LA TRIBUNE - Quelle est la situation en ce mois de septembre du marché automobile après un premier semestre marqué par la crise du coronavirus ?
JOSÉ BAGHDAD - Nous avons établi un scénario assez conservateur compte tenu de l'aléa autour des conditions sanitaires. Mais globalement, nous n'attendons pas de retour au niveau d'avant crise du marché automobile avant 2022. Avec quelques exceptions, puisque par exemple en Chine, nous observons d'ores et déjà une forte dynamique, similaire à celle enregistrée en 2019. Si bien que nous tablons sur une baisse limitée de 16% sur l'ensemble de l'année pour le marché chinois. Le marché européen, au contraire, devrait être plus marqué, avec une baisse significative de l'ordre de 28%. En Europe, le deuxième semestre a bien démarré, mais nous n'observons pas de phénomène de rattrapage.
En 2019, nous parlions déjà d'un marché trop haut, notamment en Europe, est-ce que la crise du coronavirus a accentué cet écart de manière durable ?
La crise va accélérer les mutations déjà en cours dans le secteur: la transformation des usages, mais également celle des technologies avec l'avènement de l'électrification. Il est probable que l'issue de ce processus de transformation se traduise par un solde négatif en termes d'empreinte industrielle. L'assemblage d'une voiture électrique implique nettement moins de pièces qu'une voiture thermique...
Autrement dit, le marché va être confronté à des surcapacités industrielles ?
Il y a des surcapacités manifestes. Sur nos projections de marché, nous anticipons un marché européen autour de 15 millions de voitures neuves en 2023, à comparer aux 17 millions de 2017. C'est à peu près 10% à 11% de surcapacités. En revanche, nous estimons que le marché automobile mondial devrait rester stable sur cette même période. Mais en Europe, il y a un delta de deux millions de voitures, et l'industrie n'échappera pas à des mesures de rationalisation.
Il faut donc s'attendre à d'autres annonces de fermetures de sites comme l'usine Bridgestone de Béthune ?
Malheureusement oui... Pas seulement chez les constructeurs. Les équipementiers et surtout les petits équipementiers pourraient être touchés.
Les constructeurs automobiles avaient vu leur marge opérationnelle déjà entamée en 2019 ; en 2020, elle sera évidemment lourdement affectée par la crise du Covid, mais pensez-vous que leur rentabilité va rester sous pression durablement ?
Le groupe PSA a démontré qu'il était possible de dégager des profits au plus fort de la crise du coronavirus. Beaucoup de groupes ont engagé des mesures de restructurations et d'économies pour approcher cette performance industrielle et financière. Les constructeurs vont activer tous les leviers comme des arbitrages en matière d'investissements en R&D, mais également le renforcement des partenariats, ou encore la simplification des gammes de motorisations. Les constructeurs chercheront également à récupérer la partie de la chaîne de valeur qui est partie chez les équipementiers.
La voiture électrique a connu un véritable boom au premier semestre. Difficile de savoir si c'est un effet d'aubaine dû à la crise sanitaire qui s'est accentuée par des dispositifs gouvernementaux exceptionnels, ou s'il y a une vraie bascule collective en faveur de l'électromobilité. Qu'observez-vous ?
Il y a une bascule. On voit bien que la voiture électrique se démocratise petit à petit, que le développement des infrastructures s'accélère enfin. Les ventes de voitures n'atteindront pas 50% mais pourraient aller jusqu'à 20% sur certains segments ou marchés.
La technologie à hydrogène fait la Une de l'actualité depuis quelques semaines... Quelle est la réalité de marché ?
Nous n'attendons pas d'émergence d'un marché de la voiture particulière à hydrogène avant 2030. Cette technologie reste très chère. En revanche, il était effectivement temps de réfléchir à la meilleure manière de structurer une filière. Je dois dire que je suis assez surpris que cela n'ait pas été fait avant. Nous avons, en France, tout ce qu'il faut pour constituer une filière compétitive. Nous avons Air Liquide, des constructeurs, des équipementiers... tous leaders dans des technologies liées à la pile à combustible ou l'énergie hydrogène. Certes, nous ne sommes pas en retard, mais nous n'avons pas l'avance que nous aurions dû prendre.
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