Le rachat de AAA "montre que nous reconnaissons l'excellence de la France" (Strigini, Novartis)

Acquisition de la société française AAA, lancement du premier traitement basé sur l'édition du génome... Bruno Strigini, patron de la division oncologie de Novartis, revient sur l'accélération du deuxième laboratoire pharmaceutique mondial dans la cancérologie.
Jean-Yves Paillé
"Le climat évolue en France et nous amène à y investir", explique Bruno Strigini, patron de la division oncologie de Novartis.

LA TRIBUNE - Vous êtes le premier laboratoire à lancer aux États-Unis un anticancéreux basé sur les CAR-T, une méthode associant immunothérapie et édition du génome, avec un prix record (475.000 dollars par patient). Les négociations en Europe et notamment en France risquent d'être difficiles...

BRUNO STRIGINI - Le National Institute For Health and Care Excellence (une autorité de santé britannique, NDLR), reconnue comme l'institution experte dans le domaine de l'économie de la santé, a chiffré le coût de notre traitement entre 600.000 et 700.000 dollars. On a fixé outre-Atlantique un prix inférieur, correspondant à la valeur qu'on apportait avec ce traitement contre la leucémie aiguë lymphoblastique. On a conduit des études d'économies de santé. Nous avons déterminé quatre facteurs pour fixer le prix : la valeur intrinsèque par rapport au traitement existant, la valeur pour le patient, et le niveau de qualité de vie du médicament (effets secondaires, NDLR), la valeur pour le système de santé, et l'impact pour la société d'un point de vue économique. Nous allons tenter d'appliquer en Europe ces principes suivis aux États-Unis.

Il est temps que les systèmes de santé voient dans le médicament une solution pour réduire le coût de la prise en charge des maladies, au lieu de le considérer comme un coût. Un médicament révolutionnaire peut permettre d'éviter des hospitalisations, par exemple. Il faut sortir des silos des systèmes de santé qui fixent des budgets hôpitaux, médicaments, etc.

Vous avez proposé de faire payer votre nouveau cancéreux seulement pour les patients traités y répondant au bout d'un mois. Cela sera-t-il valable pour l'Europe ?

Nous voulons en effet appliquer ce principe de contrat à la performance pour les pays européens également.

Les CAR-T montrent une grande efficacité avec des taux de rémission pouvant dépasser les 80% pour certains traitements, mais nous n'avons qu'une vision sur le court terme avec des résultats d'essais cliniques sur quelques mois...

Nous suivons les patients dans le temps. La technologie est récente. Nous rapporterons régulièrement des informations sur le suivi des personnes soignées avec nos traitements. Il faut rappeler que le patient numéro 1 a été infusé il y a cinq ans, et nous continuons à le suivre. Il y a une durabilité dans ce type de traitement.

Les CAR-T promettent d'importants revenus pour votre laboratoire. Sont-ils un relais de croissance permettant de pallier la baisse des revenus du Gleevec (contre la leucémie myéloïde chronique) dont le brevet est tombé dans le domaine public ?

Nous ne le voyons pas comme cela. Cela fait partie du cycle normal dans notre entreprise. Depuis le lancement du Gleevec, qui a généré plusieurs milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, on a lancé beaucoup d'autres produits, et acquis le portefeuille oncologie de GSK en 2014. Cette année, outre le Kyrmriah, nous avons commercialisé deux produits aux États-Unis, le Kisqali dans le cancer du sein, le Rydapt dans la leucémie myéloïde aiguë.

L'oncologie est-elle amenée à prendre une place encore plus importante dans Novartis ?

Aujourd'hui, cette activité représente un quart de notre chiffre d'affaires. C'est déjà un pilier très important dans notre organisation est scindée en deux unités : la première est dédiée à la pharmacie en général, l'a seconde à oncologie. On a énormément investi dans l'immuno-oncologie dans les quatre dernières années. Le CAR-T est le premier produit sorti, mais on dispose en tout de dix-huit produits en clinique dans le domaine. Nous continuons à nous renforcer en oncologie l'acquisition de la société française AAA pour 3,3 milliards d'euros, le mois dernier.

Envisagez-vous de nouvelles acquisitions en cancérologie ?

Oui, mais pas des méga-acquisitions. Plutôt des acquisitions qui sont complémentaires et importantes à l'instar de celle de AAA, et dans le même ordre de grandeur.

Pourquoi l'acquisition d'AAA est-elle si importante pour Novartis ?

Nous n'avions aucune présence dans la médecine nucléaire auparavant. En mettant la main sur AAA, on acquiert un produit lancé en Europe le Luthathera pour les tumeurs neuroendocrines et une plateforme de théranostique (diagnostic et thérapie, NDLR). Novartis accède également à des produits prometteurs à des stades de recherche précoces avec des applications potentielles dans le cancer de la prostate et peut-être dans d'autres domaines.

Nous sommes particulièrement séduits par l'accès à la plateforme de théranostique de AAA qui est complémentaire avec notre activité en oncologie. En clair, avec cette méthode, un même produit sert au diagnostic et au traitement d'un cancer. Une protéine, le se fixe sur des récepteurs exprimés sur les cellules présentes dans les tumeurs neuroendocrines. En attachant une protéine à un radio-isotope, on permet à ces protéines de se fixer sur les récepteurs. Le radio-isotope pénètre alors la cellule pour la détruire.

On ne va toutefois pas se lancer dans la fabrication de diagnostic à grande échelle comme Roche. Par contre, il est clair que celui-ci est important pour le développement d'anticancéreux qui s'adressent à certaines mutations. D'autant plus que les thérapies ciblées sont au cœur de la stratégie de Novartis en oncologie.

La France semble avoir une grande importance dans votre stratégie...

Le climat évolue en France et nous amène à y investir. Je fais référence au contexte économique favorable pour le secteur dans le pays, avec notamment la mise en place du crédit d'impôt recherche. Cette mesure rend la France plus attractive que plusieurs autres pays

Ainsi, nous avions déjà annoncé fin 2015 900 millions d'euros d'investissements dans l'Hexagone. Nous avons actuellement plus de 3.000 employés sur le territoire, et 2.000 collaborateurs français travaillant en Suisse. Avec le rachat de AAA, qui est situé dans l'Hexagone près de la frontière suisse, notre présence va être renforcée. Il y aura une entité légale en France pour cette société.

Cette transaction et ces investissements montrent que nous reconnaissons l'excellence du pays dans le domaine de la recherche et de sa science. Il faut rappeler que nous sommes aussi le premier promoteur d'essais cliniques sur le territoire et le premier laboratoire en termes de ventes de médicaments.

Il y a néanmoins des progrès à faire sur les aspects réglementaires ou encore l'accès à l'innovation en France. Celui-ci est beaucoup plus lent qu'en Angleterre, par exemple.

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 22/11/2017 à 9:33
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Une moyenne de 500000$ le traitement ! Mais qui pourra se payer pareil luxe pour une hypothetique guerison ?

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