Banques et fintech : après la concurrence, le temps des alliances

Les startups de la finance, en quête de nouvelles sources de revenus, proposent aux acteurs traditionnels d'utiliser leurs briques technologiques pour développer de nouveaux services à destination de leurs clients ou pour gagner en efficacité opérationnelle.
Juliette Raynal
A la peine dans leur conquête de nouveaux clients particuliers, nombre de fintech préfèrent développer des offres destinées aux acteurs professionnels de la banque et de l'assurance.
A la peine dans leur conquête de nouveaux clients particuliers, nombre de fintech préfèrent développer des offres destinées aux acteurs professionnels de la banque et de l'assurance. (Crédits : iStock)

Coopérer plutôt que concurrencer. C'est la stratégie vers laquelle se tournent de plus en plus de fintech, ces startups qui entendent réinventer la finance à l'aide des technologies. Lors de leur émergence, il y a une petite dizaine d'années, beaucoup d'entre elles ont développé des produits destinés au grand public. C'est le cas, par exemple, de l'appli d'agrégation de comptes Bankin', qui permet à ses 2,9 millions d'utilisateurs d'avoir une vision globale de leurs avoirs pour mieux gérer leur budget, de la startup Lydia, qui facilite le paiement entre particuliers, ou encore des robots conseillers comme Yomoni et Nalo, qui proposent des solutions d'épargne en ligne.

Combler un déficit de notoriété

Malgré le caractère innovant des services proposés, ces nouveaux entrants doivent faire face à un écueil majeur : leur déficit de notoriété. Encore aujourd'hui, seuls 12% des Français ont déjà entendu parler des fintech. Parmi eux, une infime partie (4%) sait précisément de quoi il s'agit, selon une étude réalisée par le cabinet Mazars et OpinionWay en janvier dernier. Un inconvénient de taille dans un univers où la notion de confiance est centrale. À cela s'ajoutent l'absence d'un réseau de distribution et une difficile monétisation des services proposés.

« Il s'agit d'une industrie difficile à bousculer. Les plus gros handicaps des banques sont leurs actifs, mais ils constituent aussi leur principal avantage. Les agences bancaires restent un vecteur clé d'acquisition », analyse Lionel Aré, directeur associé senior du BCG, responsable mondial des activités digitales et spécialiste du secteur bancaire.

Pour faire connaître leur marque au plus grand nombre et séduire de nouveaux utilisateurs, de surcroît très fidèles à leur banque (selon un sondage de l'association UFC-Que Choisir, sept particuliers sur dix sont clients de leur banque traditionnelle depuis plus de vingt ans), les fintech, surtout les néobanques, sont contraintes d'investir des sommes colossales dans le marketing. Des dépenses forcées, qui expliquent les méga-levées de fonds du secteur. En moins d'un an, la néobanque allemande N26 a levé 460 millions de dollars. Sa concurrente britannique, Revolut, en a levé 250 millions. Toutes les deux visent 100 millions d'utilisateurs.

Plutôt que de s'essouffler dans cette course aux volumes pour espérer devenir rentables, certaines jeunes pousses ont choisi de développer en parallèle une activité B to B, en proposant leurs briques technologiques à d'autres institutions financières, celles qu'elles souhaitaient concurrencer initialement, ou à d'autres acteurs non bancaires. « Une majorité de mes membres opèrent une activité "B to B" », témoigne Alain Clot, président de l'association France FinTech.

« La nature de leurs partenaires se diversifie. Il y a les banques bien sûr, mais aussi les assureurs, les acteurs des télécoms, de la grande distribution, les groupes technologiques et les fintech entre elles », poursuit-il.

C'est la stratégie, notamment, de la startup parisienne Bankin', qui a développé une offre à destination des établissements bancaires et des métiers de la finance sous la marque Bridge. La startup compte aujourd'hui plusieurs dizaines de clients, dont des géants de la comptabilité comme Sage, mais aussi des banques comme Milleis (ex-Barclays France) et Oddo BHF Banque privée, ainsi que plusieurs fintech.

« Notre technologie, qui permet de récupérer la donnée bancaire, de la nettoyer et de l'enrichir en la catégorisant, rend possible en quelque sorte la production comptable. Autre exemple : dans le cadre d'une demande de crédit, la banque n'a plus besoin de demander aux clients le PDF de leurs relevés bancaires et de saisir manuellement les informations. Cela permet de réduire significativement les délais de réponse », illustre Joan Burkovic, le dirigeant de Bankin'.

La startup entend multiplier par trois le chiffre d'affaires généré par cette activité, qui représente aujourd'hui une source de revenus significative, mais non majoritaire.

Coopération qui satisfait les deux mondes

À Younited Credit, spécialiste français du prêt à la consommation, le virage vers le B to B est plus net encore. Depuis un an et demi, la startup multiplie les partenariats avec des acteurs bancaires et non bancaires pour les aider à développer des offres de crédits : Bpifrance pour une offre de crédit aux TPE, la néobanque N26 ou l'opérateur Iliad Free. « En 2018, 5% de nos revenus provenaient de notre activité "B to B". Cette part est montée à 20% en 2019 et, à court terme, le "B to B" va supplanter le "B to C" », a déclaré Geoffroy Guigou, cofondateur de la fintech, lors d'une conférence organisée par l'association Acsel.

Cette stratégie s'observe ailleurs en Europe. Exemple avec le suédois Tink. Après avoir lancé une application d'agrégation de comptes bancaires grand public en 2013, la société basée à Stockholm commercialise des briques technologiques aux banques et autres institutions financières. La fintech, active dans neuf pays européens, compte parmi ses clients la banque suédoise SEB, le néerlandais ABN AMRO ou encore BNP Paribas Fortis en Belgique.

Fidor, la banque communautaire allemande, que cherche à revendre BPCE après l'avoir acquise en juillet 2016, réalise désormais 90% de son chiffre d'affaires via sa branche B to B. Elle aussi a bâti une plateforme bancaire articulée autour de plusieurs briques technologiques, appelées des API, qu'elle commercialise auprès des acteurs de la banque mobile au Moyen-Orient et en Asie du Sud.

« Les sujets de collaboration évoluent également. Alors qu'ils étaient centrés sur la distribution de services, comme le paiement ou le conseil en investissement, ils remontent désormais dans la chaîne de production et touchent des domaines plus régaliens des banques, comme le KYC [la connaissance du client, ndlr] et la gestion du risque », note Alain Clot.

La startup Neuroprofiler, qui a développé une approche ludique permettant aux conseillers financiers d'évaluer le profil d'investissement de leurs clients (une obligation réglementaire), est aujourd'hui en discussion avec de nombreuses banques.

Cette nouvelle configuration axée sur la coopération semble convenir aux deux mondes : les nouveaux entrants, dans une logique de pragmatisme économique, et les acteurs établis, pour satisfaire le plus rapidement possible les nouvelles attentes de leurs clients.

« L'arrivée des nouveaux acteurs "B to C", même si elle n'inquiète pas les banques, pèse sur l'industrie car elle transforme les attentes des consommateurs sur les prix, les expériences et les nouveaux services proposés. Cela pousse les acteurs traditionnels à reproduire ces nouveaux standards », observe Lionel Aré.

D'après le dernier baromètre publié par le cabinet Deloitte, près de huit Français sur dix seraient intéressés par le fait que leur banque ou leur assurance leur propose un service hors de leur champ d'action naturel, telles la sécurisation des données personnelles sur Internet, la gestion de documents administratifs ou la recherche d'un artisan. « Les résultats du baromètre laissent apparaître la nécessité pour les institutions financières de multiplier les partenariats avec les nouveaux acteurs de services financiers et extrafinanciers, afin de jouer pleinement le rôle d'accompagnateur de vie de leurs clients », conclut Julien Maldonato, associé industrie financière à Deloitte.

Les acteurs financiers en ont conscience et tous mettent en place des stratégies d'open banking (banque ouverte). Selon le PwC Global Fintech Report, ils sont 82%, au niveau mondial, à souhaiter accroître leurs partenariats avec les fintech dans les années à venir. Ce pourcentage grimpe à 90% en France. Reste à trouver les bonnes formules pour coopérer efficacement.

Juliette Raynal

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