
150 millions d'euros. C'était le plan du gouvernement pour développer le covoiturage au quotidien lancé en 2022. L'objectif : atteindre 3 millions de trajets quotidiens à l'horizon 2027 contre 900.000 aujourd'hui, ce qui permettrait d'économiser jusqu'à 4,5 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1% des émissions de gaz à effet de serre annuelles de la France. Le covoiturage devrait même participer à hauteur de 12 % de la réduction des émissions de carbone dans les transports d'ici 2030, d'après le Secrétariat Général à la Planification Écologique. Selon un récent calcul de la Fédération internationale des Sociétés d'ingénieurs des techniques de l'automobile (FISITA), le passage d'1,3 personne par voiture (chiffre moyen actuel) à 1,5 en Europe aurait même un impact similaire à la conversion de 30 millions de voitures à moteur thermique en électrique.
Sauf que la mayonnaise ne prend pas. Selon une étude de la Fabrique écologique et du Forum vies mobiles, le bilan du plan covoiturage sur les courtes distances est décevant. Non seulement le covoiturage au quotidien ne représente que 2 trajets sur 10.000 en voiture, mais il est aussi très coûteux (un trajet en covoiturage subventionné peut représenter jusqu'à 40 euros pour la collectivité).
Subventions mal orientées
Pour rappel, le budget global du plan covoiturage du gouvernement se divise en trois parties : un soutien aux collectivités sur le principe « 1 euro de l'État pour 1 euro de la collectivité », une prime de 100 euros accordée aux entreprises, et un fond pour les collectivités dans le développement des infrastructures de covoiturage (aires, voies réservées...). Des intentions louables, sauf que ces subventions sont principalement à destination des plateformes de covoiturage, qui ne représentent que 3 % des trajets quotidiens. Une goutte d'eau dans un océan de trajets auto organisés.
Globalement, l'Etat investit 35 fois plus dans le covoiturage via les plateformes que dans celui plus informel entre amis, en famille ou entre collègues.
Aussi, seules 2 entreprises sur 5 s'emparent du projet de Forfait mobilités durables (FMD), mis en place cette année, qui permet un soutien financier aux salariés utilisant les mobilités décarbonées pour leur transport. Et les voies réservées au covoiturage sont plus de la moitié du temps utilisées par des conducteurs seuls dans leur véhicule. La mise à disposition de radars de contrôle dans les mois à venir pourrait néanmoins changer la donne.
Autre problématique abordée, la question du ciblage de ces subventions. Pour l'heure, aucun critère n'a été décidé. Or, l'étude dénonce l'utilisation des subventions principalement dans les zones denses où les trajets pourraient être effectués en transport en commun ainsi que sur des trajets de moins de 5 kilomètres, soit ceux qui pourraient être effectués à pied ou à vélo. Ainsi, l'impact carbone du dispositif est plus faible que prévu.
Pour Thomas Matagne, le président et fondateur d'Ecov, opérateur de lignes de covoiturage dans des territoires périurbains et ruraux, les subventions ne sont pas à la hauteur de l'objectif que s'est fixé l'Etat. En effet, les 150 millions d'euros paraissent très faibles aux côtés des 2 milliards annoncés pour le vélo sur la même période ou encore les 6 milliards annuels pour le ferroviaire. « Les résultats sont au niveau des moyens investis. »
Les freins dans les zones périurbaines et rurales
En outre, ces subventions sont concentrées dans les villes « où il est plus facile de mutualiser les trajets pendant les heures de pointe », explique Mathieu Bloch, en charge de l'étude pour le Forum Vies Mobiles. Les transports dans les zones rurales sont pourtant ceux qui ont davantage de poids écologique, du fait de la difficulté de prendre d'autres moyens de transports et des trajets plus longs.
« Le covoiturage se heurte à un siècle d'autosolisme. Ce sont des problèmes d'ordre socio-techniques comme sur le vélo il y a quelques temps », rappelle Thomas Matagne.
Surtout, les usagers craignent les attentes très longues dans les zones rurales par manque de trajets proposés. Pour éviter ces freins, certaines métropoles ont mis les moyens. A Lyon par exemple, un taxi effectue le trajet demandé si l'utilisateur n'a pas de covoiturage après 20 minutes d'attente. Une situation « très rare », selon Jean-Charles Kohlhaas, responsable des déplacements et des intermodalités à la Métropole de Lyon. Le temps moyen d'attente est plutôt de l'ordre de 3 minutes, « comme pour le métro ».
Pour les deux structures ayant réalisé l'étude, le covoiturage courte distance n'apparaît pas comme une solution structurante pour la transition écologique, mais il faut plutôt l'intégrer dans un ensemble de mesures importantes comme l'allègement des voitures ou l'augmentation des services de transports en commun.
La Fabrique écologique et le Forum vies mobiles demandent aussi la possibilité de réaliser une enquête élargie au covoiturage informel qui représente 97 % des trajets partagés afin d'avoir une vision plus claire des freins à l'adoption du covoiturage et orienter les politiques publiques pour limiter les subventions inutiles. Cette étude est en discussion actuellement avec le gouvernement afin d'éventuellement ajuster les dispositifs d'aides dans le futur.
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