Crédit immobilier : la Banque de France cède sur le taux d'usure mensuel dans un marché en berne

Sous la pression des professionnels du crédit immobilier mais aussi de Bercy, la Banque de France va déroger du 1er février au 1er juillet au calcul trimestriel du taux d’usure pour mieux lisser la remontée des taux chaque mois. Une décision prise alors que le marché du crédit immobilier donne des signes d’effondrement en fin d’année, selon l’Observatoire du Crédit Logement/CSA.
La chute de la production du crédit immobilier au quatrième trimestre renvoie à la crise financière de 2008, selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA.

Un simple ajustement technique mais au prix d'une longue bataille : la Banque de France a finalement accepté, comme la loi l'y autorise en cas de « circonstances exceptionnelles », de procéder à un « ajustement technique » du taux d'usure - le taux plafond pour un crédit (frais et assurances compris) - qui sera donc, temporairement, calculé tous les mois, et non plus chaque trimestre.  Et ce à compter du 1er février et jusqu'au 1er juillet prochain.

C'est l'idée qui avait été avancée la semaine dernière lors d'une réunion entre les professionnels du crédit, Bercy et la Banque de France.

Objectif : « lisser » les relèvements du taux d'usure afin de « fluidifier » le marché du crédit immobilier dans une période de forte remontée des taux. Il s'agit donc d'appliquer le même calcul du taux d'usure, selon la règle des 4/3 (moyenne des taux constatés sur les trois derniers mois, augmentée d'un tiers) - une règle « qui a fait ses preuves depuis 1996 » - souligne-t-on à la Banque de France, mais chaque mois pour éviter « une trop grosse marche d'escalier en fin de trimestre », pour reprendre l'expression du gouverneur de la Banque de France, François, Villeroy de Galhau, au profit de « trois petites marches chaque mois ». A charge pour les réseaux de faire descendre l'information chaque mois aux conseillers en agence.

Baisse de profitabilité

Avec la rapide envolée des taux de marché à partir de l'été, les banques ont été confrontées à une forte dégradation de la profitabilité de la production de crédit car elles ne pouvaient pas ajuster leur taux de crédit aussi vite que les taux de marché, compte tenu du taux de l'usure. Résultat, les banques avaient de plus en plus tendance à « geler » les dossiers de crédit en fin de trimestre pour attendre le prochain relèvement du taux d'usure.

« Cet ajustement aura un avantage, celui de diffuser plus progressivement la hausse des taux », estime Jean-Marc Vilon, directeur général de Crédit Logement, un établissement interbancaire spécialisé dans la caution de prêts immobiliers aux particuliers. Ce dernier avait d'ailleurs constaté une forte hausse des demandes de caution après chaque relèvement du taux d'usure dans un mouvement de « déstockage » des dossiers.

Les courtiers en crédit immobilier, qui sont les premiers à encaisser les fluctuations du marché, avaient d'ailleurs alerté les pouvoirs publics depuis près d'un an du danger de ce mouvement de « stop and go », réclamant une réforme du taux d'usure. Sans succès, jusqu'ici, ni du côté de Bercy, et encore moins du côté de la Banque de France.

Pire année depuis 2008 !

Mais par un surprenant volte-face la Banque a donc décidé de déroger à la règle pour mettre en place un taux d'usure mensuel, sans toutefois revenir sur la formule de calcul. C'est surtout l'ampleur de la baisse du marché de l'immobilier qui inquiète les autorités. « . « Nous sommes sur des baisses d'activités qui commencent à être visibles même du côté de Bercy », ironise un spécialiste du secteur. Avec même un effondrement en fin d'année sur certains segments de marché, comme la maison individuelle neuve.

Les derniers chiffres de l'Observatoire Crédit Logement/CSA, sur le quatrième trimestre 2022, sont d'ailleurs sans appel, avec une chute de 35% de la production de crédit immobilier sur la période, et même de 44% sur le mois de décembre (en trimestriel glissant).

« Nous terminons l'année 2022 comme pratiquement jamais nous l'avons vu par le passé. La chute de la production du quatrième trimestre s'est amplifiée et elle nous ramène à la crise financière de 2008 », commente ainsi Michel Mouillart, professeur des Universités et directeur scientifique de l'Observatoire. Le repli de la fin de l'année 2022 a même été « plus important que celui constaté lors du premier confinement en 2020 », ajoute l'économiste. Au total, la baisse de la production serait de l'ordre de 20 % en 2022 à 180 milliards d'euros, selon les estimations de l'Observatoire.

Ce sombre tableau, que l'Observatoire avait d'ailleurs commencé à dresser dès le printemps dernier, tranche singulièrement avec celui de la Banque de France (voir encadré) qui, dans sa dernière publication, relève un marché du crédit immobilier à un plus haut historique (hors année 2021), même si un début de normalisation se fait jour au second semestre, avec une accélération en décembre. Selon les prévisions de la Banque de France, le crédit immobilier ne devrait se contracter que de 3 % en 2022, à 218 milliards d'euros.

Retournement de tendance

A l'origine de cette chute de la production,, selon l'Observatoire : la baisse de la demande mais aussi de l'offre. « Nous sommes passés d'un régime de dépression de la demande au premier semestre à un régime partagé de moindre demande et de moindre offre », observe Michel Mouillart. Même si, ajoute ce dernier, les banques se sont efforcées d'atténuer la hausse des taux sur les clientèles de moins de 35 ans, y compris les plus modestes, qui constituent, il est vrai, le moteur du marché immobilier, « l'avenir de la profession ».

L'année 2022 aura été tout à fait exceptionnel avec à la fois un moral des ménages au plus bas depuis 1972 et des taux de crédits immobiliers corrigés de l'inflation... au plus bas depuis 1950 ! Pourtant, les taux immobiliers ont continué de monter au quatrième trimestre, selon l'Observatoire, avec un taux moyen de 1,63 % pour terminer l'année à 2,34% (contre 1,06% un an plus tôt). Cette remontée s'est faite en plusieurs étapes, notamment lors de l'augmentation trimestrielle du taux d'usure, qui se traduit par une augmentation des taux pratiqués d'environ 20 points de base.

« Les taux de crédits immobiliers vont continuer à progresser en 2023 », prévient Michel Mouillart, de l'ordre de 120 points de base, avec un taux moyen de 2,85%, soit un taux moyen en décembre prochain qui devrait atteindre le fameux seuil de 3%. Autrement, les offres de crédit à 3 % devraient se multiplier au quatrième trimestre, mais les taux devraient amorcer une décrue en 2024, pour revenir à 2,2% en moyenne à la fin 2024.

Sur le neuf et l'ancien, tous les clignotants sont au rouge, avec des baisses d'activités. Et vu les prévisions pour l'année 2023, rien de permet d'espérer un retournement de tendance en 2023. Y compris la réforme du taux d'usure. « Cette réforme ne va rien changer sur la dynamique propre du marché », avance l'expert.

Structure de production inédite

Pour combler une partie de la hausse des taux, les emprunteurs ont continué d'allonger la durée de leur crédit à des niveaux jamais atteints, soit 248 mois en moyenne. « Au cours des 20 dernières années, la durée moyenne d'un crédit a augmenté de sept ans. C'est considérable. Et c'est aussi pourquoi nous avons des encours de crédit immobilier qui continuent de progresser sur des rythmes soutenus malgré la chute de la production », explique Michel Mouillart.

Aujourd'hui, 65% de la production de crédit immobilier concerne des maturités de plus de 20 ans, contre 20% en 2012. L'allongement des durées n'est cependant pas uniforme pour toutes les catégories d'emprunteurs. Il a été ciblé en priorité sur les clientèles jeunes recherchées par les réseaux bancaires.

Mais l'allongement des durées n'est plus suffisant pour couvrir la montée des taux et la hausse des prix immobiliers, ce qui se traduit par une « augmentation spectaculaire » des apports personnels (+43% depuis la fin 2019). A ce jeu, ce sont bien sur les plus modestes qui souffrent le plus avec un apport personnel qui équivaut à ... 7 mois de revenus.

Au total, l'Observatoire note une surface achetable qui recule avec la hausse des taux, des revenus des ménages en berne et une hausse des prix dans pratiquement toutes les villes. Au tant d'éléments qui ne devraient pas participer à un rebond de la production même si ce choc des taux et de la demande commence à affecter les prix de l'immobilier, qui commencent à se stabiliser, voire à baisser dans certaines grandes villes comme Paris ou Lyon.

ZOOM - La bataille des chiffres

Plus haut historique ou pire année depuis 2008 ? Depuis l'été dernier, la divergence d'opinion entre deux sources de référence pour le crédit immobilier, la Banque de France d'une part, et l'Observatoire Crédit Logement/CSA, ne cesse de s'amplifier, aboutissant à une lecture du marché très différente. La Banque de France ne nie pas le problème. Pour elle, la différence provient avant tout du périmètre limité de Crédit Logement, qui ne travaille qu'avec une partie des banques (entre 30 et 50% du marché), notamment les banques commerciales, qui auraient fortement réduit leur production au second semestre alors que les poids lourds mutualistes (Crédit Agricole, Crédit Mutuel), qui ont pu avoir recours à la caution, auraient maintenu, voire augmenté leur production.

Du côté du Crédit Logement, on explique cette différence par une base différente de données. Alors que la Banque de France prend en compte uniquement les crédits signés et décaissés, Crédit Logement intervient bien en amont lors de l'offre de crédit accordé. Or, entre l'acceptation de l'offre et le décaissement effectif du crédit, il peut se passer trois ou quatre mois, voire plus (notamment avec le taux d'usure). « Nous avons des visions différentes du marché, très sur la moyenne pour la Banque de France, plus proche de la réalité du marché à l'instant T pour nous », explique Michel Mouillart, directeur scientifique de l'Observatoire.

Ce décalage d'observation de la réalité du marché pose problème, selon le courtier en ligne Pretto : « cela a retardé la prise de conscience des inefficiences du marché  pourtant anticipées ».

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Commentaires 2
à écrit le 21/01/2023 à 11:43
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tripatouillage! quand les taux vont rebaisser, on changera de nouveau la regle pour permettre a plus de gens de s'endetter rapidement?

à écrit le 21/01/2023 à 9:41
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En France, le corporatisme est une religion. Un peu comme les francmac, les communistes, voir davantage. Tout pour reculer de toute facon, dont acte.

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