Le méga-succès de Fincantieri en Indonésie annoncé il y a une semaine fait des vagues en France. Des vagues en profondeur pour l'heure même si quelques bulles remontent à la surface comme la grande déception sur la coopération franco-italienne exprimée par le Délégué général pour l'armement (DGA) Joël Barre lors de son audition à l'Assemblée nationale non ouverte à la presse. Il faut dire que l'importance du contrat de 4,1 milliards d'euros (six frégates FREMM italiennes et la modernisation et la vente de deux frégates Maestrale), interpelle à juste raison en France au moment où la charge du chantier de Lorient de Naval Group n'est pas assurée pour le moment au-delà de 2028 (après la fin de la construction des cinq frégates FDI pour la Marine nationale). Et ce d'autant que ce contrat serait déjà en vigueur, selon certaines sources de La Tribune.
Beaucoup de questions
Au sein de Naval Group, qui n'a pas déposé d'offres, selon des sources concordantes, et au sein du ministère, l'annonce du contrat par Fincantieri a beaucoup surpris et a dû mal à être digérée. Elle renvoie également Naval Group et le gouvernement à sa volonté de faire à tout prix des coopérations européennes, et tout particulièrement dans le naval avec Fincantieri au sein de Naviris, la société commune spécialisée dans les bâtiments de surface. Le contrat indonésien du chantier naval italien est donc une énorme claque pour la France, qui se sent aujourd'hui trahie par son partenaire. Peut-être par naïveté, l'équipe de France a toutefois donné le bâton pour se faire battre.
Aussi, plusieurs questions se posent après cette énorme déconvenue français : pourquoi Naval Group n'a pas déposé d'offre ? Quel rôle a joué Naviris dans cette offre ? Pourquoi les Français ont-ils été aussi surpris par cette annonce ? Les Italiens sont-ils des partenaires fiables au sein de Naviris ? Alors que les Italiens, qui ont donc vendu six FREMM à l'Indonésie, proposent ce type de frégates en Grèce, en Égypte et en Arabie Saoudite, pourquoi la France a-t-elle préféré la FDI à la FREMM ?
Naval Group en Indonésie
En Indonésie, le groupe naval français a quelque peu délaissé les campagnes de bâtiments de surface lancées par la marine indonésienne au profit du prospect des sous-marins jugé plus stratégique et, peut-être plus abordable. C'est un choix qui a été porté il y a plusieurs années par l'ancien PDG Hervé Guillou, poursuivi ensuite par Pierre Eric Pommellet. D'autres sources estiment que Naval Group aurait même été empêché de déposer une offre en raison d'accords secrets entre Naval Group et Fincantieri, qui se sont partagés le monde au niveau commercial au moment de la création de Naviris. Dans ce cadre, l'Indonésie tout comme les Philippines auraient été "réservées" à l'italien. Cet accord a bien existé, selon une source proche du dossier, mais a été déchiré en raison des coups de canif donnés par Fincantieri dans des pays "réservés" à Naval Group (Grèce, Arabie Saoudite et Egypte).
Est-ce Fincantieri ou Naviris, qui a porté l'offre italienne en Indonésie ? La vente des six FREMM italiennes est, selon nos informations, un projet porté commercialement par Fincantieri et porté sur le plan politique par un marché d'Etat à Etat. En revanche, il y a un doute sur la rénovation des Maestrale, qui pourrait se réaliser dans le cadre de la société commune entre Fincantieri et Naval Group. En tout cas, en France personne n'a rien vu venir. Ni l'Etat, ni les services de renseignement, ni Naval Group et ni Thales, dont la filiale néerlandaise est pourtant très présente en Indonésie. Fincantieri a négocié jusqu'au bout tranquillement dans le plus grand secret avec Djakarta, où l'annonce du contrat avec Fincantieri fait également quelques vagues. Question : les services de compliance n'ont-ils pas été trop zélés en bandant les yeux et en bouchant les oreilles de la France en Indonésie, et plus généralement dans le monde ?
Quelle coopération avec les Italiens ?
La France est déçue par le manque de loyauté des Italiens, qui ont pourtant légitimement défendu leurs intérêts. Naviris semble être désormais une coquille de plus en plus vide. Cette société est recentrée désormais sur des projets de R&D, la préparation de la modernisation à mi-vie des frégates Horizon et sur le projet européen European Patrol Corvette (EPC). Loin des ambitions initiales. En outre, les Italiens font feu de tout bois à l'exportation. Selon nos informations, ils ont remis une offre en Grèce à base des FREMM de type constellation, en Arabie Saoudite (quatre FREMM) et en Egypte (deux FREMM). Là où la France propose des frégates FDI ou des Gowind. En outre, les Italiens proposent des patrouilleurs au Ghana au grand dam d'Ocea...
Le succès en Indonésie interpelle également sur le choix de la FREMM italienne, qui a un déplacement de 6.500 tonnes (contre 4.460 tonnes pour la FDI, qui est donc plus légère). Un navire de guerre qui plait aux marines... D'ailleurs Fincantieri le propose également à la Grèce, l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Le choix de ces trois pays va donc valider ou pas les orientations prises par Hervé Guillou, qui avait tordu à l'époque le bras de la Marine nationale, en privilégiant la FDI au détriment de la FREMM. Une FDI lancée justement pour devenir le fer de lance de la politique commerciale de Naval Group à l'exportation et pour faire également travailler les bureaux d'études du groupe alors à la peine. Le momentum est proche... Et il s'accompagnera forcément dans la foulée de questions sociales, notamment à Lorient, qui attend une décision de la Grèce. Un succès est vital pour ce site, qui construira une des quatre frégates en France.
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