200 personnes et des élus locaux ont manifesté le 3 août à Revin, dans les Ardennes, sur le site où les cycles Mercier auraient dû démarrer en décembre leur production de vélos "Made in France". Le projet avait été inauguré en grande pompe le 15 mars en présence de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Mais l'Etat a annoncé vendredi 30 juillet le retrait de son soutien financier à ce projet porté par Jean-Marc Seghezzi, président de CEMF (Cycles, Electricité et Mobilité Française) et propriétaire de la marque Mercier.
"Mercier ne viendra plus sans cet accompagnement par l'Etat, que nous estimions entre 6 millions d'euros et 8 millions d'euros", conclut déjà Richard Swajcer, directeur de cabinet à la Communauté de communes Ardenne Rives de Meuse. La collectivité locale est propriétaire de la friche industrielle mise à la disposition de l'industriel. Elle devra trouver un nouvel occupant pour cette "Friche Porcher", du nom du fabricant de sanitaires qui a déserté les lieux depuis 2011.
Les embauches étaient lancées
Dans ce territoire de la pointe des Ardennes, où le taux de chômage atteint 25 %, la venue de Mercier était ressentie comme une bouée de sauvetage avec ses 250 emplois. "Aujourd'hui, je suis en colère, avec une incompréhension totale, un abandon voire un lynchage", a réagi Jean-Marc Seghezzi auprès de La Tribune. "Le projet était bouclé, j'avais tous les écrits en mains, les rescrits sociaux et fiscaux validant un dispositif "Bassin d'Emploi à Redynamiser". L'investissement et les commandes de machines étaient faits, financés par mes soins, avec l'envie de ramener en France cette marque rendue populaire par Raymond Poulidor. Les premières démarches d'embauches avaient démarré", explique Jean-Marc Seghezzi. L'industriel avait détaillé son projet lors de la visite de Jacqueline Gourault. Il tablait sur une production annuelle de 500.000 vélos, dont la moitié de vélos électriques.
Dans les Ardennes, les élus et les services qui ont accompagné Mercier s'interrogent sur les raisons du mouvement de volte-face de l'Etat. "C'est une aide liée au récent dispositif Territoire d'Industrie qui a été retirée", croit comprendre Jean-Louis Amat, directeur de l'agence départementale Ardennes Développement. "Les services de Bercy ont été alertés sur des éléments financiers liés à des droits de douane", affirme Richard Swajcer, plus précis. "Nous ne connaissons pas les raisons profondes de ce renoncement qui intervient six mois après un tas d'éloges faites envers cette entreprise", tranche Bernard Dekens, président de la Communauté de communes Ardenne Rives de Meuse.
"A l'occasion de l'instruction du dossier, un certain nombre d'alertes nous sont parvenues qui ont suscité des investigations complémentaires et conduit l'État à indiquer qu'il ne peut pas finalement accorder les subventions qui étaient prévues", a déclaré à l'AFP le préfet des Ardennes, Jean-Sébastien Lamontagne. Des doutes ont aussi plané sur le montage financier retenu par Jean-Marc Seghezzi, qui s'appuie sur sa société de participation financière luxembourgeoise Starship Investments pour mener à bien son projet.
Divergences sur les droits de douane
Contactés par la Tribune, les services de la préfecture des Ardennes indiquent avoir relevé "des divergences d'interprétation" quant à des "pratiques douteuses relatives aux droits de douane et aux pratiques anti-dumping" liées au passé industriel de Jean-Marc Seghezzi dans une autre société, Trace Sport SAS. Le propriétaire de Mercier a été mis en cause dans une affaire jugée fin 2019 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, n° C-251/18), introduite par les douanes néerlandaises "au sujet de la légalité de deux avis de paiement de droits de douane pour l'importation de bicyclettes originaires et expédiées du Sri Lanka". "Nous partageons la déception des élus locaux", indique-t-on simplement à la préfecture.
"Nous ne pouvons que croire qu'une telle position a été prise sur le fondement d'informations malveillantes ou erronées", se défend Jean-Marc Seghezzi, déplorant que le gouvernement français ne soit "pas en mesure d'étayer concrètement les raisons de son revirement". La promesse de prêt garanti auprès de Bpifrance, pour 1,5 million d'euros, apparaît caduque. Pour Jean-Marc Seghezzi, "(cette) décision non fondée constituerait si elle était maintenue un gâchis industriel majeur".
Le retrait de l'Etat n'impacte pas uniquement le projet de production de vélos "Made in France". Il met dans l'embarras les collectivités qui contribuent à la réhabilitation de la friche Porcher, aux côtés de la Communauté de communes, et dont le bâti délabré défigure une partie de la ville de Revin. Les dépenses à engager pour la dépollution et la reconstruction du site ont été estimées à 15 millions d'euros, financées partiellement par la vente à Mercier d'un bâtiment de 12.000 mètres carrés. L'Etat promettait de prendre en charge le déficit de l'opération immobilière.
"Deux projets sont remis en cause : la relocalisation d'une production Made in France, qui serait pourtant dans l'air du temps, et la requalification de la friche de Revin", confirme Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières et vice-président du Conseil régional du Grand-Est, en chargé du développement économique. La Région promettait un million d'euros de subventions à Jean-Marc Seghezzi, assortis de 400.000 euros en ingénierie et 400.000 euros de concours européens du Feder.
"Ce montage était connu"
"S'il existe encore une seule chance de faire avancer le projet, nous allons essayer", propose Boris Ravignon, qui ne se déclare pas effrayé par les pratiques douanières de Jean-Marc Seghezzi. "Ce montage était connu dès le début de l'instruction du dossier, et je serais très étonné que l'Etat puisse justifier son retrait par ce genre d'hésitation", estime l'élu local.
L'avenir des vélos Mercier se trouve donc menacé, sur un marché où tous les indicateurs sont pourtant au vert. En 2020, selon l'observatoire Union Sport et Cycle, les ventes de vélos électriques ont progressé de 58 % en valeur. Avant d'établir son projet dans les Ardennes, Jean-Marc Seghezzi avait considéré le Portugal pour y établir son usine. L'argument du Made in France et la perspective d'un accompagnement financier avaient permis aux Ardennes de jouer leur carte de la réindustrialisation. "Jean-Marc Seghezzi est un industriel. Si il ne peut pas monter son projet chez nous, il ira le faire ailleurs", regrette déjà jean-Louis Amat.
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