C'est un cruel paradoxe pour les constructeurs automobiles. Deux ans après le déclenchement de la crise sanitaire, à laquelle a succédé d'autres crises (pénurie de semi-conducteurs, guerre en Ukraine...), leurs cours de Bourse sont toujours au ras des pâquerettes. Et ce, alors que leurs profits n'ont jamais été aussi élevés. Ils sont ainsi parvenus à améliorer significativement leur profitabilité alors même que les ventes se tassaient, ou étaient carrément en baisse.
Des profits
En Europe, le marché est désormais un tiers en-dessous de ce qu'il était avant la crise du Covid. Pourtant, Stellantis a largement amélioré sa rentabilité, pour atteindre 14% de marge opérationnelle. Renault, qui réalise l'essentiel de ses profits en Europe, a même doublé sa rentabilité au premier semestre.
La formule est désormais bien connue : les constructeurs ont privilégié les modèles à plus forte valeur ajoutée, les mieux équipés, et surtout les véhicules électriques. En outre, sur un marché contraint, où la demande peine à trouver des voitures, ils ont cessé toutes remises dans les ventes.%
Stellantis loin de son pic de janvier
Oui mais voilà, le marché n'est pas acheteur. Renault, qui a généré près d'un milliard d'euros de trésorerie au premier semestre et doublé sa marge opérationnelle, vaut moins de 8 milliards d'euros en Bourse. A peine plus que sa participation de 44% dans Nissan. Si on retire sa très lucrative filiale bancaire RCI Bank, il ne reste plus rien. Stellantis, lui, est valorisé 44 milliards d'euros. Un chiffre conséquent, mais qui ne reflète ni sa profitabilité, ni son bilan (26 milliards de trésorerie). L'action du groupe, issu de la fusion entre Fiat Chrysler et Peugeot Citroën, a même baissé de 27% par rapport à son plus haut atteint mi-janvier. Certes, les cours ont repris des couleurs depuis les publications semestrielles (+11% chez Renault depuis les résultats, et +9% chez Stellantis), mais ils restent encore très bas.
« Quand on compare les ratios, le groupe Stellantis est sous-valorisé comparé à d'autres valeurs du secteur. Toutefois nous n'identifions pas d'élément pouvant justifier cette décote, cette irrationalité est pour nous synonyme d'opportunité », souligne Benjamin Sacchet, directeur associé et gérant de fortune chez Avant-Garde Investment.
Son PER (rapport entre la capitalisation boursière et le bénéfice net) est inférieur à 3. A titre de comparaison, celui de Volkswagen se situe à 4, tandis que Renault est même supérieur à 5. Le ratio valeur d'entreprise sur Ebitda, qui prend davantage en compte la partie bilancielle particulièrement élevée de Stellantis, montre également un gros retard. Il est de 0,61 tandis que la moyenne du Cac 40 est autour de 9. Là encore, Renault affiche un meilleur ratio (1,35).
Soutien spéculatif sur Renault
« Le cours de Renault est soutenu par la perspective d'une IPO (introduction en bourse, ndlr.) de ses activités électriques prévue en 2023. On est donc sur des considérations ponctuelles et spéculatives. Aujourd'hui, Stellantis est moins cher que Renault, ce n'est pas rationnel », poursuit Benjamin Sacchet.
De son côté, Frédéric Rozier, gestionnaire de portefeuille chez Mirabaud, s'interroge :
« On a le sentiment que Stellantis a déjà atteint des niveaux impressionnants de rentabilité, et ne pourra pas aller beaucoup plus loin, surtout au regard du risque de récession et du plafonnement des prix qui pourrait finir par survenir. Il y a de gros doutes sur des prix toujours plus élevés ».
Et d'ajouter : « la liquidité industrielle disponible de Stellantis s'élève à 60 milliards d'euros avec 10 milliards d'euros de Free cash flow sur l'activité automobile attendue encore cette année. Ce qui explique en partie la réaction mitigée des marchés qui aimeraient des dividendes plus généreux ou, a minima, un programme de rachat d'actions ».
Pour Renault, les analystes sont moins enthousiastes. Même s'ils saluent le redressement spectaculaire du constructeur, ils estiment que le groupe, emmené par l'énergique Luca de Meo, souffre d'une implacable comparaison avec Stellantis.
« La dette et la génération de cash ne sont plus des sujets chez Renault. D'autant que le groupe profite d'un effet produit intéressant avec l'Arkana et l'arrivée d'Austral, et bien entendu avec le carton de Dacia. Mais quand on compare Renault à Stellantis, il n'y a pas photo », justifie Frédéric Rozier. Renault va mieux, mais reste plus exposé que son concurrent et compatriote Stellantis si une récession devait survenir. « Le potentiel est plus important chez Renault, mais le risque aussi », insiste Frédéric Rozier.
Un secteur aux proies aux doutes
La raison principale de ce désamour sur le secteur tient plus à des considérations conjoncturelles, estime Benjamin Sacchet. « Le marché est inquiet quant aux conséquences d'une récession qui surviendrait en 2023, mais nous estimons que le secteur automobile est moins cyclique qu'auparavant. Le niveau de marge et les bilans permettent au secteur d'être mieux préparé. » Une analyse partagée par Frédéric Rozier : « le marché anticipe une récession, mais à trois fois les bénéfices en moyenne, le secteur est bradé. On pourrait aller sur une valorisation qui s'élève à cinq, voire six fois l'Ebitda ».
Le secteur automobile est donc loin d'être mort. « L'âge moyen du parc automobile ne cesse d'augmenter, rappelle Benjamin Sacchet. Il a déjà atteint les 12 ans aux Etats-Unis, et l'Europe se rapproche de cette moyenne, alors qu'on oscillait autour de 9 ans dans les années 2000. C'est un gros réservoir de croissance. »
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