Nantes : les professionnels de l’immobilier se mobilisent dans le débat citoyen sur la « Fabrique de la ville »

Jusqu’en juillet prochain, les Nantais sont invités à donner leur avis et à venir débattre sur les futures orientations de « la fabrique de la ville ». En interrogeant les habitants, les acteurs associatifs, économiques et les politiques, ce quatrième débat citoyen veut être une prise de conscience des évolutions de la société et du climat. Et des changements qu’ils imposent dans l’habitat, l’urbanisme, les transports… En première ligne, les professionnels de l’immobilier nantais qui s’impliquent dans une démarche complexe, promise à de nombreux clivages.
Un comité de sept citoyens tiers-garants veillera au bon déroulement des offres participatives et s’attachera à la sincérité et à l’indépendance du rapport final du débat sur la fabrique de la ville, rendu public en fin d'année 2023.
Un comité de sept citoyens tiers-garants veillera au bon déroulement des offres participatives et s’attachera à la sincérité et à l’indépendance du rapport final du débat sur la fabrique de la ville, rendu public en fin d'année 2023. (Crédits : NM)

Si le sujet n'est, officiellement, pas posé en ces termes, la question de l'acceptabilité des transformations sera au cœur du grand débat ouvert à Nantes sur « La Fabrique de la Ville » jusqu'à la fin juillet.  Autrement dit, les 656.275 habitants de la métropole sont-ils prêts à plus de densité, à voir s'élever des immeubles de grande hauteur, à réduire ou revoir leurs déplacements pour préserver et reconstituer des espaces de biodiversité ? Dans un contexte de poussée démographique, de rareté du foncier, des logements, des bureaux... d'urgence climatique et de préservation des ressources, les questions se bousculent.

Pour tenter d'y voir clair, Nantes Métropole s'est appuyée sur une quinzaine d'experts pour quadriller un débat complexe où la Métropole aimerait entendre toutes les générations, toutes les couches sociales et tous les milieux professionnels. « A une période où les enjeux d'adaptation de nos villes aux conditions climatiques, à l'enjeu social de se loger et d'accueillir tout le monde, on voit bien que derrière le développement urbain se posent un certain nombre de questions et interrogent les citoyens », remarque Pascal Pras, vice-président de Nantes Métropole, délégué à l'urbanisme durable, l'habitat et aux projets urbains. L'exercice va devoir concilier la lutte contre l'artificialisation des sols, la préservation de la biodiversité, les déplacements urbains... « et en même temps assurer le renouvellement urbain de l'agglomération», dit-il.

Ou mettre les curseurs de l'individuel et du collectif

Après la Loire en 2014, la transition énergétique en 2016 et la longévité en 2019, ce quatrième « Grand débat citoyen » tentera, donc, de déminer les écueils de la fabrique de la ville, autour de quatre grandes questions portant sur les usages et les modes de vie, les méthodes de construction, l'adaptation au dérèglement climatique pour réinventer une métropole résiliente, dépasser les tensions et les controverses... A ces sujets se mêleront les problématiques d'innovation, de l'utilisation des nouveaux matériaux (chanvre, terre crue...), de l'eau,  de la rénovation énergétique des bâtiments, des coûts de construction, la mobilité et les places de parking, du ZAN (Zéro Artificialisation Net)... et par extension de la verticalité, cette technique visant à construire en hauteur pour réduire l'empreinte au sol et qui annonce de nouvelles façons de vivre, d'habiter, de stationner ou pas... Le citoyen est-il prêt à les entendre ?

Débloquer le parcours résidentiel

« Tout le défi à relever est de se dire comment à l'horizon 2030 ou 2050, allons-nous pouvoir continuer à accueillir habitants et professionnels en mettant un peu plus d'intensité dans la ville en reconstruisant la ville sur la ville en ayant en tête les problématiques environnementales. Peut-être que pour végétaliser un peu plus, il va falloir augmenter la densité de la ville, un peu partout, comme sur l'ile de Nantes. Il ne s'agit pas de remettre en cause la maison individuelle mais de déterminer à quel endroit on vit en individuel, à quel endroit on vit en collectif... et ou mettre les curseurs pour ne pas bloquer l'agglomération», indique Benjamin Haguenauer, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) des Pays de la Loire qui entend saisir « l'opportunité » de ce débat pour débloquer le parcours résidentiel et relancer une construction, jugée déficitaire. « Tout le challenge est de répondre à l'ensemble des populations », dit-il, prêt à soumettre des cahiers d'acteurs, des propositions et hypothèses de travail aux élus pour alimenter le débat et maintenir l'attractivité du territoire. Reste que le modèle de l'île de Nantes, où a émergé une flopée d'immeubles à l'attrait discutable, laisse pour le moins perplexes nombres d'observateurs, qui n'ont sans doute pas eu le loisir de profiter, de l'intérieur, des vues panoramiques et d'une luminosité rare sur la ville... Suffisant ?

Pas seulement les politiques publiques

Quoi qu'il en soit, en première ligne, les professionnels de l'immobilier, déjà acculturés par la mise en œuvre de la réglementation RE2020 et depuis le 1er janvier 2023 l'application d'un carbone score sur les tous les éléments de construction d'un bâtiment neuf, se réjouissent de ce moment inédit. « Nous sommes dans le siècle de l'épuisement des ressources. Il va falloir qu'on invente une ville qui se reconstruit sur elle-même avec des matériaux qu'elle détient en elle-même. Cela aura forcément un grand impact », prévient Pierre Yves Legrand, directeur du cluster du BTP Novabuild, engagé dans l'écoconstruction. Pour lui, l'intérêt de ce grand débat réside dans l'association de l'ensemble des acteurs, qu'ils soient experts de leur vie ou experts des solutions constructives. « Ça fait dix ans que je suis à Novabuild, c'est une chose que l'on ne voit pas si souvent. Il y a tout lieu de se satisfaire même si l'on ne sait pas à quoi cela va aboutir », reconnait-il, conscient des controverses à venir sur la densification. « Ce sera compliqué, mais on va s'impliquer dans les ateliers et on assurera un suivi derrière. Car pour une fois, contrairement aux précédents débats, il ne s'agit pas seulement de transformer les politiques publiques», dit-il.

Un phénomène d'urgence

Pour Christine Serra, présidente du Club Immobilier Nantes Atlantique (CINA) et directrice régionale de BNP Paribas Real Estate, il y a urgence à se mettre autour de la table. « Personne n'aime voir une grue au fond de son jardin. Mais quand on ne peut pas loger les gens cela cristallise tous les problèmes de la société. Si on ne loge pas les migrants ou les personnes en difficulté, on ne fera pas de logement social. Or, celui-ci marche avec le privé. Si la roue ne tourne plus, ça va s'arrêter pour tout le monde. Ces questions vont bien au-delà du grand débat mais celui-ci tombe à pic », reconnait la présidente du CINA, qui vient de publier un livre blanc intitulé « [Dé] construire nos modèles pour [Re]penser la ville. ». Le Club immobilier entend bien, lui aussi, amener sa pierre à l'édifice en relayant la vision de ses adhérents (promoteurs, des syndics, des avocats spécialisés en immobilier, des notaires, des bureaux d'études, des commercialisateurs...) « Il y a un petit phénomène d'urgence à passer des intentions aux actes dans une métropole où il manque 4.000 logements et le taux de vacances est inférieur à -2% », dit-elle.

Pas de filière locale pour construire en bas carbone

Selon les professionnels de l'immobilier, il faudrait construire 7.500 à 8.000 logements par an alors que le PLH (Plan Local de l'Habitat) en prévoit 6.000 dont seuls 4.000 seraient effectivement construits. Reste que le dérèglement climatique a bousculé la donne et fait émerger de nouveaux enjeux, pas toujours aisés à appréhender.  Si, par exemple, l'idée d'un immeuble bas carbone, utilisant des matériaux recyclés fait son chemin, sa mise en œuvre reste encore très hypothétique. « Aujourd'hui, aucune filière n'existe en local pour répondre à la demande. Est-ce aux promoteurs de créer cette filière industrielle alors que citoyens et élus ne veulent pas trop d'industries sur leur territoire», questionne la présidente du CINA. « On voit bien que le citoyen est un frein au développement et à la construction de logements, de bureaux, de commerces...   Alors, c'est bien qu'il s'empare de ces questions et nous fasse part de ses attentes », dit-elle, redoutant aussi des élus devenus réfractaires à la construction.

« La temporalité de l'immobilier va bien au-delà d'un mandat », tacle-t-elle. « Dire stop ne résout rien. De ne pas pouvoir loger ou accueillir des entreprises, risquent d'appauvrir le territoire. Et de toutes façons, les gens arrivent coûte que coûte. Et, on ne va pas mettre un mur autour de Nantes !...». Le débat promet d'être riche. Une feuille de route doit être établie en fin d'année pour lancer un plan d'actions dès 2024. Plus de cinquante-trois mille nouveaux habitants sont venus s'installer sur l'agglomération nantaise entre 2014 et 2020.

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