"Bedycasa a moins d'hébergeurs qu'Airbnb, mais veut miser sur la qualité"

Cours d'espagnol, de danse, de peinture, atelier de vannerie... le site d’hébergement chez l’habitant Bedycasa compte sur l’immersion et les services personnalisés pour offrir un voyage “différent“ et conserver sa niche malgré l’explosion d’Airbnb. Cuba fait partie de ses destinations phare, comme l'explique la fondatrice du site Magali Boisseau.
Marina Torre
Magali Boisseau : "Avant BedyCasa j'ai créé Worldfamily, le nom de l'entité juridique de Bedycasa. J'ai envoyé une newsletter tous les vendredis en anglais, en espagnol et en français. J'ai appris à coder sur le tas. Je n'avais aucune idée de là où j'allais. "

Visiter une usine de cigares à La Havane? C'est devenu l'un des passages obligés du touriste version "voyage de masse" à Cuba, au même titre que la balade à dos de dromadaire au Maroc ou de la visite du vrai/faux village nubien en Egypte.

Chez "Bedycasa", ce site d'hébergement temporaire collaboratif montpelliérain, cette visite fait également partie des services proposés par certains des hôtes membres du réseau. Mais, comme ce sont des "locaux" qui l'organisent, la promesse serait bien différente. Une forme d'ultra-personnalisation du voyage chez l'habitant que la plateforme tente désormais d'industrialiser. Magali Boisseau, la fondatrice du site qui compte aujourd'hui une quinzaine d'employés, explique ce qu'elle compte faire de son modèle.

La Tribune - Vous dites avoir lancé Bedycasa en même temps qu'Airbnb. Mais comment l'idée vous est-elle venue ?

Magali Boisseau - J'ai eu l'idée à 14 ans quand je suis partie près de Bath en Angleterre dans le cadre d'un voyage linguistique. J'ai vécu une expérience formidable. Ma meilleure amie qui se trouvait dans une autre classe ne partait pas pour des raisons de budget. Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose pour que l'on ouvre cela à plus de personnes. J'avais vécu une belle aventure mas ce n'était pas le cas de tout le monde. Ensuite, pendant mes études, j'ai toujours voyagé chez l'habitant. Je construis donc mon réseau depuis mes 14 ans. Avant BedyCasa j'ai créé Worldfamily, le nom de l'entité juridique de Bedycasa. J'ai envoyé une newsletter tous les vendredis en anglais, en espagnol et en français. J'ai appris à coder sur le tas et je n'avais aucune idée de là où j'allais.

"Le voyage linguistique, un marché très fragmenté"

Comment comptez-vous investir le créneau du voyage linguistique ?

Nous sommes en train de créer un réseau avec les écoles de langue au niveau mondial. Nous travaillons sur une plateforme BtoB pour intégrer ces séjours linguistiques que nous proposons depuis le début chez Bedycasa mais de façon individuelle. C'est un marché très fragmenté, qu'il faut organiser. C'est long mais nous sommes quasi seuls sur ce marché.

Avec quelles écoles de langues allez-vous travailler pour votre nouvelle plateforme, EF par exemple?

Nous sommes en discussion avec EF. Nous essayons de construire des choses avec des petites structures, puis nous irons voir les plus grands.

Où êtes-vous présents principalement ?

Dans 162 pays, principalement en France, Espagne, Italie, Grande-Bretagne, Portugal, et surtout Cuba où nous sommes très fortement ancrés depuis le début. Cette destination fait partie de notre top 10. Nous connaissons bien les hébergeurs à Cuba. Ce lien de proximité apporte un gage de confiance aux voyageurs.

Quels services personnalisés y proposez-vous ?

Nos Cubains et nos Andalous proposent des choses hallucinantes !  En Andalousie, des cours de flamenco comme jamais on ne les vivrait ailleurs. Certains prêtent leurs costumes de flamenco. Les Japonais en sont très friands. D'autres hébergeurs font goûter la paëlla dans leur jardin, proposent des cours de langue espagnole ou bien des ateliers de loisirs créatifs. Ils montrent par exemple comment confectionner un panier avec l'herbe de la Sierra Nevada... des choses atypiques que l'on ne retrouve pas dans les guides touristiques. De même à Cuba, on peut visiter des usines de cigares.

L'usine de cigares, c'est un peu un passage obligé dans les circuits des tours operators, en quoi les visites par vos hébergeurs sont-elles différentes ?

Mais là, c'est organisé du point de vue de l'hébergeur et non pas avec la foule. C'est un circuit bien plus personnalisé.

"Nos hébergeurs vont refuser des Français"

A part cela, que proposent vos hôtes cubains?

Il y a dix ans encore, on ne trouvait aucun produit artisanal; aujourd'hui, les Cubains évoluent et proposent de plus en plus aux voyageurs de confectionner, avec eux, certains produits "faits maison" qu'ils vont ensuite remporter dans leur valise comme des objets en terre cuite, des bijoux fabriqués avec des couverts comme des fourchettes ou encore des cuillères. Comme les Cubains manquent de tout, ils inventent eux-mêmes les produits et le résultat est parfois spectaculaire. Certains proposent aussi d'emmener leurs voyageurs à la pêche avec eux, donnent des cours de salsa cubaine ou de peinture. Les Cubains sont de véritables artistes. C'est encore marginal et ces hébergeurs sont souvent pris d'assaut mais c'est ce qui fait toute la différence entre un séjour 'classique' et un séjour 'insolite'.

Comment l'amélioration des relations avec les Etats-Unis affecte-t-elle votre activité là-bas?

Cela va clairement l'impacter car nos hébergeurs recevront des réservations d'Américains et vont refuser celles des Français : le pays n'est pas extensible. Par conséquent, les mêmes hébergeurs vont se retrouver sur plusieurs plateformes. Le point positif est que cette ouverture va clairement améliorer les conditions de vie des habitants mais le point négatif est que cela va se faire au détriment de toute leur richesse culturelle. Nous avons l'habitude, tout comme les petites agences locales, de beaucoup communiquer avec nos hébergeurs cubains qui n'ont pas Internet (seul 4% des Cubains disposent d'une connexion à internet) et ont souvent besoin de comprendre comment le voyageur européen fonctionne. Ils comptent beaucoup sur nous pour gérer leurs réservations.

Comment les hébergeurs sont-ils rémunérés pour ces services supplémentaires ?

Les hébergeurs proposent déjà des services : des cours de langues, des repas chez l'habitant, des ateliers et parfois des transferts, cela s'affiche sur leur profil. Pour les langues, cela coûte en moyenne 10 euros par heure, bien moins cher qu'ailleurs. Pour ces services, les hôtes sont rémunérés directement par ceux qu'ils accueillent pour l'instant, mais comme ce n'est pas organisé, la relation humaine avec l'argent n'est pas évidente parce que l'hébergeur hésite à demander l'argent au voyageur. Il offre souvent le repas par exemple. Or, ils ont quand même besoin d'augmenter leur pouvoir d'achat ou de rembourser leur crédit. Nous souhaitons organiser la transaction via un formulaire de confiance. Nous créons un partenariat avec un autre site, Vreasy, dont c'est le métier, afin de proposer cela de façon légitime et légale. Nous ne sommes pas une agence de voyage.

"Nous avons arrêté de lever des fonds"

Dans le modèle collaboratif, certains propriétaires sont tentés de faire de la location une profession. Comment préserver la spécificité de votre offre si vous grandissez trop ?

Oui, certains veulent le faire de façon industrielle, mais ça ne fonctionne pas. Nous avons moins d'hébergeurs qu'Airbnb, et de toute façon nous ne pouvons pas nous comparer à eux. Mais nous voulons miser sur la qualité. Nos marges augmenteront car nous allons ajouter des services. Surtout, nous voulons être rentables, la frénésie des levées de fonds, cela fonctionne un moment mais nous sommes tout de même une entreprise classique et toute entreprise doit être rentable. C'est notre objectif cette année. Nous avons arrêté de lever des fonds - ça me prenait 10 mois sur 12... Maintenant je me rapproche de mes équipes, de mes clients et nous sommes beaucoup plus sereins.

Pendant les voyages, le séjour chez l'habitant n'est pas le seul mode d'hébergement. Allez-vous proposer des solutions pour faire le pont entre les deux ?

C'est vrai, les voyageurs mixent hôtels et hébergement chez l'habitant, je le fais souvent moi-même. Cela correspond à l'évolution des mentalités. Car cela permet de mêler confort, calme, indépendance dans des hôtels standardisés à une partie imprévue qui ponctue le voyage. Je n'ai jamais vécu aussi intensément que quand j'ai mélangé les deux lors de mes voyages. Mais, pour l'instant, non, nous ne faisons pas de pont entre les deux. Notre métier, c'est l'hébergement, pas l'hôtellerie.

Marina Torre

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