Du champ à l’armoire, le lin français retisse sa toile

Championne du monde de la culture du lin, la France l’exporte en quasi-totalité à l’état de fibres brutes vers l’Asie où il est transformé. Mais sous l’impulsion de quelques entrepreneurs passionnés, une petite partie ne file plus se faire filer en Chine ou en Inde. Illustration en Normandie où la coopérative Natup réanime un savoir-faire disparu.
La French Filature produira de quoi fabriquer 1,2 million de chemises ou 300.000 draps de lit.
La French Filature produira de quoi fabriquer 1,2 million de chemises ou 300.000 draps de lit. (Crédits : Natup)

« Ces deux chaussettes, c'est ce pourquoi nous nous levons le matin ». Sur la scène, Karim Behlouli, président de Natup Fibres, brandit fièrement la première des paires que le fabricant Labonal a tricoté avec le fil de lin sorti de ses machines. Ce lundi (19 septembre) est un jour de fête dans la riante commune de Saint-Martin-du-Tilleul dans l'Eure. En présence d'un bon millier d'invités, la branche « fibres » de la coopérative agro-industrielle Natup (7.000 adhérents) coupe le ruban de sa nouvelle usine baptisée la French Filature. Savamment mis en scène, le moment a quelque chose de solennel pour l'auditoire. Et pour cause. Voilà longtemps que la Normandie, qui fournit pourtant 40% du lin mondial grâce à son climat vivifiant, n'avait pas vu une installation comme celle-ci.

La coopérative, aidée à hauteur du quart par la Région et l'Etat dans le cadre du plan « France 2030 », a dépensé près de 4,5 millions d'euros pour acquérir en Chine, en Italie et en Allemagne les 18 fileuses de dernière génération qui moulinent depuis mars dernier sous la surveillance d'une petite trentaine de salariés. A pleine capacité, elles seront capables de produire annuellement 250 tonnes de  bobines de fil fin. Soit l'équivalent de 250 hectares cultivés. Une goutte d'eau en comparaison des 85.000 hectares de lin* mis en culture chaque année en Normandie mais une goutte d'eau dans laquelle Jean-Charles Deschamps, président de Natup, veut voir « le début d'une histoire ».

« Comme un pays émergent »

Depuis plus de vingt ans, les liniculteurs normands exportent en effet 90% de leurs fibres vers les grands filateurs asiatiques qui leur assurent de confortables débouchés. Pour Hervé Morin, président de la Région Normandie, il était grand temps de réagir. « Peut-on accepter de se comporter comme un pays émergent en envoyant la matière se faire transformer à l'autre bout du monde pour qu'elle revienne sous forme de produits finis ? », s'interroge tout haut l'ancien ministre de la défense. Bonne question qui commence à trouver une réponse grâce au regain d'intérêt des consommateurs pour les matières naturelles et le made in France.

« Demain, les acheteurs ne se focaliseront plus seulement sur le critère prix, ils regarderont aussi la provenance comme ils le font dans l'alimentation », veut croire Karim Behlouli. Pour autant, les dirigeants de la French Filature se défendent de vouloir concurrencer l'empire du milieu, de loin le premier acheteur de la fibre normande. Avec un fil commercialisé autour de 20 euros le kilo contre 16 pour le même produit en Asie, ils visent un marché de niche. « Notre objectif est de capter de la valeur ajoutée pour le territoire là où le marché de masse n'ira pas la chercher », insiste Jean-Charles Deschamps. Dominique Malfait, président de Labonal ne dit pas autre chose. « Pendant 35 ans, je n'ai vu que des usines fermer, alors forcément je me réjouis mais ces chaussettes en lin qui seront vendues autour de 20 euros ne pourront être qu'un complément de gamme ».

Velcorex, Safilin, Linfini

Pour autant, il est permis de se féliciter que le métier de filateur, maillon manquant de la filière textile hexagonale, fasse son retour à un moment où les circuits courts regagnent du crédit à la faveur de la crise climatique. Les Normands ne sont d'ailleurs pas les seuls à s'être lancés. Le groupe Velcorex avait ouvert la voie en 2019 en relocalisant une filature à Hirsingue en Alsace. Le groupe Safilin a fait de même dans les Hauts de France à Béthune avec pour ambition de produire 400 tonnes de fil à horizon 2025 en complément de sa production en Pologne. Dans le Finistère, la jeune entreprise Linfini annonce, elle aussi, l'ouverture d'une manufacture en septembre 2023.

Reste à convaincre les grands industriels du textile de préférer des fournisseurs français. Une conversion qui ne se fera pas en un jour, à entendre Karim Behlouli. « Ils ont complètement perdu l'habitude et ne connaissent plus les filières d'approvisionnement », constate-t-il. En réponse, la French Filature a créé une plateforme collaborative d'échange qui réunit tous les acteurs de la filière lin. Objectifs : mutualiser les réflexions sur la valorisation du textile 100% bleu, blanc, rouge et mieux répondre aux attentes des marques en matière d'analyse du cycle de vie du produit et de traçabilité.

Le champ des possibles est ouvert. Selon une étude BVA commandée par la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre, 61% des consommateurs européens sont prêts à payer davantage pour un produit à base de lin certifié.

*La France cultive 130.000 hectares de lin, une surface qui a augmenté de 130% entre 2009 et 2020

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