"Il faut déconnecter les conflits sociaux de la couleur politique du pouvoir en place"

Une semaine après la séquestration des cadres de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord par la CGT, quels enseignements peut-on tirer de ce qui s'est passé ? Les réponses de Guy Groux, sociologue, directeur de recherche du CNRS au Cevipof et spécialiste des questions syndicales.
"Quand on prend un peu de distance avec ce qui a lieu à Amiens, on constate que ces dernières mois, il y a eu de nombreux accords entre l'Etat et les partenaires sociaux (...) Au final, ce qui vient de se produire va compliquer les choses au niveau de l'usine de Goodyear d'Amiens-Nord uniquement. Mais cela ne va rien changer à l'échelle nationale. Il ne faut pas confondre l'arbre et la forêt", affirme GUy Groux, sociologue et directeur de recherche du CNRS au Cevipof.

Comment interprétez-vous les séquestrations des deux cadres par la CGT de Goodyear d'Amiens-Nord qui ont eu lieu la semaine dernière ?

C'est une usine où la situation est chaude depuis de long mois, il y a une véritable tension sociale et il n'y a donc rien de surprenant à ce qu'on ait assisté à ce type de prolongement. D'autant plus dans le contexte de crise actuelle qui fait le nid de ce type d'action désespérée, mais aussi du tournant social-libéral annoncé par François Hollande il y a quelques jours et qui a crispé les syndicats de salariés.

Est-ce que ce type d'action ne risque pas de s'avérer au final plutôt contre-productif ?

Actuellement, ce mode opératoire ne passe effectivement pas très bien dans l'opinion publique. Cela va donc incontestablement causer du tort à la CGT de Goodyear d'Amiens-Nord, notamment au niveau de son image et cela risque effectivement de s'avérer contre-productif. Au-delà des hommes politiques qui ont quasiment tous condamné cette séquestration, même les autres organisations syndicales de salariés se sont plus ou moins toutes désolidarisées.

Chez FO, Jean-Claude Mailly a affirmé que cette méthode n'était pas la bonne même s'il a précisé que c'était compréhensible. Du coté de la CFDT, Laurent Berger et Edouard Martin ont condamné cette séquestration.

Justement, ce qui vient se passer peut-il avoir des conséquences au niveau des relations entre la CGT et la CFDT ?

Ces organisations ont depuis longtemps deux conceptions différentes du syndicalisme. La CFDT fait partie du clan réformiste qui privilégie la négociation et le compromis tandis que la CGT est davantage dans le rapport de force. Ce qui vient de se produire n'en est qu'une énième illustration.

Maintenant, même si ce qui se passe à l'usine Goodyear d'Amiens-Nord a aujourd'hui une haute valeur symbolique, il s'agit d'un conflit isolé et très localisé. Or, le positionnement de ces syndicats se fait plutôt sur des problématiques d'ordre national. Dernièrement, les accords de compétitivité (ratifiés par la CFDT mais pas par la CGT) et demain le positionnement de l'une et l'autre sur les questions européennes - avec les élections qui se profilent - sont des sujets beaucoup plus clivant et donc plus à même de les éloigner.

Vous l'évoquiez précédemment, la plupart des acteurs politiques ont condamné cette action, hormis la gauche de la gauche. Est-ce que ce qui s'est passé est susceptible d'éloigner plus encore le PS de celle-ci ? 

Non, car chacun a joué sa partition. La gauche de la gauche est dans son rôle en soutenant les grévistes, vu leur proximité idéologique. Et le PS, en étant au pouvoir, défend l'Etat de droit et ne peut évidemment pas soutenir ces actions, qui je le rappelle, relèvent du droit pénal.

Plus globalement, est-ce que cela peut avoir encore d'autres conséquences politiques à moyen et long terme ?

Je ne pense pas. Il faudrait que ce type de conflit se multiplie pour que cela finisse par avoir une réelle incidence sur l'opinion publique et ainsi sur le jeu politique. En 2009, il y a eu de nombreux mouvements de grèves qui étaient violents.

Pourtant, à mon sens, cela n'a en rien joué dans la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle. Le conflit des retraites de 2010 - avec des manifestations tout à fait légales - a certainement eu un tout autre impact en ce qui concerne sa non-réélection.

Est-ce que le fait que le gouvernement soit de gauche est enclin à "faciliter" ce type de situation dans la mesure où les syndicats de salariés les considèrent comme plus proches sur un plan idéologique que pouvait l'être l'UMP?

Au contraire, quand la gauche est au pouvoir, les syndicats font davantage l'économie de ce type d'actions car ils considèrent qu'au sein même du gouvernement, il y a des défenseurs des salariés.

Mais aujourd'hui, il faut bien déconnecter les conflits sociaux de la couleur politique du pouvoir en place. Les mouvements de grèves sont encore une fois aujourd'hui très localisés, indépendants les uns des autres et n'ont pas de rapport direct avec le parti politique qui gouverne.

Vous disiez tout à l'heure que ce type d'action n'avait actuellement pas bonne presse dans l'opinion publique. Pourtant, en 2009 un sondage IFOP-Paris Match indiquait que 63% des personnes interrogés comprenaient ce type de séquestration sans les approuver…

Oui, car si certains mouvements - tels que les manifestations des cheminots - sont impopulaires, l'opinion publique est généralement plutôt favorable aux manifestations qui touchent à l'emploi, d'autant plus lorsque ce sont des ouvriers qui se battent pour conserver leur travail. Ce qui vient de se passer chez Goodyear faisant exception.

Plus globalement, il faut se rappeler que dans les années 1960-1970, ce type d'action - occupation d'usine, séquestration de cadres - était presque coutumier, tout du moins relativement banal. Ce qui s'est passé à Goodyear arrivait alors beaucoup plus souvent qu'au cours des trente dernières années.

Les syndicats étaient alors plus combatifs et moins "institutionnalisés". Sans compter que l'on était alors dans les 30 glorieuses, l'économie se portait bien, les entreprises aussi et les revendications syndicales étaient de fait beaucoup plus fortes car à l'époque, - pour reprendre l'expression d'André Bergeron (syndicaliste à la CGT puis chez FO à partir de 1946 après la rupture avec celle-ci) - "il y avait encore du grain à moudre".

Pour conclure, ce qui vient de se passer à Goodyear peut-il être interprété comme un symbole de l'échec du paritarisme en France ?

Quand on prend un peu de distance avec ce qui a lieu à Amiens, on constate que ces dernières mois, il y a eu de nombreux accords entre les partenaires sociaux. Je pense ici à ceux sur la représentativité syndicale, mais aussi à ceux sur la formation professionnelle, ou encore sur la sécurisation de l'emploi.

Au final, ce qui vient de se produire va uniquement compliquer les choses au niveau de l'usine de Goodyear d'Amiens-Nord. Mais cela ne va rien changer à l'échelle nationale. Il ne faut pas confondre l'arbre et la forêt.

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Commentaires 3
à écrit le 08/02/2014 à 21:02
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La délinquance en col blanc ne fait pas de bruit, et est pratiquement légalisée. La violence des pauvres fait beaucoup de bruit, et est illégale. Mais si on fait les comptes, quelle est celle qui coûte le plus cher ?

à écrit le 15/01/2014 à 8:56
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Plutot que de regarder les causes, il vaudrait mieux changer les resultats: Kidnapping: 30 ans de prison ferme sans sursis et sans possibilite de sortie sur parole.

à écrit le 15/01/2014 à 8:13
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Pas de problème pour déconnecter les conflits sociaux du gouvernement en place mais à la seule condition qu'il n'en soit pas le générateur par sa politique, ce qui est rarement le cas!

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