Les stations thermales se cherchent un avenir entre les cures conventionnées et les loisirs

Le Conseil national des établissements thermaux (CNETh), qui défend les intérêts des 100 établissements thermaux français, participe ce 9 avril au Sénat à sa première journée parlementaire. Confrontée à une fréquentation en baisse depuis la crise sanitaire, l'interprofession souhaite assouplir les conditions du remboursement des cures par l'assurance maladie et s'ouvrir à de nouvelles activités.
La fréquentation des stations thermales demeure inférieure de 20 % aux années antérieures à la crise sanitaire du Covid. (Photo d'illustration)
La fréquentation des stations thermales demeure inférieure de 20 % aux années antérieures à la crise sanitaire du Covid. (Photo d'illustration) (Crédits : Chaîne thermale du soleil)

De 582.000 curistes en 2019 à 462.000 en 2023. Mises à l'épreuve par neuf mois et demi de fermeture pendant la crise sanitaire du Covid, les stations thermales françaises sont toujours à la peine. Comment récupérer 20% de clientèle perdue, sans se diversifier outre mesure ?

En France, le modèle d'exploitation est fortement médicalisé : au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l'assurance maladie a établi la norme de la cure thermale de trois semaines. Ce dogme est resté immuable. Au contraire de l'Allemagne ou de l'Italie, où le thermalisme médicalisé a cédé le pas au bien-être aux spas et aux bassins animés ouverts aux touristes. En France, la profession réalise seulement 10 % de son chiffre d'affaires dans le bien-être.

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Des cures remboursées à 65%

La Sécurité sociale prend en charge 65% du coût de la cure, sauf exceptions relevant de l'abandon du ticket modérateur, des cures psychiques ou des conséquences d'un accident du travail. Une convention quinquennale liant les opérateurs du thermalisme avec avec la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) et la Mutualité sociale agricole (MSA) a été renouvelée il y a quinze mois : à court terme, le risque de déremboursement n'existe pas. La filière pèse 301 millions d'euros dans les dépenses d'assurance maladie en 2023. Soit 0,13 % des dépenses, une goutte d'eau.

Où sont passés les 20% de clientèle perdue ? « Personne ne le sait », reconnaît Eléonore Guérard, présidente de la Chaîne thermale du soleil. « Une partie de notre ancienne clientèle ne reviendra jamais. Ces personnes sont peut-être décédées, ou devenues trop âgées », déplore la dirigeante, fataliste. En 2023, le premier opérateur en France (20 stations, 156.000 curistes et 150 millions d'euros de chiffre d'affaires) n'a pas retrouvé son niveau d'avant-crise sanitaire, à 156 millions d'euros.

Deux établissements ont fermé

A l'échelle des établissements, en dépit de la très forte chute de la fréquentation en 2020 et 2021, la crise sanitaire du Covid n'a pas occasionné de gros dégâts : deux fermetures. Seule la station de Camoins, à côté de Marseille, a bouclé ses portes en avril 2023. Challes-les-Eaux, à proximité de Chambéry, avait subi le même sort deux mois plus tôt. Son exploitant, la Chaîne thermale du soleil, ne pouvait plus assurer l'exploitation avec une fréquentation tombée à 500 curistes.

Avec le vieillissement de la population, la cure thermale répond pourtant à un besoin de société. « Le thermalisme prend en charge une patientèle de 65 à 66 ans d'âge moyen. Nous pouvons contribuer à la prévention pour permettre à ces patients de mieux vieillir et de retarder leur entrée dans la dépendance. En maîtrisant les petits troubles, on arrive à une forte diminution de consommation de biens de santé », rappelle Thierry Dubois, président du Conseil national des établissements thermaux (CNETh).

Ce 9 avril, profitant de sa tribune politique au Sénat, il proposera de passer à l'offensive. « Nous demandons à la Cnam de prendre en charge un programme inédit de détection de la fragilité, qui concernera tous les curistes au-delà de 70 ans et leurs accompagnants. Les curistes rempliront un questionnaire élaboré avec le gérontopôle de Toulouse. L'évaluation des fragilités portera sur une dizaine de critères dont l'audition, la vision, la mémoire, la souplesse. Si l'infirmière constate une ou deux altérations, elle transmettra le dossier au médecin thermal », explique Thierry Dubois.

Du thermalisme dans les déserts médicaux

Mais la filière, qui compte 100 stations thermales en France et revendique un poids économique de 4 milliards d'euros (hébergement, restauration, entretien inclus), cherche d'autres relais de croissance. Jugée capitalistique, l'exploitation des 100 stations françaises est assurée très majoritairement (85 %) par les opérateurs privés. « Les établissements thermaux sont souvent situés dans de très petites villes. 71 % sont des communes de moins de 5.000 habitants, qui correspondent plus ou moins à des déserts médicaux. L'établissement thermal pourrait mettre son plateau technique à disposition de la population du territoire », propose Thierry Dubois.

Une proposition entendue par Jean-Yves Gouttebel, coordinateur interministériel du plan thermalisme. Pour l'ancien président du Conseil départemental du Puy-de-Dôme, « il faut pousser les feux pour sortir du dogme de la cure thermale de trois semaines, et mettre en place des modules plus adaptés ». Comment convaincre l'assurance maladie et la Haute autorité de Santé (HAS), qui évalue les actes professionnels en vue de leur remboursement, du bien-fondé de la diversification ? « Si on cherche les preuves du service médical rendu, il faut mettre le paquet au niveau de la recherche. Je proposerai de mettre en place un groupement d'intérêt public, maître d'œuvre de la recherche thermale. On pourrait y associer les universités de Lorraine, Bordeaux, Montpellier et Toulouse », a anticipé Jean-Yves Gouttebel.

Prendre le relais de l'hôpital

Les opérateurs privés du thermalisme ont d'autres idées. « Il faut expérimenter la prise en charge de soins de suite et de réhabilitation dans nos établissements. On a la chance de ne pas manquer d'infirmières, contrairement aux établissements hospitaliers », propose Eléonore Guérard, qui accepte de mettre ses plateaux techniques à disposition des politiques régionales de santé.

Sylvain Sérafini, président de France Thermes, est du même avis. « On a les kinés, les infirmières, le personnel soignant nécessaires. La réhabilitation post-chirurgie cardiaque n'est pas pour nous. Mais la réhabilitation orthopédique, oui ! », s'enthousiasme ce dirigeant qui vient de reprendre, en délégation de service public, les installations thermales de Vittel dans les Vosges.

Thierry Dubois acquiesce, exemples à l'appui : « En Europe de l'Est et en Allemagne, la rééducation fonctionnelle est déjà présente dans les établissements thermaux. En France, le thermalisme n'a pas été reconnu pour faire de la rééducation fonctionnelle. La Cnam doit faire l'analyse de ce que cela pourrait lui faire économiser ».

Nancy, un projet géant qui démarre lentement

A contre-courant du marché français, certains opérateurs ont déjà franchi le pas de la clientèle bien-être. ValVital, numéro deux en France avec 54 millions d'euros en 2023, vient d'ouvrir sa quinzième station à Nancy. Un projet que ses promoteurs, les collectivités locales, présentent comme « "le plus grand complexe thermal jamais réalisé en France, qui a mobilisé 100 millions d'euros d'investissements" ».

Retenu après maintes contorsions juridiques, dont une délégation de service public annulée en 2021 par le tribunal administratif, ValVital a pris en charge l'exploitation du thermalisme médical, d'un centre aquasport et d'un hôtel de 76 chambres. L'exploitation a démarré dans la douleur, au printemps 2023. « Il a fallu fermer les espaces destinés aux cures médicales après un mois d'exploitation, parce que l'installation livrée par le constructeur ne permettait pas de réaliser les désinfections », regrette Bernard Riac, président de ValVital. « Mais nous sommes partis pour 25 ans à Nancy, et ces déboires seront vite oubliés ».

« Le bien-être représente 18 % de notre chiffre d'affaires. Grâce à ce positionnement, nous sommes le groupe qui a le plus progressé depuis la reprise post-Covid. En 2024, avec le vrai démarrage de Nancy prévu au mois de juin, nous espérons atteindre 63 millions d'euros », envisage déjà Bernard Riac.

Des resorts, comme dans les stations touristiques

Reconnu pour son exploitation à Vichy, le groupe France Thermes a opté pour un positionnement encore plus décalé. Avec six stations en France et deux sites au Maroc, il a réalisé 70 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023. « Nous sommes organisés en resorts », explique son président Sylvain Sérafini. « Ce mot emprunté aux stations touristiques désigne une offre intégrée des soins, de l'hébergement et de la restauration. L'hébergement représente à lui seul un quart de nos revenus ».

A Vichy, 40 % de l'activité relève des soins conventionnés. Le solde se répartit entre le bien-être et quelques produits dérivés. France Thermes a développé une politique de licences. « Nous fournissons l'eau à Vichy Célestins, ainsi qu'à L'Oréal pour fabriquer ses cosmétiques. Nous vendons aussi es sels minéraux qui servent à fabriquer les pastilles Vichy », détaille Sylvain Sérafini.

Et si l'avenir se situait dans les resorts ? En 2022, France Thermes a été retenu par les collectivités du Grand Est pour exploiter les installations thermales de Vittel, dans les Vosges, dans le cadre d'un investissement public-privé d'une soixantaine de millions d'euros. « Le Club Med s'est en partie retiré de Vittel, laissant en place des friches touristiques. Nous reprenons un hôtel historique de 260 chambres et le palmarium, une piscine classée. Le Grand Hôtel sera rénové et livré pour la saison 2025 », annonce Sylvain Sérafini.

Les Vosgiens pourront-ils se détourner de l'hôpital, et bénéficier de soins de réhabilitation dans ces infrastructures thermales de la Belle Epoque ? « France Thermes veut prendre une part active dans les politiques de santé publique, et nous ne serons pas les seuls », acquiesce Sylvain Sérafini. « Les établissements thermaux présentent une couverture nationale avec des plateaux techniques suffisants. Nous avons vocation à retarder l'entrée des personnes âgées dans la dépendance. Autrement dit, nous sommes contributeurs du maintien à domicile », résume Sylvain Sérafini.

Economiser l'eau et l'énergie

Restent les enjeux de l'eau et de l'énergie, « deuxième poste de dépenses dans les comptes d'exploitation » derrière les salaires selon Thierry Dubois. « Pendant la crise, certaines stations ont subi des augmentations de 400 %. Elles ont réagi en investissant dans l'isolation des bâtiments et la réduction de la consommation d'eau thermale », témoigne Thierry Dubois.

« Nous avons mené à partir de 2022 d'importants travaux de réduction des consommations, en modifiant certains processus dans nos opérations », confirme Eléonore Guérard. « Il suffit parfois de procéder à un réglage des installations. En hiver, lorsqu'on ferme une station, la température hors gel n'a pas besoin d'être réglée à 17 degrés. Nous avons aussi supprimé tous les plastiques à usage unique, ce qui représentait plusieurs tonnes de matériel par an », rapporte la dirigeante du premier opérateur français.

« Le développement durable constitue un enjeu majeur », insiste Thierry Dubois. « Nous travaillons avec le ministère de la Transition écologique sur un projet de charte de réduction de la consommation d'eau », annonce le président du CNETh. Dans cette charte, les exploitants français s'engageront collectivement à la réduire leurs consommations de 10 %.

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Commentaire 1
à écrit le 09/04/2024 à 9:54
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Sponsorisées par l'argent public. Ya souvent des casinos pas loin aussi non ? ^^

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