Entre l'Italie et la France, la coopération dans la défense est actuellement au point mort, voire glaciale. Alors qu'Emmanuel Macron reçoit lundi matin le président de l'Italie Sergio Mattarella à l'Élysée, pour un entretien bilatéral, suivi le soir, d'un dîner, la méfiance s'est singulièrement renforcée de chaque côté des Alpes entre les industriels italiens (Leonardo, Fincantieri, Avio) et français (Thales, Naval Group, Safran). Ce qui est notamment le cas entre les deux groupes navals Fincantieri et Naval Group, pacsés au sein de Naviris. La lune de miel a pris fin très rapidement et le couple, sans crise de nerfs, s'est éloigné l'un de l'autre pour se concentrer sur des dossiers beaucoup moins brûlants que l'export.
Les ambitions de Naviris à la baisse
Les ambitions de Naviris sont donc nettement revues à la baisse. Pour Naval Group, l'objectif aujourd'hui de cette entreprise commune est de travailler sur la R&D et de se positionner sur le projet européen d'European Patrol Corvette (EPC), qui vient d'obtenir un financement de 60 millions d'euros de la part du Fonds de défens européen (FED). Loin, très loin des ambitions initiales très ambitieuses de Naviris, qui étaient de peser à l'export face à la concurrence mondiale. Dans un contexte de crise, les deux groupes ne pouvaient que se déchirer à l'export, tant les succès à l'international sont cruciaux pour Naval Group et Fincantieri qui se montre très agressif sur les marchés étrangers, comme en témoigne son succès en Indonésie (six frégates FREMM).
Le dossier de la modernisation à mi-vie des frégates Horizon est également conflictuel entre les deux pays. Sur le calendrier et sur les objectifs. En France, "la date de cette opération a été effectivement recalée en 2029 dans le cadre de l'actualisation, comme l'a récemment révélé dans une interview à La Tribune le chef d'état-major de la marine nationale, l'amiral Pierre Vandier. Ce recalage rebat les cartes alors que nous avions une convergence avec les Italiens. Nous ne sommes plus exactement sur le même tempo que les Italiens qui sont en train de prendre des voies différentes des nôtres".
La Marina Militare souhaite rénover "plus tôt et à moindre frais" ses deux frégates pour passer directement à une nouvelle classe de bateaux dont la première tôle sera lancée en 2023 et qui sont des croiseurs anti-aériens de 10.000 tonnes. La livraison est prévue en 2027/28. La marine nationale a l'ambition de modernise ses deux frégates, Chevalier Paul et Forbin, pour les mettre au niveau de la génération des bateaux qui sortiront en 2029. "En termes de besoins militaires, l'ambition n'est plus la même", a expliqué le chef d'état-major de la marine.
Leonardo et Thales, comme chiens et chats
Entre Leonardo et Thales, les relations n'ont jamais été très simples. La rénovation des quatre frégates Horizon, jusqu'ici équipées par le radar EMPAR de Selex (groupe Leonardo), qui sert à la détection de cibles et au guidage des missiles antiaériens Aster 15 et Aster 30, est un nouveau point de friction entre les deux électroniciens. Le groupe français ambitionne de faire embarquer son tout nouveau radar, le radar AESA entièrement digital Sea Fire considéré aujourd'hui comme la Ferrari des radars, sur les deux frégates Horizon françaises. "Avec le Sea Fire, nous sommes également dans une ambition supérieure à celle des Italiens. (...) Nous, on s'oriente vers cette capacité de défense aérienne de haute intensité", avait expliqué l'amiral Pierre Vandier. Néanmoins, au-delà de l'efficacité opérationnelle du Sea Fire, l'intégration de ce radar entrainera un surcoût pour la marine dans le cadre de cette opération de modernisation des frégates Horizon. "Nous sommes en train de réfléchir. La compétition est assez ouverte", avait précisé le chef d'état-major.
Thales tente aujourd'hui de rendre la monnaie de sa pièce à Leonardo. Car lors d'une première manche, le groupe italien a eu gain de cause face au français dans le dossier de la modernisation des systèmes de défense aérienne SAMP/T lancé en mars 2021. "Les Italiens ont changé les règles", explique-t-on de sources concordantes. Alors que jusqu'ici Thales équipé avec le radar Arabel l'ensemble des systèmes SAMP/T français (8 unités) et italiens (6), Leonardo a réussi à mettre son radar sur les systèmes italiens. Au grand dam de Thales.
Eurodrone : Avio contre Safran
Dernier point de friction entre Français et Italiens, l'Eurodrone. Safran et sa filiale Safran Helicopter Engines (Safran HE) rêvent de motoriser le futur drone MALE européen, développé par l'Allemagne, l'Espagne, la France et l'Italie. "Nous avons effectivement l'ambition de motoriser l'Eurodrone et de monter à bord de ce programme", avait confirmé en février Olivier Andriès. Mais Safran HE est en concurrence avec General Electric, via le motoriste italien Avio. Les Italiens font pression pour que son motoriste, le cheval de Troie de GE, monte à bord de l'Eurodrone.
Pour mettre la pression sur Airbus Defence & Space, maître d'oeuvre du programme, Safran propose "un moteur 100% européen avec un partenariat européen". SHE a réussi à fédérer autour de son offre les allemands MT-Propeller et ZF Luftfahrttechnik (ZFL), l'espagnol ITP et l'italien Piaggio Aerospace. "On a 100% de la propriété intellectuelle de ce moteur en Europe et, donc, nous assurons la pleine souveraineté de la motorisation de l'Eurodrone si nous sommes choisis", a lancé le directeur général de Safran.
"Safran est le seul industriel à offrir aux nations une solution de propulsion vraiment européenne. Et dans l'esprit du plan de relance européen, ce serait choquant que l'argent du contribuable européen serve à financer une solution de motorisation concurrente, qui est actuellement en cours de certification auprès des autorités américaines. Ce serait d'autant plus choquant au moment où le maintien de l'emploi dans les bureaux d'études est un défi pour les industriels aéronautique européens", a récemment expliqué dans une interview accordée à La Tribune le président de Safran Helicopter Engines Franck Saudo.
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