Réindustrialisation : y aura-t-il assez de place pour ouvrir des usines ?

Le projet de loi sur l'industrie verte a beau mettre beaucoup de moyens sur le foncier, l'argent de l'État et de l'Union européenne ne fera pas tout. Des témoignages affluent déjà sur la spéculation des acteurs privés, tandis que le sujet des friches fait encore et toujours débat. Des maires proposent donc de taxer les locaux industriels non-exploités, même s'il existe des modèles économiques pour porter les terrains publics. D'autant qu'à l'heure du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, la réindustrialisation risque de venir percuter tous les autres usages. Décryptage.
César Armand
« Les bonnes terres sont en effet autour des villes là même où l'on va construire les entrepôts. Aujourd'hui, on regarde la quantité de surface sans se pencher sur la qualité », grince l'avocate Carole Steimlé, associée en immobilier au cabinet Reed Smith.
« Les bonnes terres sont en effet autour des villes là même où l'on va construire les entrepôts. Aujourd'hui, on regarde la quantité de surface sans se pencher sur la qualité », grince l'avocate Carole Steimlé, associée en immobilier au cabinet Reed Smith. (Crédits : DR)

Comment réindustrialiser sans trop artificialiser les sols ? C'est le dilemme auquel est confronté le gouvernement, ainsi que les élus locaux. Dans le cadre du projet de loi sur l'industrie verte, l'État pense avoir trouvé la parade : il va cofinancer via le « Fonds vert » de l'aménagement de sites industriels et faire contribuer la Banque des territoires à hauteur de plus de 1 milliard d'euros d'ici à 2027. L'entité de la Caisse des Dépôts va en effet apporter 450 millions d'euros sur la table pour « pré-aménager et pré-équiper par anticipation » 50 nouveaux sites clés en main pour environ 2.000 hectares, ainsi que 650 millions d'euros pour « construire de l'immobilier industriel, dépolluer et revitaliser les friches ».

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Ce n'est pas tout. Reprenant le constat des Intercommunalités de France, selon lequel deux-tiers des territoires refusent l'implantation de nouveaux projets économiques faute de place, l'État va faire bénéficier les porteurs de projets et les élus d'un portail national de datavisualisation du foncier industriel et cofinancer avec la Banque européenne d'investissement (BEI) « un outil de financement en fonds propres et quasi-fonds propres » pour les projets de réhabilitation des friches. « 170.000 hectares de friches sont prêts à être reconquis et valorisés », estime Bercy.

Des témoignages sur la spéculation

Le gouvernement a également missionné le préfet Rollon Mouchel-Blaisot sur la « mobilisation du foncier industriel ». Après avoir dévoilé une première contribution au sommet Choose France le 15 mai dernier, il vient de remettre sa copie définitive.

« Nous avons besoin de réserves foncières pour aujourd'hui et demain et de répondre aux petits projets d'extension avec autant de célérité que pour les grands projets. Le foncier est une matière vivante - on en crée et on en détruit », confie-t-il à La Tribune.

Et d'ajouter : « J'ai plus que des témoignages sur la spéculation, mais aussi sur les difficultés à acquérir ou à préempter, voire à maîtriser et à porter le foncier sur le long-terme. L'État déconcentré [les préfectures] et les élus peuvent agir et travailler dans le même sens ».

L'argent public ne fait pas tout

Il serait difficile de lui donner tort. L'argent public ne fait pas tout, et si les espèces sonnantes et trébuchantes sont nécessaires, l'État minimise (encore) les contraintes opérationnelles. Le double objectif inscrit dans la loi « Climat & Résilience » de 2021 de réduire de moitié l'artificialisation des sols d'ici à 2031, puis de viser le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050, freine déjà les porteurs de projets et les élus locaux.

Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a ainsi poussé en faveur d'une exemption des projets d'industrie verte du ZAN. Une piste retenue par le Sénat qui a adopté un amendement en ce sens lors de l'examen du projet de loi. Jusqu'à ce que le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires dépose à l'Assemblée nationale un amendement contraire dans la proposition de loi du Sénat visant à soulager les maires démunis face au ZAN. À la différence de son collègue de Bercy, Christophe Béchu a fait intégrer les projets d'industrie verte dans la liste des 15.000 hectares prévue pour les grands projets nationaux.

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Les friches suffiront-elles ?

Car de l'avis général, « les friches ne suffiront pas pour réindustrialiser et relocaliser très rapidement », comme l'estime le président de la Fédération française du bâtiment.

« Il faut parfois 5-6 ans pour les dépolluer, et il est illusoire de penser qu'on va reconstruire des usines en cœur de ville, ne serait-ce qu'à cause de l'acheminement des matières premières en transport », enchaîne Olivier Salleron.

Autre écueil lié à ces friches urbaines : les installations classées protection de l'environnement (ICPE) « risquent de ne pas être recevables du fait de leur proximité avec les habitats », pointe Laurent Trogrlic, président (PS) de la communauté de communes du Bassin de Pompey (Meurthe-et-Moselle)De fait, elles sont catégorisées comme telles, car présentant un risque pour l'eau, l'air, les sols, voire des dangers d'incendie ou d'explosion.

« Ces tensions foncières existaient avant la loi Climat », rappelle Caroline Granier, autrice de "Refaure l'industrie, un projet de territoire pour La Fabrique de l'Industrie", « et il est vrai que l'activité industrielle ne se prête pas forcément à la verticalité », souligne-t-elle, en référence aux discours sur la densification de l'industrie.

Vers une taxe sur les locaux industriels non-exploités ?

À défaut, les industriels peuvent toujours compacter leur activité, à savoir utiliser au maximum leurs capacités foncières, mais « cela requiert une véritable urbanisation des emprises industrielles et un cadre réglementaire stable », rappelle Guillaume Savard, patron du cabinet de conseil Upside.

Le président (LR) des Villes de France, qui porte la voix des villes moyennes, va plus loin. De son côté, il défend le lancement d'un établissement public foncier national dédié aux fiches pour porter le coût de l'endettement. Ou encore la création d'un fonds pérenne de reconversion des sites industriels corrélé à une taxe locale sur les locaux industriels non-exploités.

« Objectif : inciter le propriétaire à le céder et à alimenter un fonds auquel pourraient prétendre les collectivités et leurs établissements publics », précise Gil Avérous.

« Le mot ''planification'' n'est plus un gros mot », juge, de son côté, Lionel Grotto, directeur général de l'agence d'attractivité Choose Paris Region. « Méfiant » à l'égard des stratégies de réservation, c'est-à-dire à l'acquisition progressive de terrains afin d'anticiper les opérations d'aménagement, il se dit « vigilant » sur les reventes et la spéculation.

Et pour cause, depuis la promulgation de la loi « Climat & Résilience », les maires alertent leur président David Lisnard (AMF) sur ces pratiques « rationnelles, mais prédatrices » de sociétés foncières « qui achètent à tour de bras ».

Des sociétés publiques privées pour protéger les terrains

Pour éviter que le foncier leur échappe, les élus lancent des établissements publics locaux (EPL), ces sociétés où les collectivités s'associent à des décideurs privés, tout en conservant la majorité voire l'intégralité de l'actionnariat. Il s'agit des sociétés d'économie mixte (SEM) au sein desquelles les acteurs publics détiennent entre 50% et 85% du capital social, ainsi que des sociétés publiques locales (SPL) où ces derniers sont 100% actionnaires. Des sociétés anonymes hybrides contrôlées par les experts-comptables et vérifiées par la Cour des comptes.

« Les EPL permettent à la fois de confronter le regard économique et le regard politique sur un projet de long-terme, mais aussi de garder la maîtrise politique avec un ancrage local tout en dégageant des bénéfices et de la rentabilité », explique Tiéfaine Concas, responsable territorial à la Fédération des EPL.

Un modèle qui a convaincu le conseil régional francilien de lancer sa propre SEM Île-de-France Investissements et territoires dès juillet 2020, dans la foulée du premier confinement. « Nous pouvons porter pour un tiers du foncier, lui louer, voire lui permettre de le racheter », déclare sa présidente Alexandra Dublanche, vice-présidente (LR) chargée de la Relance, de l'Attractivité, du Développement économique et de l'Innovation.

D'autres outils existent, signale le directeur général de Grand Paris Aménagement, Stephan de Fay, comme le dispositif de tiers-demandeur. Celui-ci permet à une entreprise privée de demander à un aménageur public de dépolluer le sol à coût fixe avec une obligation de résultat. Autre levier, la conclusion d'un bail à construction de 70 ans. Le preneur du foncier réduit ses coûts d'acquisition, mais en contrepartie, s'acquitte d'un loyer tout le long du bail.

Les autres usages empêchés ?

Et ce, alors que la réindustrialisation risque de venir percuter tous les autres usages du foncier.

« Le gros sujet, c'est la requalification des zones d'activité économique existantes qui sont saturées à 90%. Selon Intercommunalités de France, moins de 10% d'entre elles sont en capacité d'accueillir un prospect qui a besoin de 10 hectares », relève Arnaud Le Lan, directeur Aménagement à la SCET (groupe Caisse des Dépôts).

Pas de quoi inquiéter toutefois Olivier Lluansi, associé PwC Strategy&, Senior Fellow à l'ESCP Paris. Selon lui, deux-tiers des cent derniers grands projets industriels ont été réalisés sur des terrains déjà artificialisés. Tant est si bien que le besoin total pour réindustrialiser pourrait être de 30.000 hectares. Suite à quoi, « nous disposerions encore de 40.000 à 100.000 hectares pour construire des bureaux, des commerces et du logement », assure-t-il.

« La logistique est un impensé ! »

À condition de ne négliger aucune des autres activités économiques. « On oublie que pour un mètre carré d'industrie, il faut au moins un m² de logistique. C'est un impensé », pointe la directrice déléguée de l'Afilog, qui représente les professionnels de l'immobilier logistique.

« La réindustrialisation, c'est aussi des TPE-PME et des ETI qui ont besoin de surfaces logistiques à des loyers maîtrisés », explique Diane Diziain.

D'autant que, selon ses chiffres, près de 160 hectares de logistique environ sortent de terre chaque année.

Et si la solution venait de la SNCF ?

De ce point de vue, le conseil régional d'Île-de-France a décidé, dès le mois d'avril dans le cadre de son schéma directeur (SDRIFE), de conserver 28.000 hectares, dont 14.000 aux filières d'avenir type gigafactories sur 50 sites répertoriés existants ou en phase de mutation, 13.000 pour les sites économiques déjà établis, 600 pour les nouveaux sites et... l'agriculture qui sera « confortée », assure le vice-président (UDI) chargé du SDRIFE, Jean-Philippe Dugoin-Clément.

« Les bonnes terres sont en effet autour des villes, là où l'on va construire les entrepôts. Aujourd'hui, on regarde la quantité de surface sans se pencher sur la qualité », grince l'avocate Carole Steimlé, associée en immobilier au cabinet Reed Smith.

La solution viendra peut-être de la SNCF, parmi les premiers propriétaires fonciers du pays avec l'Église et l'État. « Oui, notre foncier peut être utile pour aider les industriels à relocaliser, mais aussi contribuer à l'objectif de ZAN. Nous avons en effet déjà du foncier dévolu à de l'industrie entre nos ateliers et nos technicentres », affirme Katayoune Panahi, directrice de SNCF Immobilier. À bon entendeur...

César Armand

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Commentaires 8
à écrit le 06/07/2023 à 7:21
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Bonjour, avant toute chose , ils y a des friche industrielle dans de nombreuses régions... Et certains départements sont très vastes au terre cultivables réduite... Donc de nouvelles usine, défini l'installation de population importantes sur des zon...

à écrit le 05/07/2023 à 20:27
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Qu ils viennent dans ma region y a de la place .. ..que de belles paroles tout ça a mon avis Ils disent ne pas avoir de terrain mais en fait y a pas de reindustrialisation .. c est du barratin de ce gouvernement pour vous faire croire qu ils bo...

à écrit le 05/07/2023 à 15:20
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Bonjour, Que de voeux pieux. On va encore s'attaquer aux terres arables bien plates à haut niveau hydrique. À 50 cmes le M2 ça peut le faire! Suffit de demander au maire et zu une préemption, la paisan n'a plus qu'à la fermer, lol! Bien sûr la SN...

à écrit le 05/07/2023 à 14:50
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Il faut arrêter les délires. L'Allemagne a une industrie beaucoup plus puissante que la nôtre, une population supérieure (85 millions d'habitants contre 67), et une surface inférieure (358 000 km2 contre 550 000 km2, et elle arrive très bien à case...

à écrit le 05/07/2023 à 13:12
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Nous avions les usines quand nous avions de l'énergie pas cher. Sans énergie bon marché, pas d'usines.

à écrit le 05/07/2023 à 11:03
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"l'argent de l'État et de l'Union européenne ne fera pas tout." Le projet de loi de finances 2023 fixe à 24 586 milliards d'euros la contribution de la France au budget de l'Union européenne pour 2023.Pour résumer ,c'est plutôt l'argent de l'état ...

à écrit le 05/07/2023 à 8:51
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Des usines pourquoi faire? Créer des emplois? Obtenir des subventions? Faire de l'export avec beaucoup de publicité? Faite un retour sur le passé et voyez ce qui était indispensable ! ;-)

à écrit le 05/07/2023 à 7:13
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Pourtant aucun souci quand il s'agit de construire des usines à goudron, pas la moindre hésitation même. Non c'est comme d'habitude il y a ce que les propriétaires de capitaux et d'outils de production ont envie de faire et ce qu'ils n'ont pas envie ...

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