouvelles exigences environnementales. La plante crée son propre écosystème : les feuilles tombent, font de l'humus et on peut même installer un élevage de poules ou de canards pour disposer d'un engrais naturel. Les feuilles sont utilisées pour produire de la biomasse, la fibre pour du lamellé-collé. L'intérêt pour le bambou croît aussi vite que sa tige. Alaric Pessel reçoit de nombreuses demandes de toute la France et même de l'étranger auxquelles il ne peut répondre : « Je voulais en faire ma carrière mais pour l'instant c'est trop compliqué. Il faudra sans doute une dizaine d'années pour que ça avance vraiment. » Ou peut-être moins, grâce au futur Institut des Biotechnologies Appliquées au Bambou Européen (IBABE) que veut construire François Puech, pionnier du bambou de construction qui a conçu et homologué les mâtures de chapiteaux en bambou entre 1995 et 1998. Pour cet expert, « le bambou, grâce à sa fibre, est en passe de devenir le biomatériau de demain ».

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T La Revue n°11

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Commentaires 3
à écrit le 06/11/2022 à 18:33
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De toute évidence ces matériaux de construction sont beaucoup trop polluants pour les troglodytes verts...

à écrit le 06/11/2022 à 9:04
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A l'heure actuelle on ne sait plus construire durable en pierre ou beton . Continuez a faire des maisons en bois , en carton traité qui ne tiendrons que 20 ou 30 ans qui prendront l'eau ou s'envoleront des qu'il y aura du vent comme ce que l'on voit...

le 06/11/2022 à 16:39
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@b4b4En partie faux pour le bois. Si la construction est faite par un empilement de rondins ou de madriers sur rainures et languettes et que le toit est très lourd (idéal en lauzes), la maison, généralement un chalet, est quasiment indestructible.L...

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