« Nous utiliserons l’IA pour mieux servir le client » (Nicolas Hieronimus, directeur général de L'Oréal)

ENTRETIEN - Le dirigeant français ouvrira le CES de Las Vegas le 9 janvier. Le groupe emploie plus de 6 000 personnes dans la tech.
Nicolas Hieronimus, au siège de L’Oréal en juin 2023.
Nicolas Hieronimus, au siège de L’Oréal en juin 2023. (Crédits : ©MagaliDelporte)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Les chocs de toute nature se sont succédé cette année. Quelles en ont été les conséquences pour le groupe ?

NICOLAS HIERONIMUS - L'Oréal réalise une très belle performance. Bien meilleure, même, que ce qu'il était possible d'imaginer un an plus tôt, compte tenu des prévisions disponibles à l'époque dans un climat économique et géopolitique incertain. Nos résultats pour 2023 ne seront publiés qu'en février prochain, mais ceux dévoilés en octobre - soit l'activité des neuf premiers mois - indiquent une hausse de 12,6 % du chiffre d'affaires, à 30,57 milliards d'euros. La croissance repose sur des hausses à la fois en volume et en valeur. Et dépasse celle du marché mondial de la beauté, qui témoigne une fois encore de sa résilience - même s'il a un peu ralenti au dernier trimestre. Au-delà d'être essentielle à l'humanité, la beauté recèle un effet « dopamine » face à des temps difficiles. Se faire du bien, mettre du baume au cœur... de multiples expressions soulignent son importance dans nos vies.

Lire aussi« Concernant l'IA, il faut passer de la peur à l'envie » (Sébastien Missoffe, directeur général de Google France)

Quelle a été la croissance du marché de la beauté pendant les trois premiers trimestres ?

Elle se situe à près de 9 %. Toutes les catégories sont en augmentation. Mais la plus dynamique reste le parfum, en hausse de 16 % et de 21 % chez L'Oréal. Nous restons confiants dans notre capacité à réaliser en 2023 une nouvelle année de croissance du chiffre d'affaires et des résultats. Surperformer le marché confirme le leadership du groupe et prouve la solidité de son modèle.

Quels sont ses points forts ?

Il repose avant tout sur l'innovation. C'est essentiel, en particulier dans le contexte inflationniste actuel. Le groupe est passé du 8e au 5e rang en France pour le dépôt de brevets publiés en 2022, avec 475 demandes. L'innovation à forte valeur ajoutée permet une croissance fondée non pas sur la hausse des prix, mais sur les fruits de la recherche et du développement. L'augmentation des prix de nos produits existants - qui s'échelonnent de 3 à plus de 300 euros - est demeurée raisonnable et responsable pendant cette période. L'innovation constante favorise également la conquête de nouveaux consommateurs : la croissance en valeur se double d'une croissance en unité. Un autre atout de notre modèle réside dans son équilibre géographique.

D'où sa résistance au ralentissement chinois, un marché très important ?

La Chine est restée un marché atone cette année, même si je demeure confiant pour l'avenir. Si ce pays n'a pas été au rendez-vous en 2023, la croissance du groupe en Europe est extraordinaire, à plus de 17 %. La France enregistre une hausse à deux chiffres, tout comme les États-Unis. Tandis que les marchés émergents accélèrent très nettement. Notre implantation sur tous les continents, avec une répartition équilibrée de l'activité, explique notre performance, y compris en cas de fléchissement de marchés significatifs. Cet équilibre se reflète aussi dans nos familles de produits, puisque les quatre divisions du groupe progressent simultanément.

Notre implantation sur tous les continents, avec une répartition équilibrée de l'activité, explique notre performance

Certaines plus que d'autres ?

La division de la beauté dermatologique, qui compte cinq marques, dont La Roche Posay et CeraVe, réalise des scores incroyables, avec une hausse de près de 29 % pour les neuf premiers mois. Après déjà un bond de 30,6 % en 2022. Celle des produits grand public - L'Oréal Paris, Garnier... - enregistre un record historique, grâce à une croissance de 14,5 % pendant la même période. Le luxe et les produits professionnels font également une année solide.

Quel rôle jouera dès l'an prochain Aesop, la marque australienne rachetée pour près de 2,5 milliards d'euros cette année ?

C'est sans aucun doute l'une de nos plus belles acquisitions. Je l'avais repérée depuis longtemps, même si je considère que nous avions déjà un portefeuille de marques magnifiques. Ce coup de cœur se justifie par ses qualités. Elle est à la fois une marque de bien-être, de luxe et d'expérience, à base d'huiles essentielles, dans laquelle le parfum joue un rôle majeur. Son réseau de points de vente contribue énormément à son succès, puisque chaque boutique est différente et que le client y est traité de façon exceptionnelle. Je n'ai jamais reçu autant de félicitations après une opération de croissance externe qu'avec ce rachat ! Nous allons lui apporter la force de nos laboratoires, notamment en matière de soins pour la peau. La marque réalisait au moment de son arrivée dans le groupe environ 500 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous souhaitons l'amener au milliard.

Dans quel délai ?

D'ici quelques années...

Le parfum est la catégorie en plus forte croissance dans le marché de la beauté. Cela se traduit-il au sein du groupe ?

Les parfums sont en pleine ascension, avec une accélération depuis la fin de la pandémie : 26 % des femmes dans le monde se parfument désormais tous les jours, au lieu de 21 % avant la crise sanitaire. L'Oréal est aussi beaucoup monté en puissance dans le luxe, et dans le parfum en particulier. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2010, la division luxe réalisait 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Et 15 milliards en 2022. Nous sommes numéro un mondial du parfum de luxe aujourd'hui. Et j'espère que nous le serons bientôt pour l'ensemble du secteur luxe dans la beauté. Je suis fier que L'Oréal appartienne aux « Khol », c'est-à-dire aux quatre acteurs majeurs du luxe français, avec Kering, Hermès et LVMH.

Les mesures qui favorisent la compétitivité des entreprises doivent être poursuivies

Êtes-vous sensible à l'accent mis depuis plusieurs années sur la nécessité de la réindustrialisation de la France ?

Je vais fêter mes trente-sept années chez L'Oréal en février prochain et je suis très fier de diriger un grand groupe français, qui porte haut les couleurs du pays et le fait rayonner mondialement. Très fier aussi que le groupe contribue à 15 000 emplois directs et même à 95 000, en comptant les emplois indirects. Un emploi créé chez L'Oréal en génère 5,2 autres, en amont et en aval de la filière, selon les estimations d'un cabinet spécialisé. Le groupe contribue pour plus de 4 milliards d'euros à la balance extérieure. Nous participons pleinement à l'industrialisation de la France : plus d'un quart de la production mondiale du groupe est fabriqué ici - ainsi que 100 % de nos parfums - grâce à 11 usines. La qualité française s'exporte en Chine, en Inde, aux États-Unis. Ce savoir-faire et cet art de vivre appartiennent au patrimoine national. Un je-ne-sais-quoi essentiel dans le processus de création de la beauté. Encourager les entreprises étrangères à s'installer ici, ou à y revenir, est selon moi une excellente stratégie menée par le gouvernement. Mais les mesures qui favorisent la compétitivité des entreprises, comme la baisse des impôts de production, doivent être poursuivies. Car elles sont importantes pour renforcer l'ensemble du secteur. Gagner des parts de marché et fidéliser le consommateur passent avant tout par la maîtrise de l'outil industriel. C'est aussi de lui que dépend la poursuite de la transformation environnementale du groupe. La qualité est la clé de la réussite du groupe depuis bientôt cent quinze ans.

Vous allez ouvrir le célèbre Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas le 9 janvier prochain. Est-ce une reconnaissance du développement de la « Beauty Tech » au sein du groupe ?

J'ai l'honneur de prononcer le discours d'ouverture du salon avec Barbara Lavernos, la directrice générale adjointe de L'Oréal. C'est la première fois qu'une entreprise de grande consommation, de surcroît dans la beauté, est choisie pour ce rôle. L'Oréal investit 1 milliard d'euros en recherche et innovation. Et plus de 1 milliard d'euros dans la tech, où sont employées plus de 6 000 personnes. Intervenir au CES, où le groupe a reçu de nombreux prix dans le passé et où nous présenterons quelques innovations, confirme l'importance de la tech dans notre secteur : l'intelligence artificielle générative sera de plus en plus utilisée pour mieux servir le consommateur. Nous essayons d'inventer le futur de la beauté augmentée par la technologie. Des sujets qui seront certainement aussi évoqués au Forum économique de Davos, où je me rendrai le mois prochain.

Comment se présente 2024 pour L'Oréal ?

Je suis ambitieux pour le groupe, d'autant que le marché des cosmétiques et de la beauté poursuivra sa progression. Nous espérons une nouvelle année de croissance.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 01/01/2024 à 7:27
Signaler
Vous pourriez dire "la cliente" franchement avec tout ce qu'elles vous font gagner comme fric en rester à l'ancienne conjugaison c'est moche.

à écrit le 31/12/2023 à 20:38
Signaler
Des serveurs qui tournent et consomment autant qu'une ville pour des produits cosmétiques... On marche sur la tête et la note sera salée.

à écrit le 31/12/2023 à 16:21
Signaler
Sauf que qui dit IA , dit piratage un jour ou l 'autre , c'est une loi de la nature

à écrit le 31/12/2023 à 10:15
Signaler
Bref ! Je dirais mieux: " Nous utiliserons l’IA pour mieux asservir le client " ! ,-)

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.