L'Europe planche sur une réouverture des liaisons aériennes avec l'Ukraine

Alors que le trafic aérien vers l'Ukraine est entièrement fermé depuis le début de la guerre, les autorités ukrainiennes et la Commission européenne travaillent de manière informelle sur un plan de reprise du trafic commercial sans attendre la fin du conflit.
Léo Barnier
L'Ukraine fait appel à l'Europe pour l'aider à rouvrir des liaisons aériennes.
L'Ukraine fait appel à l'Europe pour l'aider à rouvrir des liaisons aériennes. (Crédits : DADO RUVIC)

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie il y a deux ans, le trafic aérien vers l'Ukraine est entièrement fermé, contrairement à l'activité ferroviaire, par exemple, qui continue de fonctionner. Le pouvoir ukrainien a engagé des réflexions avec la Commission européenne pour définir dans quelles conditions la reprise du trafic aérien commercial pourrait être envisagée une fois le conflit terminé. Mais, selon plusieurs sources concordantes interrogées par La Tribune, les parties prenantes regardent comment accélérer le processus.

Depuis quelques mois, des discussions ont été discrètement engagées pour étudier les possibilités de relancer des liaisons aériennes avant même la fin de la guerre. Cela pourrait passer par la mise en place de couloirs aériens sécurisés, à l'image des corridors mis en place dans le domaine maritime. Faisant d'abord l'objet d'un accord avec la Russie, ils ont permis l'exportation de pas moins de 33 millions de tonnes de céréales et d'autres denrées alimentaires entre juillet 2022 à juillet 2023. Après la dénonciation de cet accord par Moscou et malgré les menaces de blocus, Kiev a tout de même poursuivi ses opérations maritimes - ayant réussi par ses frappes à faire reculer la flotte russe en mer Noire.

Lire aussiL'Ukraine travaille au rétablissement de son trafic aérien commercial

Des risques non négligeables

Comme pour le maritime, un tel dispositif ne pourrait voir le jour que sous des conditions bien précises comme l'explique l'ensemble de nos sources. Elles citent ainsi avant tout des contraintes de sûreté, la guerre faisant toujours rage et l'exemple tragique du MH17 - un Boeing 777 de Malaysia Airlines abattu par un missile sol-air au-dessus du Donbass dans l'Est de l'Ukraine en 2014 avec 298 personnes à bord - étant encore dans toutes les têtes. L'une d'entre elle souligne « un risque non négligeable » et la nécessité de disposer d'informations fiables sur les menaces et les systèmes d'armes environnants avant de prendre toute décision.

Mais une telle opération nécessite également nombre de précautions sécuritaires, avec le réentraînement des personnels, la remise en état opérationnelle des infrastructures de transport aérien (aéroports, contrôle aérien civil, assistance en escale...) et l'établissement de procédures adaptées. Et si les vols reprennent, ils devraient être circonscrits à certaines zones, à commencer par l'Ouest du pays où les infrastructures ont pu être préservées selon les Ukrainiens et sont plus éloignées des menaces. Kiev et Lviv font figure de priorité pour le pouvoir politique ukrainien.

Il faut également convaincre des compagnies aériennes de prendre le risque de desservir l'Ukraine alors que le conflit perdure. Certaines d'entre elles sont prêtes à étudier cette éventualité, mais cela pose aussi la question du consentement des équipages. Il y a enfin la question des assurances : qui serait prêt à assurer de telles opérations, et à quel prix ? Il faudra donc des garanties solides pour débloquer la situation, explique un connaisseur du dossier.

Lire aussiUkraine : la volonté de persévérer de Zelensky reste intacte

L'appel à l'Europe

C'est pour répondre à tous ces points que Kiev fait appel à l'Europe. Pour l'instant, seuls des contacts et des discussions informelles ont été établis entre les instances ukrainiennes et européennes, de manière discrète, mais les discussions s'accélèrent. Il s'agit même « d'un moment critique » selon un proche du dossier. Un processus officiel pourrait ainsi être lancé par la Commission européenne dans les prochains mois, avec une saisie de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) pour mener une analyse d'impact et définir les conditions d'une reprise dans des conditions de sûreté et de sécurité suffisantes.

L'AESA est déjà impliquée dans le processus de réflexion. La direction générale des transports de la Commission européenne avait d'ailleurs annoncé dans son plan de gestion 2023 qu'elle évaluerait l'AESA sur ses missions classiques, mais aussi « sur sa contribution au redressement post-COVID et sur l'aide apportée au secteur ukrainien du transport aérien », même si cela ne visait pas spécifiquement la reprise du trafic. En tant que pays candidat à une adhésion à l'Union européenne, l'Ukraine peut également prétendre à une aide de l'Agence.

Une des difficultés sera de pouvoir aller au-delà des seules informations transmises par les Ukrainiens. A l'issue de ce travail, l'AESA pourra émettre une opinion sur la possibilité de reprendre les vols. Il est aussi possible que soit impliquée l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), agence des Nations Unies qui établit les normes internationales pour le transport aérien. En revanche, l'espace aérien relève de la souveraineté nationale. Comme l'explique l'une de nos sources, la décision de rouvrir ou non des liaisons aériennes ne peut revenir qu'à Kiev.

Lire aussiAide à l'Ukraine : les 27 de l'UE sont (enfin) parvenus à un accord, Orban salue des « garanties »

Avec ou sans les Russes

Des premiers contacts ont également été établis avec les opérationnels. Un professionnel du transport aérien confirme être « au courant des discussions en cours » et « en contact avec les différentes autorités », sans être directement impliqué. Il ne veut pas trop en dire sur un dossier qu'il juge sensible et se montre surtout très prudent quant à la possibilité de voir des vols reprendre avant la fin du conflit.

« A ce stade, il faut plus qu'un compromis technique. [...] C'est une zone de guerre. Vous pouvez donc imaginer que ce n'est pas quelque chose que l'AESA peut décider seule », déclare ce professionnel du secteur.

« Il est trop tôt pour se prononcer sur la faisabilité du projet », ajoute-t-il, estimant notamment qu'il est d'abord nécessaire de trouver un accord politique entre Européens et Ukrainiens bien sûr, mais surtout avec les Russes. Il ne voit ainsi pas le trafic sans une entente avec Moscou. Or, selon un des proches du dossier, il ne s'agit pas d'une condition sine qua none, même s'il reconnaît que cela faciliterait grandement les choses. Comme pour le maritime, Kiev pourrait décider d'agir malgré tout.

Lire aussiMer Noire : un navire de céréales qui se dirigeait vers un port ukrainien a sauté sur une mine

Intérêts multiples

Il faut dire que le rétablissement du transport aérien est important pour l'Ukraine à plus d'un titre. « Cette reprise du trafic est très importante pour les Ukrainiens parce que derrière ça, il s'agit effectivement de permettre une reprise de l'activité économique », analyse l'une de nos sources. Si aucun détail n'a filtré quant au type de vols envisagés, il est possible que des opérations cargos soient privilégiées dans un premier temps, afin de ne pas exposer des passagers.

Mais la volonté de rétablir le transport de voyageurs est également là, comme l'indique un autre connaisseur du dossier, qui évoque la diaspora ukrainienne. Pas moins de huit millions d'Ukrainiens ont ainsi fui la guerre. « Il y a forcément un retour des familles qui est envisagé », explique-t-il ainsi. Le retour du transport de passagers peut également s'inscrire dans l'optique de reconstruire le pays avec le besoin de faire venir des professionnels dans le pays.

Lire aussiLes aéroports européens appellent Bruxelles et Kiev à anticiper le redémarrage des plateformes ukrainiennes

Enfin, s'il continue d'être privé d'activité et de ressources financières, le secteur aérien ukrainien risque de disparaître entièrement. Seul le contrôle aérien dispose pour l'instant d'une aide financière concrète de la part d'Eurocontrol, l'Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne. Kiev demande actuellement aux aéroports du pays de préserver leurs capacités opérationnelles pour pouvoir redémarrer rapidement leur service. Mais cela se heurte à des problèmes de financement. De même, les compagnies aériennes ukrainiennes tentent de survivre comme elles peuvent en attendant de pouvoir voler à nouveau. Si cet effort est salué par chacun de nos interlocuteurs, ils reconnaissent tous qu'il faudra du temps pour relancer l'activité.

L'un d'entre eux, précisant qu'il s'agit de son analyse personnelle, estime que cela prendra au moins six mois et bien plus probablement au moins un an avant que la réouverture du trafic vers l'Ukraine puisse se concrétiser.

Léo Barnier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 14
à écrit le 20/02/2024 à 9:14
Signaler
"le trafic aérien vers l'Ukraine est entièrement fermé" Il arrive comment le poulet ukrainien à 3€ ?

à écrit le 19/02/2024 à 17:08
Signaler
Qui peut décemment croire que les russes vont nous laisser bâtir dans un premier temps un pont aérien cargo (uniquement civil hein?) sans froncer du sourcil???

à écrit le 19/02/2024 à 15:02
Signaler
Je pense que l'intérêt est dans le sens Ukraine vers l'Europe pour l'oligarchie ukrainienne, les vrais "va t'en guerre européen" ne sont pas aussi nombreux pour ouvrir des lignes commerciales. À moins que l'intérêt soit de rapatrier des médecins ukra...

à écrit le 19/02/2024 à 12:19
Signaler
Du grand n'importe quoi, aurait on oublié l'avion de Malaisian Airlines abattu par un missile d'origine floue. Et en vérité qui a envie d'aller en Ukraine aujourd'hui ?

le 19/02/2024 à 13:11
Signaler
@Jason13. CQFD 👍

à écrit le 19/02/2024 à 11:54
Signaler
c est cela l Europe. aujourd'hui ! un jeu de com politique. en France nous marchons sur la tête depuis quelques années. déjà ! dans cette démocratie d apparence , espérerons mieux aux prochaines élections

à écrit le 19/02/2024 à 11:53
Signaler
c est cela l Europe. aujourd'hui ! un jeu de com politique. en France nous marchons sur la tête depuis quelques années. déjà ! dans cette démocratie d apparence , espérerons mieux aux prochaines élections

à écrit le 19/02/2024 à 11:47
Signaler
Nos élus sont tout de même à la masse: vous connaissez un assureur qui va prendre la responsabilité de couvrir de tels dommages? Vous connaissez une compagnie aérienne qui va en accepter le risque (même Air France n’est pas détenu par l’état -28%-)....

à écrit le 19/02/2024 à 11:03
Signaler
C'est plutôt la réouverture des liaisons aériennes entre les villes de France 🇲🇫 et les villes de Russie 🇷🇺 que nous attendons ! ✈️

à écrit le 19/02/2024 à 11:03
Signaler
Cela devient une obsession mais pour l'intérêt de qui ? Le terrorisme n'a jamais été là où l'on nous le racontait !

à écrit le 19/02/2024 à 11:02
Signaler
Cela devient une obsession mais pour l'intérêt de qui ? Le terrorisme n'a jamais été là où l'on nous le raconter !

à écrit le 19/02/2024 à 10:29
Signaler
Pouilets contre armement? c'est vrai que nous avons déjà les deux, je comprends un peu mieux les agriculteurs !

à écrit le 19/02/2024 à 10:16
Signaler
Bonjour, ils vas bien falloir livrer les F16 promis a l'Ukraine... Pour le reste je ne suis pas sûr que les compagnies aériennes civile soit très intéressé pour le survol de zone de guerre... Bien sûr, ils ne faut pas le dire....

à écrit le 19/02/2024 à 10:10
Signaler
Parfait ! Nous devrions encore bien mieux distinguer l'imposture.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.