Encore une fois, les compagnies du Moyen-Orient, Emirates en tête, ont fait le plein d'avions au salon aéronautique de Dubaï. Pendant deux jours, Boeing et, dans une moindre mesure, Airbus ont enchaîné les contrats. Soit plus de 230 avions fermes vendus, sans compter une palanquée d'options et de droits d'achats, ainsi que des dizaines de milliards de dollars à la clé. Le constat est d'autant plus surprenant et contradictoire en apparence que la COP28, c'est-à-dire la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, doit s'ouvrir dans à peine deux semaines... à Dubaï. S'ils se déroulent à seulement deux semaines d'écart, les deux événements prennent aussi place à moins de dix kilomètres l'un de l'autre.
Cette proximité pourra ainsi apparaître incongrue - au mieux - pour certains, ou franchement insupportable pour d'autres tant le transport aérien a été érigé, à son corps défendant, en emblème du secteur polluant ces dernières années. En Europe et en Amérique du Nord, du moins. D'autant plus que la sortie des énergies fossiles - dont le kérosène apparaît comme la quintessence - est au cœur des enjeux de cette COP28 et risque de cristalliser une grande partie des débats.
Au-delà du symbole, le transport aérien a pris conscience depuis plusieurs années de son impact environnemental. Une épiphanie tardive, longtemps obstruée par le fait que le secteur ne représente que 2 à 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais qui prend de l'ampleur rapidement depuis la crise du Covid et apparaît enfin incontournable.
La COP28 en accélérateur
La COP pourrait d'ailleurs être un tremplin pour accélérer encore ce mouvement de décarbonation, du moins le rendre tangible plus rapidement. Si le secteur s'est fixé un objectif de zéro émissions nettes en 2050 en 2021, et que celui a été confirmé l'an dernier par les Etats dans le cadre de l'Organisation pour l'aviation civile international (OACI, agence des Nations Unies), cela reste des engagements à long terme. Pour arriver à des actions rapides, le secteur pousse ainsi pour que les Etats adoptent des objectifs à court terme pour concrétiser dès à présent cette trajectoire. Et la COP28 devrait être mise à profit à cet effet.
Mettre d'accord des Etats sur des objectifs environnementaux contraignants est sans doute l'une des choses les plus difficiles à faire, l'un arguant sa volonté de préserver sa souveraineté, l'autre appelant à tenir compte de l'émergence récente de son transport aérien, et le dernier étant prêt à réduire son trafic sans tenir compte des enjeux socio-économiques... Pourtant, certains acteurs du secteur affichent une certaine sérénité à cet endroit. Ils rappellent que l'OACI a réussi à s'accorder sur l'objectif 2050, défiant largement les pronostics. Des pays, jusque-là plutôt réticents à l'idée de se voir imposer un calendrier comme la Chine, changent peu à peu leur fusil d'épaule. Ils commencent à se montrer volontaires en la matière. Ce pourrait aussi être le cas de pays du Moyen-Orient, bien conscients de la nécessité de se saisir de cette transition énergétique qui s'amorce pour préparer l'après-pétrole.
Nécessaire, mais pas suffisant ?
Cette stratégie sera-t-elle pour autant suffisante ? Le secteur sait qu'il est l'un des plus difficiles à décarboner, indépendamment de tous les efforts qu'il pourra faire. Si des alternatives au kérosène fossile commencent à émerger, avec les carburants d'aviation durables (SAF) et possiblement l'hydrogène à plus long terme, elles mettront plusieurs années, voire plusieurs décennies, à monter en puissance. Et elles devront être combinées à de nouveaux avions, équipés de moteurs plus sobres, des opérations optimisées et probablement à de la compensation pour arriver à cet objectif de zéro émission nette en 2050.
La volonté du secteur de réduire significativement son empreinte environnementale va surtout se heurter avec ses prévisions de croissance sur les vingt prochaines années. Juste avant l'ouverture du Dubai Airshow, Boeing venait ainsi d'annoncer que le nombre d'avions au Moyen-Orient allait plus que doubler d'ici 2042. En clair, la livraison de plus de 3.000 appareils neufs, dont 45% d'avions long-courriers, les plus durs à décarboner. Airbus voit même quelques centaines d'appareils de plus. Les 95 appareils vendus par Boeing à Emirates, en attendant la concrétisation des 355 Airbus voulus par Turkish Airlines, ne sont que la confirmation de ce mouvement.
Les volumes restent néanmoins bien inférieurs à ce que l'on peut connaître en Asie, à l'image des commandes indiennes lors du salon du Bourget, même s'il s'agissait essentiellement d'avions moyen-courriers. Le continent asiatique attend ainsi plus de 9.000 avions neufs sur 20 ans, tout comme la Chine (comptabilisée séparément). Sans oublier l'Europe ou l'Amérique du Nord, qui recevront entre 7.000 et 8.000 avions neufs chacune. Soit plus de 40.000 avions à travers le monde.
Une croissance problématique
De fait, même si le transport aérien arrive à faire baisser sensiblement ses émissions par passager au kilomètre, il aura plus de mal à réduire son empreinte globale. Et, de façon plus symbolique, son poids relatif dans les émissions globales va être amené à croître sensiblement dans les prochaines années, face à la baisse d'autres secteurs plus simples à décarboner.
Autant de raisons qui poussent le secteur à vouloir encore accélérer sa décarbonation. Certaines compagnies se montrent d'ailleurs volontaires en la matière. En Europe notamment, avec Air France-KLM. Cette dernière a annoncé aller au-delà des mandats d'incorporation de SAF imposés par l'Union européenne et dans le reste du monde. Emirates s'est lancé dans plusieurs opérations autour des SAF ces derniers mois, dont un achat de volumes significatifs il y a quelques jours avec Neste.
Le renouvellement des flottes - et donc les importantes commandes d'avions qui en découlent - font aussi partie de cette démarche avec des réductions comprises entre 15 et 25% de la consommation de carburant d'une génération à l'autre. Mais là encore, tout dépend s'il s'agit de remplacer des vieux avions par du neuf en quantité équivalente ou d'appuyer une démarche de croissance de la flotte, comme c'est largement le cas dans les commandes enregistrées lors de cette édition du Dubai Airshow (et les précédentes).
Mais, plus que la proximité entre le Dubai Airshow et la COP28, c'est peut-être davantage le choix du Golfe persique, qui concentre une bonne partie des exploitations pétrolières et des régimes autoritaires mondiaux, pour un événement des Nations Unis sur le climat qui doit interroger. Un choix somme toute surprenant, comme a pu l'être, dans un autre domaine, une Coupe du monde de football au Qatar en hiver, avec des stades climatisés qui plus est.
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