[Publié le 22.07.2022 à 9:40, mis à jour à 11:20 avec réaction outrée de la Chine]
La rivalité géostratégique entre le Japon et la Chine ne date pas d'hier, et la résurgence périodique de différends politiques et territoriaux - à la fois historiques et contemporains - alimente régulièrement des relations diplomatiques en forme de montagnes russes, le plus souvent exécrables. Et ce, malgré certains efforts d'apaisement menés par Shinzo Abe en fin de mandat, efforts reconnus (avec parcimonie) par Xi Jinping lorsqu'il a témoigné ses condoléances après l'assassinat de l'ex-Premier ministre du Japon le 8 juillet dernier.
Le message implicite envoyé par la Russie avec l'invasion de l'Ukraine
Or, le Japon vient de publier, ce vendredi, un "livre blanc" sur la défense qui désigne la Chine, la Russie et la Corée du Nord comme ses principales préoccupations en matière de sécurité.
Approuvé aussi par le gouvernement du Premier ministre Fumio Kishida, ce "livre blanc" analyse notamment les nouvelles menaces que représentent d'une part la Russie, avec la guerre en Ukraine, et d'autre part la Chine avec la pression croissante qu'elle exerce sur Taïwan. Et en quoi les deux sont liés...
Ainsi, s'agissant de la Russie, une chose inquiète particulièrement le ministère japonais de la Défense: qu'avec l'invasion de l'Ukraine, un message implicite ne fasse tache d'huile, encourageant d'autres pays - comprendre : la Chine - à croire qu'« une tentative de changer unilatéralement le statu quo par la force est acceptable ». Le ministère de la Défense consacre un chapitre entier à ce sujet dans son rapport annuel.
Basculement géopolitique du monde par effet domino
Dans ce rapport, le ministère de la Défense nippon accrédite également l'analyse (faite par maints observateurs avant lui) selon laquelle la Russie pourrait se retrouver affaiblie par ce conflit, ce qui pourrait la pousser à "renforcer encore davantage ses relations avec la Chine".
Outre l'escalade des menaces pour la sécurité nationale, le livre blanc traite aussi de la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement du secteur technologique.
Parmi les menaces spécifiques pour le Japon, le rapport souligne ainsi que Moscou pourrait avoir de plus en plus recours à la dissuasion nucléaire, ce qui pourrait générer une augmentation de son activité autour du Japon, où circulent régulièrement des sous-marins nucléaires russes. Sans parler des menaces venant de Corée du Nord...
Le mois dernier, le ministre de la défense de Kishida, Nobuo Kishi, avait décrit le Japon comme se trouvant sur une ligne de front entourée d'acteurs dotés de l'arme nucléaire.
Bombardiers russes et chinois volant ensemble à proximité du Japon
Le Japon s'est joint aux sanctions occidentales contre la Russie et a déjà vu depuis la présence militaire russe s'intensifier à proximité de son territoire. En mai, des bombardiers russes et chinois ont notamment volé ensemble près de l'archipel.
Le livre blanc 2022 s'attarde également longuement sur Taïwan, notant que "depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Taïwan cherche à renforcer davantage ses efforts d'autodéfense" face à la menace que fait planer Pékin sur son territoire.
Le rapport dénonce les incursions de plus en plus fréquentes des avions militaires chinois dans l'espace aérien de Taiwan comme pour en tester les défenses aériennes. Ce mois-ci, des avions de chasse ont à nouveau franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, zone tampon non officielle entre la Chine et Taïwan.
- Lire aussi : Tensions entre Pékin et Taipei : la Chine multiplie les violations de l'espace aérien de Taïwan
Campagne d'opinion pour augmenter le budget de l'armée japonaise
La publication de ce rapport, qui expose les préoccupations du gouvernement en matière de sécurité intervient, il faut aussi le noter, à point nommé alors qu'il prépare la demande de budget du ministère de la défense, prévue pour le mois prochain, et qu'il cherche à obtenir le soutien de l'opinion publique pour une augmentation sans précédent du financement de l'armée.
Le Parti libéral-démocrate (PLD, droite nationaliste) au pouvoir veut en effet doubler le budget national de la défense pour qu'il atteigne au final 2% du PIB.
Ce rapport prépare aussi le terrain pour un examen de la sécurité nationale de fin d'année qui devrait préconiser l'acquisition de missiles de frappe à plus longue portée, le renforcement des capacités spatiales et cybernétiques et un contrôle plus strict de l'accès aux technologies.
Pour mémoire, le Japon, malgré une augmentation régulière, continue de présenter les plus faibles dépenses militaires parmi les pays du G7 rapportées à leurs PIB respectifs.
Mais passer la vitesse supérieure au plan budgétaire ne sera pas simple, même sur le long terme, car, de par sa Constitution pacifiste rédigée et entrée en vigueur peu après la Seconde Guerre mondiale sous l'occupation américaine du pays, le Japon n'est pas censé disposer d'une armée proprement dite, et ses investissements militaires sont théoriquement limités à des moyens défensifs.
Cependant, pour le PLD et d'autres partis, le temps presse : ils souhaitent réviser la Constitution, et veulent profiter du fait qu'ils disposent aujourd'hui d'une assise parlementaire suffisante pour ce faire, mais ce processus s'annonce long et complexe.
L'opinion japonaise, elle, se sent de plus en plus concernée par l'insécurité géopolitique et soutient déjà, selon un dernier sondage, à 50% une éventuelle augmentation du budget de la Défense.
Réaction outrée et « vif mécontentement » de la Chine
La réaction de Pékin n'a pas tardé après la publication de ce "livre blanc". Ce vendredi matin, la Chine s'est insurgée officiellement de cette mise en garde du Japon contre l'escalade des menaces pour sa sécurité nationale.
Selon le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, avec ce rapport de la Défense, le Japon non seulement « exagère la soi-disant menace chinoise » mais se rend coupable d'ingérence en interfèrant dans la politique intérieure de la Chine en critiquant les actions de la Chine vis-à-vis de Taiwan.
« Le nouveau livre blanc sur la défense du Japon porte des accusations et dénigre la politique de défense de la Chine, son développement économique de marché et ses activités maritimes légitimes », a déclaré Wang Wenbin lors de son point presse quotidien.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangère a également déclaré :
"La Chine a exprimé son vif mécontentement et son opposition résolue à ce rapport, et a adressé des représentations sévères à la partie japonaise à ce sujet. »
Wang a noté que le livre blanc sur la défense mentionnait le projet de Tokyo d'augmenter le budget de la défense du Japon et de développer ses capacités de contre-attaque.
« Nous demandons instamment au Japon de cesser immédiatement cette pratique vicieuse consistant à exagérer les menaces pour la sécurité dans son voisinage et à trouver des prétextes pour augmenter la puissance de son arsenal militaire. »
Avec 2% du PIB, le Japon deviendrait 3e mondial pour les dépenses de défense
Ce qui n'est pas totalement hors de propos, sachant que les ambitions du parti au pouvoir au Japon d'amener le budget des armées à 2% du PIB.
Un objectif de 2% permettrait en effet à Tokyo de s'aligner sur l'engagement minimum fixé par les membres de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et, compte tenu de la taille de son économie, ferait de la nation pacifiste le 3e pays au monde pour les dépenses totales de défense, après les États-Unis et la Chine.
(avec AFP et Reuters)
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