C'est une surprise pour personne : la production de logements neufs s'est effondrée l'an dernier. Entre le premier confinement et le décalage de trois mois du second tour des élections municipales, seuls 381.600 permis de construire ont été délivrés et 376.700 habitats mis en chantier. Par rapport à 2019, c'est, respectivement, 65.800 permis de moins et 28.200 habitats de moins.
Logiquement, le secteur de l'habitat social s'est, lui aussi, écroulé. Selon les chiffres du gouvernement pour 2020, 90.000 logements sociaux ont été construits, et 87.501 agréments - autorisations à construire délivrés par les préfets de département - délivrés. Soit 22.500 de moins qu'en 2019.
Le "défi" de la ministre, le scepticisme des promoteurs
« Je lance un défi à tous sur la construction du logement social ; que le plan de relance 2021-2022 soit l'occasion de rattraper notre retard » a déclaré le 2 février la ministre du Logement sur BFMTV-RMC. « Avec les organismes HLM et les partenaires sociaux, je propose qu'on construise 250.000 logements sociaux en deux ans », a exposé Emmanuelle Wargon.
Pour parvenir à cet objectif, « il faut que les agréments soient délivrés en conséquence par l'Etat ou par les délégataires des aides à la pierre », souligne-t-on du côté de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). Car si la moitié des logements sociaux est réalisée directement par les organismes HLM, l'autre moitié est produite en vente en état futur d'achèvement (VEFA) par les promoteurs immobiliers. Ces derniers ayant l'obligation légale de réserver 20% de leurs programmes privés aux logements sociaux.
« Or, entre 2017 et 2020, le rythme annuel de délivrance des permis pour du logement collectif a diminué de près de 100.000 », insiste-t-on à la FPI. « Donc l'ambition du Gouvernement, et le volontarisme qu'elle traduit, risque de se heurter à une insuffisance de l'offre, même si des moyens sont mis en face », estiment les professionnels du logement neuf.
« Nous allons mettre 1,5 milliard d'euros avec Action Logement qui est l'organisme des partenaires sociaux et avec la Caisse des dépôts », a poursuivi la ministre du Logement. Effectivement, la filiale logement du groupe Caisse des Dépôts a aussitôt pris la balle au bond, s'engageant « pour la production de 42.000 logements sociaux en 2021 et 2022, soit une hausse de plus de 50% de sa production annuelle par rapport à 2020 ».
CDC Habitat et Action Logement répondent déjà présents
Après avoir déclenché dès la fin mars un premier appel à manifestation d'intérêt pour acquérir 40.000 logements neufs en vente en état futur d'achèvement (VEFA), CDC Habitat impulse, cette fois, un appel à projet visant la production de 30.000 logements locatifs sociaux sur deux ans, auquel elle associera son réseau d'organismes de logements sociaux partenaires.
Administré par les syndicats et le patronat, financé par les entreprises via la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), Action Logement apporte également sa pierre à l'édifice. Après avoir obtenu le 31 décembre dernier, 42.000 agréments, c'est-à-dire autant de logements qui devraient sortir de terre en 2021, 2022 et 2023, l'ex-1% Logement vient de voter le déblocage de 1,17 milliard d'euros au profit des bailleurs sociaux.
400 millions d'euros de subventions et 250 millions d'euros de prêts sur deux ans devraient ainsi permettre de financer d'ici à fin 2022 la construction de 110.000 logements PLAI (prêt locatif aidé d'intégration, Ndlr) et PLUS (prêt locatif à usage social, Ndlr). Soit près de la moitié de l'objectif gouvernemental de 250.000 logements sociaux dans les deux ans.
A ces 650 millions d'euros, il faut ajouter 210 millions d'euros pour l'édification de résidences pour étudiants et jeunes actifs (14.000 places). Sans oublier 150 millions d'euros pour financer 2.000 logements dans les quartiers politiques de la ville (QPV). Ou encore 100 millions d'euros contre l'habitat indigne avec des opérations de destruction-reconstruction et 10 millions pour financer 3.300 logements en colocation.
Action Logement maintient en outre les objectifs de son « plan d'investissement volontaire » déclenché en janvier 2019 et doté de 9 milliards d'euros. Sa foncière visant à transformer des bureaux en logements a déjà engagé 31 opérations pour un potentiel de 2.700 habitats. L'ex-1% Logement revendique en plus un premier apport de 2 milliards d'euros de fonds propres, prêts et subventions pour la construction de logements sociaux.
L'appel passe mal auprès des HLM
La ministre a parallèlement lancé un appel « aux organismes HLM pour qu'ils se remettent à construire ». Un appel que la présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH) a rejeté. « La baisse de production de logements sociaux n'est pas le fruit d'une ''résignation'' mais des attaques systématiques du gouvernement depuis quatre ans », a écrit sur Twitter Emmanuelle Cosse.
Sans le dire explicitement, l'ancienne ministre du Logement et de l'Habitat durable de François Hollande fait ici référence à la baisse des APL de 5 euros, à la réforme de ces mêmes APL en temps réel dite « contemporanéisation » ou encore au regroupement des offices publics de l'habitat de moins de 12.000 logements sociaux.
« C'est moi qui ai milité auprès du gouvernement pour qu'ils aient une ambition et qu'ils trouvent les moyens d'augmenter les aides à la pierre », affirme aujourd'hui Emmanuelle Cosse à La Tribune. « Cela ne règle pas pour autant les enjeux de durcissement politique sur l'acte de construire. Nous allons poursuivre les discussions avec les élus locaux », ajoute-t-elle.
Dans un second tweet, Emmanuelle Cosse fait d'ailleurs remarquer à Emmanuelle Wargon que « pour produire plus de logements sociaux, il faut que les préfets fassent appliquer partout la loi SRU ». Autrement dit, que la loi sur la solidarité et renouvellement urbain (SRU), votée le 13 décembre 2000, imposant 20% de logements sociaux en 2020, puis 25% en 2025, soit bien respectée.
Le sujet est "trop sérieux" pour les maires
De même que la présidente de l'USH souhaiterait que les préfets « soutiennent » les bailleurs de l'Union sociale pour l'habitat (USH) « face à des élus qui bloquent nombre de [leurs] projets ». L'actuelle ministre du Logement a, elle, lancé un autre appel, cette fois aux maires pour qu'ils délivrent des permis de construire.
« Le sujet est trop sérieux pour « jouer » à lancer des défis. Nous avons des carences de logements sociaux dans certains territoires qu'il faut prendre à bras le corps avec une vision globale, c'est la mission de l'Etat ! », réagit Patrice Bessac, président (PCF) du territoire Est-Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Romainville).
L'édile, qui s'apprête à créer une société anonyme de coordination (SAC) pour réunir quatre bailleurs sociaux d'un patrimoine total de 26.000 logements, juge que c'est à Emmanuelle Wargon « d'imposer a minima la loi SRU », sachant que « des territoires freinent pour construire et accueillir les ménages les plus modestes ». Dans sa collectivité, partie prenante de la métropole du Grand Paris, il recense déjà 44% de logements sociaux et même 60% dans certaines communes.
2,5 millions de Français en attente d'un logement social
Des pourcentages d'HLM aussi élevés, le gouvernement vient de faire savoir qu'il n'en voulait plus. En déplacement le 29 janvier à Grigny (Essonne) pour le Comité interministériel de la Ville, Jean Castex a annoncé que les villes qui comptent déjà 40% de logements sociaux ne pourraient plus en accueillir davantage.
« Nous allons prendre une circulaire pour que les préfets puissent s'opposer aux projets de construction de logements sociaux s'il y en a trop. Si c'est une résidence étudiante, une résidence pour personnes âgées ou si l'on détruit du logement social pour faire une opération mixte avec du logement privé, il n'y a pas de problème. En revanche, si c'est une offre supplémentaire qui vient accroître la pauvreté avec des loyers trop bas, les préfets pourront s'y opposer », a précisé, le 1er février à La Tribune, la ministre de la Ville Nadia Hai.
Il n'en demeure pas moins que 2,5 millions de Français sont en attente de logement social et même 4,1 millions de mal-logés selon la fondation Abbé Pierre. « Les bonnes intentions exprimées par la ministre ne doivent pas rester lettres mortes », exhorte ainsi Hervé Legros, pdg d'Alila, promoteur spécialisé dans le logement abordable. Le cas échéant, l'objectif de construire 250.000 logements sociaux d'ici à 2022 ne sera pas tenu.
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