Avec l'apport de 4 milliards d'euros de prêts bancaires garantis à 90% par l'Etat français et un prêt de ce dernier de 3 milliards d'euros à Air France-KLM, sa maison-mère, Air France a désormais les liquidités suffisantes pour passer la crise du Covid-19, affronter la reprise et financer sa restructuration. Comme l'ont indiqué vendredi Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des finances, et Ben Smith, le directeur général d'Air France-KLM, ces prêts devront être remboursés.
"Ce n'est pas un chèque en blanc", ont-ils insisté vendredi, le premier au "20 heures" de TF1, le second dans un message vidéo adressé aux salariés.
Explosion de la dette
Ces prêts pourront-ils vraiment être remboursés ? La compagnie aérienne aura-t-elle les capacités de rembourser une dette qui va exploser à un niveau inédit, au moment où l'activité n'aura probablement pas retrouvé son niveau d'avant crise ? La question se pose. La maturité du prêt bancaire de 4 milliards d'euros est de 12 mois avec deux options d'extension d'un an consécutives, et Ben Smith ne prévoit pas de retrouver un niveau de capacités équivalent à celui de 2019 avant 2022. Ceci alors que les investissements devraient être maintenus à un niveau relativement élevé (même s'ils se feront probablement de manière lissée) pour prendre livraison d'un certain nombre d'avions neufs (A350, A220) afin de respecter les contraintes environnementales du sauvetage. C'est là tout l'enjeu du plan de restructuration drastique que prépare la direction d'Air France-KLM et d'Air France. Baisse des coûts fixes, diminution des fonctions supports, restructuration du réseau domestique, la compagnie veut se transformer. La baisse d'activité combinée aux effets des gains de productivité liés aux mesures prises vont entraîner un fort sureffectif. Dans un message envoyé jeudi aux salariés, Anne Rigail, la directrice générale d'Air France, a fait état de plans de départs volontaires.
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Augmentation de capital de plusieurs milliards d'euros
Le prêt de l'Etat de 3 milliards d'euros a quant à lui une maturité plus longue, de quatre ans avec deux options d'extension d'un an consécutive. Il interpelle. Présenté vendredi par Bruno Le Maire comme un prêt direct à Air France, il s'agit en fait d'un prêt d'actionnaire accordé à Air France-KLM, la maison-mère d'Air France (et de KLM), dans laquelle l'Etat français est le plus gros actionnaire avec 14,3% du capital, talonné de près par l'Etat néerlandais (14%).
Surtout, avec "l'opération de renforcement des fonds propres" qu'envisage Air France-KLM au plus tard en mai 2021 (si bien sûr les conditions de marché le permettent), la question de son remboursement se pose aussi. Car l'Etat français participera à cette opération qui vise à améliorer le bilan financier du groupe, lequel sera fortement dégradé en raison d'un endettement massif.
"L'Etat français a indiqué son intention d'examiner les conditions de sa participation", a précisé vendredi Air France-KLM dans un communiqué.
Pour rappel, un renforcement des fonds propres peut notamment se faire par une augmentation de capital en numéraire, par une conversion de tout ou partie d'une créance en actions, ou par une combinaison de ces deux procédés.
Evoquée depuis longtemps en coulisse, une augmentation de capital du groupe est attendue par les investisseurs qui la jugent indispensable et l'estiment à "plusieurs milliards d'euros". Elle devra être d'autant plus élevée que les investissements risquent de rester élevés au cours des prochaines années, explique un analyste.
Or, l'Etat français pourra y participer en convertissant tout ou partie de sa créance en actions dans le capital du groupe. Auquel cas, sa contribution à l'augmentation de capital correspondra au niveau du montant de la créance abandonnée. Selon nos informations, ce scénario est bel et bien l'une des pistes évoquées dans l'hypothèse du lancement de cette opération.
"Le prêt d'actionnaire à la maison-mère et l'annonce de l'intention de l'Etat de participer au renforcement des fonds propres actent quasiment cette option", explique un très bon connaisseur du dossier, pour qui, "il semble logique qu'une partie du prêt de l'Etat ne soit jamais remboursée".
Ce prêt d'actionnaire ne pouvait se faire qu'au niveau d'Air France-KLM dans lequel l'Etat est actionnaire, et non au niveau d'Air France où il ne l'est pas.
Ce type de recapitalisation n'est pas une première dans le groupe. Au cours de la dernière décennie, Air France en a déjà bénéficié deux fois de la part de son actionnaire Air France-KLM. En 2015 par exemple, Air France-KLM avait recapitalisé en catimini Air France en convertissant une créance en augmentation de capital d'un montant de 760 millions d'euros.
Discussion entre les actionnaires
Reste à voir si l'opération se fera et de quelle manière. Et si elle se fait, quelle sera l'attitude des autres actionnaires ? Et en particulier l'Etat néerlandais. Vendredi, le ministre néerlandais des finances, Wopke Hoekstra, a déclaré qu'il y aurait une "conversation" entre les actionnaires sur la future augmentation de capital.
Selon un observateur, s'il ne veut pas laisser l'Etat français renforcer son poids dans le groupe, l'Etat néerlandais est obligé de participer, même si son entrée l'an dernier dans le capital d'Air France-KLM est critiqué aux Pays-Bas. Si tel est le cas, il ne pourra participer que sous la forme d'une augmentation de capital en numéraire. Dans la mesure où ils prévoient des prêts à KLM, les Pays-Bas ne pourront pas de facto convertir de créance à Air France-KLM.
Quant aux deux autres partenaires industriels, Delta Air Lines et China Eastern, actionnaires chacun à 8,3%, ils risquent d'avoir plus de difficultés à participer à une recapitalisation. Pas sûr en effet qu'ils aient reconstruit leur trésorerie d'ici un an. S'ils ne suivent pas, ils seraient ainsi dilués.
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