Coliving, coworking... l'immobilier d'entreprise rêve d’un choc de simplification

Propriétaires d'actifs de plus en plus hybrides, à la charnière de deux voire plusieurs réglementations, les sociétés immobilières et foncières (FSIF) demandent, par la voix de leur présidente Maryse Aulagnon, « un cadre juridique stabilisé ».
César Armand
Maryse Aulagon, pdg de Finestate et présidente de la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF, 120 milliards d'euros d'actifs, 24,7 millions de m², 40% du patrimoine des investisseurs français).
Maryse Aulagon, pdg de Finestate et présidente de la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF, 120 milliards d'euros d'actifs, 24,7 millions de m², 40% du patrimoine des investisseurs français). (Crédits : Reuters)

Crise du logement neuf, densification des centres urbains, recyclage des friches, transformation des bureaux en habitats... Entre la Covid-19, qui crée de nouveaux usages, et le dérèglement climatique, qui impose de reconstruire sur la ville, les grands propriétaires semblent prêts à revoir leur manière de gérer leur parc immobilier, à condition d'obtenir « un cadre juridique stabilisé ».

« Nous sommes partis d'un constat : nos actifs sont de plus en plus hybrides, à la charnière de deux voire plusieurs réglementations. Cela nous pose des problèmes d'exploitation », explique à La Tribune Maryse Aulagnon, pdg de Finestate et présidente de la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF, 120 milliards d'euros d'actifs, 24,7 millions de m², 40% du patrimoine des investisseurs français).

Assouplir l'interprétation des normes

Porté par le gouvernement comme par la ville de Paris, la transformation de bureaux en logements se heurte par exemple, encore et toujours, à de lourdes contraintes administratives, nationales et locales. Selon l'article 678 du Code civil, il est ainsi impossible d'avoir des « vues droites », fenêtres ou balcons, sur son voisin s'il n'y a pas 1,9 mètre de distance entre les deux bâtiments. De la même façon que les plans locaux d'urbanisme (PLU) imposent un « éclairement premier des pièces principales » - séjour et chambres - de 6 mètres.

« C'est séduisant de reconvertir des immeubles obsolètes, compte tenu de l'économie réalisée en termes de bilan carbone, mais instaurons une souplesse avec des dérogations au cas par cas, en tenant compte de l'usage final et des contraintes résultant du bâti existant », relève Maryse Aulagnon.
« Assouplissons l'interprétation des normes en tenant compte des usages », poursuit la présidente du SFIF.

Elle ne croit pas si bien dire. Selon une étude de l'Institut de l'épargne immobilière et foncière (IEIF), 41% des entreprises devraient poursuivre le télétravail au moins deux jours par semaine et donc réduire leur surface globale de 27%. Rien qu'en Île-de-France, cela libérerait 3,3 millions de mètres carrés. Soit quatre fois plus que les 900.000 m² de bureaux vacants actuellement.

Faire sauter quelques verrous

Certes, la loi Élan a octroyé un bonus de constructibilité de 30% pour permettre l'augmentation des gabarits - dans la limite du faîtage de l'immeuble voisin - de la même manière qu'elle a mis en place des exonérations aux obligations de création d'espaces de stationnement. Cela a permis de faire sauter quelques verrous, « mais je n'ai pas l'impression que cela ait totalement dynamisé ce marché », pointe l'avocate associée Elisa Bocianowski, responsable de la pratique immobilière chez Simmons & Simmons.

« Il faut toujours un permis de construire pour changer la destination et réaliser les travaux, avec les aléas et la longueur de l'instruction que cela implique. La transformation doit être compatible avec le PLU, le cas échéant il faut l'autorisation de la copropriété avec la règle de la majorité absolue pour entériner le changement de destination... », ajoute cette dernière.

D'autant qu'à l'heure actuelle, un mètre carré de bureau vide vaut toujours plus qu'un mètre carré de logement occupé. A la différence d'un investisseur tertiaire qui a une valeur d'actif et qui raisonne hors taxe (HT), la vente d'habitats se fait toutes taxes comprises (TTC). Rien qu'entre le prix du mètre carré habitable (logement) et celui du mètre carré utile (bureau), il existe un premier écart de 10 à 15%. Autrement dit, si un promoteur veut vendre 5.000 €/m² habitable, dont 30% de logements sociaux, cela lui revient à le vendre 4.250 € TTC, soit 3.500 € HT et même 3.200 € en termes de m² utiles.

Retranscrire le coliving dans les PLU

Le coworking permet, lui, de louer des bureaux pour une durée moindre aux baux classiques de 3, 6 et 9 ans grâce à une procédure de bail dérogatoire. Mais ce dernier est limité dans la durée. « Nous proposons qu'il soit possible de le reconduire une fois », affirme la présidente du SFIF.

Produit hybride de l'hébergement entre l'hôtellerie et le résidentiel, le coliving ne rentre, pour sa part, dans aucune de ces deux catégories. Au point d'engendrer des conséquences financières insoupçonnées. « Pourquoi faut-il un veilleur de nuit 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 en option hôtelière, et pas dans un régime résidentiel, alors que l'usage des murs est identique ? » s'interroge Maryse Aulagnon. « C'est une obligation extrêmement coûteuse qui nécessite en outre une formation adéquate », dit-elle encore.

Dès décembre 2019 dans La Tribune, l'avocate Anne Petitjean du cabinet Herbert Smith Freehills plaidait, d'ailleurs, pour que « le coliving soit clairement retranscrit dans les plans locaux d'urbanisme, ce qui facilitera et sécurisera le montage des opérations, notamment au stade du dépôt du permis de construire ».

Accélérer la reprise des opérations

« Donnons aux maires et aux préfets la possibilité d'interpréter l'application de la norme en fonction de l'usage des bâtiments » appuie la patronne du SFIF. « Ils restent encore dans l'autocensure, ou dans la posture confortable de s'en tenir aux réglementations préexistantes aux actifs hybrides, alors que de nombreuses possibilités de dérogations leur sont déjà ouvertes », insiste Maryse Aulagnon.

D'autant qu'entre 2019 et 2020, l'octroi de permis de construire a chuté de 14,7% et les mises en chantier ont reculé de 6,9%. Pour « accélérer » la reprise des opérations, elle recommande donc « d'instruire le recours préfectoral en deux mois plutôt que trois puisqu'en principe, les commissions spécialisées de la préfecture en ont déjà eu connaissance ».

Trois ans après l'inscription dans la loi du permis d'expérimenter pour déroger au Code de la construction et de l'habitation, « il semble n'avoir toujours pas trouvé d'application », regrette encore la présidente de la Fédération des sociétés immobilières et foncières. Il s'agissait pourtant de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultats.

Aboutir à une uniformisation des règles

« Si la réglementation détermine la qualité, il appartient dorénavant aux professionnels de tracer les chemins pour l'atteindre », déclarait à l'époque l'ex-ministre du Logement, Julien Denormandie, à La Tribune. Il n'empêche : cela avance, cette philosophie étant celle de la nouvelle réglementation des bâtiments neufs, dite « RE2020 », qui s'appliquera le 1er janvier 2022.

En attendant, Maryse Aulagnon « espère aboutir à une uniformisation des règles entre les différentes classes d'actifs pour faciliter les changements de destination et permettre la réversibilité des immeubles ». Une ultime proposition qui nourrira peut-être le projet de loi « Climat et Résilience » dont les débats reprendront à l'Assemblée nationale en séance publique le 29 mars prochain.

Invitée de Radio-Immo et de La Tribune le 21 janvier dernier, l'actuelle ministre du Logement s'était déclarée favorable à « aller un cran plus loin » en matière de constructibilité. « Que ce soit de droit, sauf si les maires s'y opposent », avait déclaré Emmanuelle Wargon.

Lire aussi : La surélévation des bâtiments, une fausse bonne idée ?

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 25/03/2021 à 16:04
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Un Choc de simplification pour tyran de la «  finance » immobilière ? qu’ils essayent la RD2 + la 3 , avec un peu de chance pour l’humanité ( population) le «  choc » sera très efficace pour eux!

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